La consommation en berne

Inflation plus forte, sécheresse et chômage ont incité les ménages à réfréner leurs achats
Le Haut Commissariat au Plan prévoit un fléchissement de la consommation 2005 ; le CMC confirme la tendance.
Même les produits de consommation courante accusent le coup.
La consommation des ménages accuse le coup, elle qui, d’habitude, permet d’atténuer les années marquées par les aléas conjoncturels. Le premier semestre n’a pas été brillant et les prochains mois s’annoncent difficiles, encore plus pour les opérateurs dont l’offre est destinée au marché local.
Dans plusieurs régions, l’été s’installe sans joie. La sécheresse a fini par saper le moral de dizaines de milliers de familles rurales. Dès lors, la prudence au niveau des dépenses est de rigueur. En ville, le constat n’est pas plus reluisant. Dans l’expectative, et loin des apparences trompeuses des galeries commerciales des grands centres urbains, les ménages ont réduit leurs dépenses.
Trois facteurs à l’origine des inquiétudes des Marocains cette année. La dernière enquête du Haut Commissariat au Plan sur la consommation des ménages a en effet révélé que les soucis des Marocains sont principalement la cherté de la vie (25,5 %), la sécheresse (21,5 %) et le chômage des jeunes (18,7 %).
2005 est justement une année o๠ces trois ingrédients sont réunis. Le taux de chômage urbain est toujours de 20 %, au moment o๠la propension à dépenser en milieu rural a été rognée par les milliers de journées de travail partis en fumée à cause de la sécheresse. Des soucis de la vie, les Marocains s’en feront davantage. Ce qui se traduiront donc, logiquement, par une retenue au niveau des dépenses. Dans une note datant du mois de mai, le département d’Ahmed Lahlimi a bien signalé que «les dépenses des ménages résidents marqueront un léger ralentissement de leur rythme de croissance en 2005». Même constat du Centre marocain de conjoncture (CMC), o๠l’on confirme que «les agrégats principaux, dont la consommation, vont connaà®tre un ralentissement sérieux cette année, dû à la conjugaison de plusieurs facteurs, dont les résultats de la campagne agricole, la baisse du pouvoir d’achat et l’aggravation du taux de l’inflation, qui pourrait croà®tre d’un point par rapport à 2004». La performance de l’année dernière est hors d’atteinte. «Pour l’exercice précédent, la consommation nominale des ménages a crû de 8,9%. Cette année, le taux sera nettement moindre».
Recul important en mai et juin
On est loin des prévisions optimistes du ministère des Finances exprimées en début d’année. Le département de Oualalou, prédisant une bonne campagne céréalière, avait anticipé sur une «croissance économique soutenue par la demande intérieure. Les composantes de la demande exprimées en dirhams courants seraient toutes orientées à la hausse. La consommation des ménages s’accroà®trait de 4,5 % en raison de l’amélioration du revenu des ménages favorisée par la revalorisation des salaires de certaines catégories de fonctionnaires et par la réalisation d’une bonne campagne céréalière. En termes nominaux, la contribution de la consommation finale des ménages à la croissance économique se situerait à 3 points en 2005». Or, les deux points évoqués par ces prévisions ont subi des ajustements à la baisse. La valorisation des revenus des fonctionnaires a été grevée par les augmentations des prix, ressenties particulièrement au niveau des légumes et fruits, après la période de grêle en début d’année, et la dernière augmentation des prix du pétrole à la pompe. D’un autre côté, la récolte céréalière est, c’est le moins que l’on puisse dire, mauvaise.
Les effets d’une telle conjoncture commencent à se faire déjà sentir. Le président de la Fédération des PME, Mohamed Kessal, établit son propre constat. «Nous assistons depuis mai à une chute considérable de la consommation des ménages. L’impact psychologique de la mauvaise campagne agricole et l’augmentation du prix du pétrole à la pompe ont provoqué un scepticisme chez les consommateurs. Ces derniers sont devenus méfiants, manquent de repères et préfèrent temporiser en attendant des jours meilleurs. La baisse du chiffre d’affaires est de 3 à 4 % durant ces deux mois».
Les fausses apparences des grandes villes
On serait tenté de remettre en cause ce constat au regard de la frénésie qui règne dans les centres commerciaux des grandes villes. Mais, comme le fait remarquer le président de la Fédération des PME, il faut sortir des quartiers aisés et faire un tour en milieu péri-urbain pour se rendre réellement compte du ralentissement. Il faut aussi observer la chute des approvisionnements de l’arrière-pays en raison de la contraction de la demande. «Les régions sud, nord et orientale, à vocation agricole, souffrent plus de cette situation, en raison de l’absence du soutien d’un arrière-pays industriel ou de service», souligne M. Kessal.
Une analyse que corrobore l’ambiance régnant depuis quelques semaines à Derb Omar. Véritable baromètre de l’activité économique nationale, il renseigne sur l’état du commerce dans les autres régions du pays. Les approvisionnements de l’arrière-pays se font essentiellement à partir de ce quartier. Les avis y sont unanimes. L’activité y a connu un sérieux ralentissement. Les samedis et les lundis y sont d’habitude synonymes de journées de grande activité. Des camions à destination d’Errachidia, Azilal, Zagora et bien d’autres régions y font leurs chargements. Or, depuis quelques semaines, observe Nabil Aà¯t Benha, négociant à Azilal, le rythme des affaires a considérablement chuté. «Nous faisions en moyenne un voyage par semaine. La cadence a été ramenée à un chargement toute les deux ou trois semaines. Tous les produits sont concernés. De l’alimentaire aux produits d’entretien en passant par certains articles ménagers», explique-t-il. Même les incontournable sucre et huile n’y échappent pas. Selon un opérateur fournisseur de ces industries, les deux secteurs sont en stagnation. Il souligne qu’en période de récession ou de crise, «les gens consomment juste ce dont ils ont besoin». Néanmoins, il précise qu’«une stagnation, c’est toujours mieux qu’une régression».
Le même marasme est observé du côté du secteur de la chocolaterie et confiserie. La situation pourrait toutefois s’expliquer en partie par la forte concurrence des produits étrangers. Les produits non alimentaires n’échappent pas à la règle. Les six premiers mois ont été marqués par un ralentissement des affaires. Benjamin Moà¯se, négociant major en articles ménagers à Derb Omar, confirme. «Juin, constate-t-il, a été la consécration de cette crise. Ce mois a été le plus dur de tout le premier semestre. Il y a très peu de liquidités sur le marché. Non seulement mes clients ont du mal à payer, mais ils font de moins en moins d’achats». Fournisseur de grossistes et semi-grossistes à travers tout le Maroc en produits de cuisine, table et électroménager, M. Moà¯se relève un grand fléchissement de l’activité sur tous ces produits .
Depuis quelques semaines, l’activité à Derb Omar, baromètre du dynamisme économique à l’intérieur du pays, a considérablement chuté. Les livraisons qui se faisaient au rythme d’un chargement hebdomadaire ont été divisées par deux.