Histoire de l’OCP : une mine d’enseignements

L’office a été créé en 1920 par le maréchal Lyautey qui refusa de le céder au privé

Le chiffre d’affaires oscillait entre 2 et 3 millions de dollars au départ contre 1,7 milliard aujourd’hui

Outre un savoir-faire industriel, l’office a mené une stratégie commerciale élaborée pour s’assurer des débouchés sûrs.

Sur les quinze hectares du siège de l’OCP, datant des années 1970, on ne trouve pas, à part des échantillons dans le hall-musée, une once de phosphate. Place est faite, en effet, à la matière grise des 1 200 personnes (sur les quelque 20 000 employés qu’il compte au total) qui y élisent domicile durant la journée de travail continue, instituée depuis des années.
Toutes les directions de l’office sont présentes au milieu d’une verdure dominante et, tenez-vous bien, gardiennage et jardinage sont, tout simplement, externalisés. Mais l’histoire de ce fleuron de l’économie marocaine ne le prédisposait pas particulièrement à devenir une des entreprises publiques les plus performantes du pays et certainement d’Afrique. D’abord, parce qu’au moment même de sa création, le maréchal Lyautey, alors Résident général de France au Maroc, aurait très bien pu succomber à la tentation et aux pressions des lobbies du moment et le céder à des privés. Ensuite, n’était le savoir-faire des Marocains et, surtout, leur capacité d’anticipation, il aurait très bien pu mourir de sa belle mort s’il n’avait été le premier laboratoire du pays pour capitaliser une grande maîtrise dans le balisage de ses débouchés et la sécurisation de son portefeuille. En effet, si le Maroc, quel que soit le domaine, a relativement très rapidement appris à bien produire, il n’en est pas de même, aujourd’hui encore, pour sa capacité à bien vendre ses produits.

Le premier ingénieur marocain y débarque en 1957
Mais commençons par le commencement. L’OCP a été créé par dahir en août 1920 et, à l’époque, les nationaux n’étaient pas nombreux à émarger sur ses registres. A preuve, même en 1956, ils n’étaient que quatre sur un groupe de 600 techniciens, notamment français, et 100 sur les 700 ouvriers professionnels. Il a d’ailleurs, fallu attendre 1957 pour voir arriver le premier ingénieur marocain. Pour l’anecdote, notons que la ménagerie de l’office comptait, avant la mécanisation, des centaines de mulets, chameaux et ânes pour transporter et acheminer le précieux minerai. On était loin de l’exploitation à ciel ouvert et des différentes valeurs ajoutées que l’office développera par la suite.
Dans les années 1920, le chiffre d’affaires tournait autour de 2 à 3 millions de dollars, sur la base du prix de référence de l’époque, qui se situait entre 8 et 11 dollars la tonne. Mais il faut savoir que l’office n’exportait que du minerai brut et qu’il n’y en avait que deux qualités, jusqu’à l’indépendance, où trois qualités furent mises au jour. Par ailleurs, le séchage se faisait à plein champ, alors qu’aujourd’hui, il se fait en séchoir, à des températures de 800 à 1000 degrés.
Actuellement, pas moins de 26 millions de tonnes de phosphate sont produits et vendus, entre 37 et 50 dollars (333 à 450 DH) la tonne, pour un chiffre d’affaires de 1,7 milliard de dollars, alors qu’en 1964, on en était à 10 millions de tonnes pour 100 millions de dollars ( 900 MDH) de chiffre d’affaires. Mais les grands changements ne sont pas là. Ils sont dans les 30 qualités de phosphate brut extraites, 8 autres qualités d’acide phosphorique et une bonne dizaine de types d’engrais produits par l’OCP.
Pour illustrer le degré de développement de la valeur ajoutée, il suffit de noter que, sur les 26 millions de tonnes exportées, le brut représente moins de la moitié et n’entre dans le chiffre d’affaires qu’à hauteur de 25 %. La donne a, en effet, changé. Non seulement le Maroc est entré dans le cercle fermé des pays qui ont capitalisé suffisamment de savoir-faire pour transformer 85 % du minerai en engrais, mais il arrive à utiliser les 15 % restants dans la fabrication de produits nobles comme les conservateurs, les produits pharmaceutiques et autres détergents …

Des mineurs qui manient le marketing avec habileté
L’autre terrain sur lequel s’est déployé le savoir-faire de l’office est le volet commercial. D’abord, et comme pour les grands groupes mondiaux, l’accent a été mis sur le marketing : produire selon la volonté des prescripteurs. Ensuite, il y a tout le travail accompli en matière de configuration du portefeuille au fur et à mesure que les premiers clients européens en sortaient.
D’un autre côté, s’il y avait 6 pays producteurs de phosphate dans les années 1950 et 1960, on en compte aujourd’hui 30, qui proposent des produits de plus en plus diversifiés, sur un marché mondial très volatil et extrêmement sensible à la qualité et au souci de protection de l’environnement.
Ainsi, des alliances stratégiques ou encore des contrats de longue durée ont été négociés par l’office, parfois avec les concurrents, pour sécuriser les débouchés de sa production. Groupes indiens et pakistanais ont souscrit aux propositions d’association de l’OCP et certaines usines, comme à Safi, en sont des retombées concrètes. D’autres fois, c’est l’office qui décide de prendre des participations ici ou là pour assurer ses arrières. Cette mue, qui a commencé dès les années 1980, se poursuit. Elle est matérialisée par la création d’un joint-venture maroco-belgo-allemand (EMAPHOS) et le partenariat avec une grosse pointure indienne (IMACID), des opérations parmi les plus stratégiques et les plus médiatisées .

Juin 1941. Le Roi Mohammed V visitant le carreau de la Recette III, à Khouribga, accompagné du Prince Moulay Hassan.