Hausse artificielle des prix à  Casablanca

Les chevillards ont arrêté l’abattage pour 4 jours et les prix de la viande bovine ont grimpé à  70 DH /kg.

Le marché de la viande à Casablanca n’en finit pas de connaître des péripéties. Les chevillards se sont remis en grève pour quatre jours lundi 30 juin. Cette fois-ci, les revendications relatives aux droits et taxes sur l’abattage institués depuis l’ouverture des nouveaux abattoirs en mai 2002, et qui avaient donné lieu à des grèves à cette époque, semblent avoir été reléguées au second plan. Aujourd’hui, les conditions de travail et d’abattage constituent le principal problème des chevillards. Dans le circuit actuel, ils n’ont plus le droit de suivre le cheminement de la chaîne d’abattage et certains d’entre eux accusent ouvertement les abattoirs d’interchanger les bêtes. Ensuite, disent-ils, les animaux n’étant pas totalement vidés de leur sang, cela se répercute sur la qualité et la couleur de la viande. En plus de ces déconvenues, les chevillards se plaignent du fait que les transactions commerciales se font dans la salle même des frigos avec tous les désagréments que cela occasionne.
Sur la liste des reproches des professionnels à l’égard de la Communauté urbaine, figure aussi la concurrence des viandes en provenance des souks des alentours de Casablanca. En effet, ces dernières, subissant des taxes d’abattage moindres, sont proposées aux consommateurs et aux bouchers à des prix bas, si l’on s’en tient à la logique du marché. Les professionnels veulent obtenir des autorités l’interdiction d’entrée de ces viandes sur un périmètre de 40 km autour de Casablanca. Le problème est qu’une telle mesure est difficilement réalisable.
Les nouveaux abattoirs n’ont pas encore atteint leur rythme de croisière
Pourquoi ? Tout simplement parce que les nouveaux abattoirs n’ont pas encore atteint leur rythme de croisière dans la production de viandes rouges. En effet, la ville consomme quelque 36 000 à 40 000 tonnes de viande par an alors que le complexe n’en produit qu’un peu moins de 30 000 tonnes. En gros, ce sont quelque 10 000 tonnes qui, bon an mal an, proviendraient de l’abattage périurbain qui, pour estampillé qu’il soit, est souvent transporté dans des conditions qui laissent à désirer, ou de l’abattage clandestin.
En tout cas, même si la ville était suffisamment approvisionnée au lendemain de la grève, les prix des viandes rouges ont connu une hausse notoire. Ainsi, les bouchers casablancais affichaient 70 DH/kg pour la viande bovine, mardi 1er juillet. Logique ? Pas tellement, on serait plutôt tenté de dire que les bouchers ont profité de l’occasion.
5 000 boucheries
à Casablanca
En effet, la production des nouveaux abattoirs étant de l’ordre de 400 bovins et 1 500 ovins par jour – vendredi et dimanche étant jours de relâche – il était normal que sa soustraction subite à l’offre perturbe la logique de l’offre et de la demande. Cependant, il faut savoir que la production des anciens abattoirs était le double de celle du nouveau complexe. Ce qui veut dire que, même sans grève, les besoins de la ville sont actuellement comblés par les souks environnants.
De plus, ces derniers, qui n’ont pas encore épuisé leurs stocks, anticipent sur une augmentation certes inévitable mais amplifiée. D’ailleurs, l’argument qu’ils brandissent devant leur clientèle tient en une phrase : «Comment, vous n’êtes pas au courant que les abattoirs sont fermés depuis lundi !».
Il faut savoir qu’une grande partie des détaillants (il y a à Casablanca près de 5 000 boucheries), familiarisés avec le bras de fer entre la Communauté urbaine et les chevillards, font leur marché à Mohammédia, dans les souks de Médiouna, de Tit Mellil, de Bouskoura et autre Sidi Messaoud. A preuve, la production de ces marchés a connu une augmentation de production notable avec des abattages de l’ordre de 300 à 500 bêtes par jour.
En attendant, et à mercredi 2 juillet, la situation ne semblait pas avoir évolué et les discussions entre les chevillards et la Communauté urbaine de Casablanca n’a-vaient pas abouti. Autorités et élus ferment donc toujours les yeux sur les circuits d’approvisionnement à travers les souks avoisinants de la ville qui comblent le déficit des besoins de la ville. Mais il faut savoir que nombre de particuliers ont toujours eu «un faible» pour l’approvisionnement qui dans l’informel qui dans les souks. La production moderne des viandes a pour objectif d’imposer à terme des normes de qualité qui s’élargiraient progressivement à tous les intervenants. Or, on assiste à une logique de concurrence où la production formelle cède le pas à l’informel, sans que personne ne puisse intervenir. Les chevillards profitant d’une situation de monopole (étant les seuls à être autorisés à procéder à l’abattage) empêchent la régulation de l’abattage moderne et favorisent l’élargissement des parts de marché de l’informel.
La question à poser aujourd’hui est la suivante : en choisissant de prendre en charge la construction des abattoirs et de déléguer leur gestion, les élus ont-ils fait le bon choix ? Autrement dit, les choses n’auraient été totalement différentes, si on avait ouvert le secteur au privé, avec des mesures attractives, pour attirer les investissements et laisser jouer pleinement la concurrence ?