Grève des techniciens RAM : le PDG sort de son mutisme

La RAM reste sur sa position, les techniciens licenciés ne seront pas réintégrés et la porte est ouverte au dialogue avec les délégués du personnel
Mohamed Berrada est catégorique : les avions de la RAM sont sûrs
Les dessous de la grève. Une histoire d’argent ? La Vie éco
a enquêté.
Combien la grève des techniciens de Royal Air Maroc durera-t-elle ? Au mardi 18 octobre, elle en était à son 112e jour. Après près de quatre mois, les positions de part et d’autre restent fermes : l’entêtement des 400 grévistes à poursuivre leur mouvement, au prix de la perte de leur salaire et des avantages y afférents, au point que leur situation frôle aujourd’hui le drame social, n’a d’égale que la détermination de la direction de la RAM à ne pas revenir sur ses positions : réintégrer les sept techniciens licenciés.
Toujours est-il que si la grève perdure, depuis le 29 juin, c’est que le dialogue n’existe tout simplement pas et c’est la RAM qui est mise à l’index. La direction de la compagnie aérienne se défend sur ce point. «Nous ne refusons pas le dialogue mais ce sont les interlocuteurs qui ne sont pas les bons», explique Mohamed Berrada, son PDG. La RAM refuse catégoriquement de discuter avec le nouvellement formé syndicat des techniciens aéronautiques du Maroc (STAM), constitué en juin dernier pour remplacer l’ATARAM, l’Association professionnelle des techniciens aéronautiques Royal Air Maroc. La différence entre les deux ? Celle qui sépare un syndicat qui aspire à une vocation nationale et une association professionnelle au sein d’une entreprise. Mais la RAM a un autre argument. «Ce syndicat n’est pas habilité à négocier puisqu’il n’est pas encore légalement constitué», affirme le PDG.
Un problème de discipline avant tout
Ceci pour la forme car, sur le fond, la grève est avant tout due, officiellement, au refus de certains techniciens d’accepter des changements de poste, se prévalant en cela d’un protocole signé en 1999 entre leur association et la RAM. Et c’est leur suspension qui a été le détonateur. Elle sera suivie par le licenciement de certains et la mutation d’autres, en l’occurrence le secrétaire général du syndicat et son adjoint. N’y avait-il pas moyen de procéder autrement ? «D’abord, que l’on me montre ce qui n’a pas été respecté dans ce protocole, affirme M. Berrada, ensuite, il faut bien comprendre que si chaque technicien travaille sur le poste ou l’appareil qu’il veut il n’y a plus de hiérarchie. Une compagnie aérienne travaille sur un modèle paramilitaire, il y va de la sécurité des gens. Un refus de travail doit être sanctionné. Enfin, je précise que les licenciements ont eu lieu bien après le déclenchement de la grève et surtout après que les techniciens en question n’aient même pas éprouvé le besoin de se présenter devant le conseil de discipline, à l’issue de trois convocations».
Tout cela justifie-t-il que 400 techniciens se mettent en grève ? Rachid Aboulfadl, DRH de la RAM, pense que oui. «Les liens corporatistes à l’intérieur de la compagnie sont très forts, et la plupart de ces techniciens qui ont été recrutés et formés par la RAM pendant deux ou trois ans se sentent obligés de faire grève par solidarité avec leurs camarades, même s’ils savent que ceux-ci ont tort».
L’explication est en partie vraie, mais derrière une simple histoire de manquement à la discipline, c’est surtout la transition de la compagnie aérienne, entreprise publique, à la générosité sociale légendaire, vers un modèle plus efficient, adapté aux contraintes de la mondialisation, qui explique la grève.
Des techniciens payés entre 15 000 et 27 000 DH nets
En effet, même si aucune revendication salariale n’est mise en avant par le syndicat, il faut savoir que la convention est arrivée à terme le 31 décembre 2004 et que, dès le 30 septembre de la même année, un nouveau cahier revendicatif a été présenté à la direction. Il contient une série de revendications d’ordre organisationnel et d’autres qui sont d’ordre salarial ou assimilé. Les techniciens demandent, entre autres, «la participation dans les bénéfices réalisés au titre des contrats de maintenance effectués pour les autres compagnies telles Air Sénégal, Régional Airlines, Air Mauritanie, Cabo Verde, etc». On trouve aussi des revendications, dont une prime spécifique – parce que les techniciens travaillent en anglais -, une prime de caisse à outils, une autre de pénibilité : le mécanicien d’avion travaille, peut-on lire, «à ciel ouvert, sous la pluie, le chaud, le froid et dans toutes sortes de situations, debout, allongé ou à l’envers».
«Les temps ont changé, explique M. Berrada. Nos techniciens sont bien payés et il est hors de question d’aller plus loin. Il y va de la survie de la RAM». Il faut dire que, jusqu’à aujourd’hui, la compagnie nationale sert à ses techniciens des salaires qui feraient pâlir d’envie bien des cades supérieurs. Constituée en majorité de diplômés de niveau bac ou moins, formée pendant trois ans par la RAM, la population des techniciens perçoit des salaires nets variant entre 15 000 et 27 000 DH nets. «Tant mieux pour eux, commente Mohamed Berrada, le PDG, nous ne remettons en cause aucun acquis social du personnel de la compagnie».
Les techniciens ont dû attendre qu’on discute avec eux de ces doléances. Il n’en fut rien, ce qui les a poussés à faire grève dans la foulée de la constitution de leur syndicat. Il faut dire qu’un précédent les encourage dans leur démarche. En 1998, lors d’un mouvement de grève similaire qui avait pour cause, entre autres revendications, le licenciement de 16 techniciens, le conflit avait pris fin suite à l’intervention du ministre de l’Intérieur d’alors, Driss Basri, qui aurait ordonné ni plus ni moins à Mohamed Hassad, le PDG de la RAM de l’époque, de satisfaire toutes les revendications des techniciens, y compris en annulant le licenciement des 16 techniciens et en accédant à leur demande d’augmentation. Sur ce sujet, Mohamed Berrada est très clair : «Le temps des interventions est fini. Primo, une faute professionnelle doit être sanctionnée, sinon il n’y aurait plus de discipline. Secundo, la RAM ne peut donner plus qu’elle n’a sous peine de faire faillite».
Et la sécurité des passagers dans tout cela ? Le président est catégorique : les avions de la RAM sont sûrs. «Un appareil ne peut décoller s’il ne présente pas toutes les garanties requises. Cela fait trois mois que nous subissons la grève, y a-t-il eu des retards, des problèmes sur nos avions ?», argumente-t-il. Plusieurs pilotes, sous couverts d’anonymat, ont fait part à La Vie éco de petits incidents ayant eu lieu récemment. «Doit-on en déduire automatiquement que ce sont des problèmes de maintenance ?», contre-attaque M. Berrada, des incidents ont toujours lieu, mais ils sont mineurs, les avions sont des appareils complexes. Mais je le dis encore et je le répète : les avions de la RAM sont sûrs.
«Nous avons dû adapter nos ateliers de maintenance»
La Vie éco : Une grève de quatre mois ce n’est pas un peu trop long ?
Mohamed Berrada :
Oui et j’en suis le premier étonné. Que cherchent les techniciens grévistes ? Leurs collègues ont failli à la discipline, ils ont été sanctionnés. On ne peut quand même pas fermer les yeux sur de tels actes, ce serait faire encourir à la RAM le risque d’être l’otage d’un chantage à chaque fois.
On reproche à la RAM de ne pas vouloir dialoguer…
Non, on lui reproche de ne pas dialoguer avec un syndicat qui n’a pas d’existence légale pour le moment et qui a appelé à faire grève avant même de chercher à négocier. Le rapport de force constitue-t-il la raison d’exister de ce syndicat ? Nous n’avons pas fermé la porte. Des délégués du personnel existent et, depuis le début, nous sommes disposés à discuter avec eux.
Négocier la réintégration des grévistes licenciés par exemple ?
Non. Ils ont commis des fautes professionnelles, ils en paient le prix.
Il y a quand même 400 personnes sans salaire depuis trois mois…
J’en suis le premier désolé mais pourquoi n’arrêtent-ils pas leur mouvement de grève. Ils se font du mal et j’ai vraiment de la peine pour eux.
400 grévistes sur 1100 techniciens, des craintes sont exprimées quant à la sécurité…
Je vais être très clair : les avions de la RAM sont sûrs et leur programme de maintenance est effectué en conformité avec les spécifications internationales. Nous ne badinons pas avec la sécurité.
Oui, mais avec la moitié des techniciens qui ne travaillent pas…
Nous nous sommes tout simplement adaptés en conséquence. D’abord en réduisant nos prestations en faveur des autres compagnies, ensuite en optimisant le temps de travail.
Et en délocalisant la maintenance à Perpignan…
Le recours à ces centres étrangers n’est pas nouveau, il s’impose dans quelques cas spécifiques de maintenance, mais l’essentiel est fait chez nous et continue à l’être.
On dit que la RAM paie des fortunes en devises à cause de cela…
C’est faux, nos charges de maintenance à l’étranger ont certes augmenté de 1,2 à 2 MDH par mois depuis les grèves mais notre masse salariale a également baissé de 9 MDH en raison de ces mêmes grèves.
Si bien que ça vous arrange…
Non, détrompez-vous, personne n’est satisfait de cette situation, à commencer par moi.
F.A. et M.M.