Centres d’appel : le casse-tête

Insatisfait des performances du personnel, l’un d’eux vient de relocaliser ses activités à Alès, en France.

L’atout de la main- d’œuvre qualifiée et bon marché au Maroc serait-il un mythe ? Après la société «Les Taxis bleus», qui avait sous-traité son centre d’appel à Casablanca avant de déchanter, au bout de trois mois, c’est au tour de la SHCA, Société d’hôtels des centres d’appel qui, elle, vient de quitter le Maroc pour relocaliser ses activités à Alès, en France. La société, spécialisée dans les prises de rendez-vous pour les professionnels, a jugé son expérience marocaine décevante en raison de l’inexistence de profils adéquats sur le marché.
Ce départ remet sur le tapis le problème des compétences. En clair, le niveau de qualification des téléconseillers reste le cauchemar des professionnels et la situation est encore plus grave pour les prestataires de services à destination de clients anglophones. Aujourd’hui, quelque 70 centres existent au Maroc et ils sont, pour l’essentiel, installés sur l’axe Rabat-Tanger-Casablanca.

1 233 personnes déjà formées par l’OFPPT
A la rareté des profils adéquats s’ajoute la rareté de la ressource même. Les professionnels estiment les besoins des centres d’appel, pour les deux ans à venir, à 250 téléconseillers par semaine, soit 13 000 par an. «A la fin, 30 % seulement de cet effectif se découvriront une vocation pour le télémarketing, les autres quitteront le secteur», estime, en connaissance de cause, Mohamed El Ouahdoudi, président du SICCAM (Salon international des centres d’appel au Maroc).
Où trouver ces profils ? En dehors de la population des diplômés chômeurs que constituent les licenciés et autres BAC+2, l’OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail) a mis en place un cursus dédié au métier de téléopérateur. L’objectif qui, affirme-t-on, sera atteint, est de former cette année 2 770 lauréats. Sur ce nombre, 1 233 sont déjà opérationnels. Ces programmes de formation ne sont pas seulement l’apanage des grandes villes. Settat, Berrechid mais aussi Oued-Zem, Sidi-Kacem et Ouazzane sont concernées. Pour 2006, l’objectif est de mettre sur le marché 2 885 téléconseillers. Le taux d’insertion est une source de fierté pour les responsables de l’office. «La totalité des lauréats des grandes villes comme Casablanca ou Tanger sont embauchés», déclare le directeur marketing de l’office.
Et pour les autres ? La moyenne nationale de 47 % permet de nuancer le satisfecit affiché. «Les lauréats de l’OFPPT sont principalement recrutés pour des donneurs d’ordre locaux. Les choses se corsent toutefois pour les appels déroutés vers l’international. Il existe un problème de profils, d’accent et de culture, principalement chez les francisants», déplore un responsable de l’AMRC (Association marocaine des relations clients). Le plan de formation sectoriel proposé par l’association devrait répondre en grande partie à ce besoin.

Un salaire compris entre 3 000 et 4 000 DH par mois
L’équation est de plus en plus difficile à résoudre : une demande croissante de la part des clients et un goulot d’étranglement en matière de production de services. Conséquence logique, la rareté des profils adéquats incite les meilleurs à surenchérir. Le turn-over est assez élevé. « Il atteint 8 % chez les téléconseillers orientés vers les marchés étrangers contre 1,5 % chez ceux spécialisés dans le marché local», indique un responsable de l’AMRC. Les opérateurs se livrent une rude bataille. Les meilleurs profils s’arrachent, mais pas toujours avec de gros chèques. «Souvent, ils quittent un centre pour rejoindre un autre pour quelques dirhams de plus, espérant y trouver un meilleur climat de travail», constate Mohamed El Ouahdoudi. Effectivement, les conditions de travail dans ce secteur sont réputées difficiles. Si l’on en croit M. Al Ouahdoudi, «le phénomène est moins courant chez les majors où l’on est plus soucieux des conditions de travail. En revanche, il y a des esclavagistes qui jouent avec le feu et exploitent les jeunes, oubliant que 70 % du succès d’un centre d’appel sont ses ressources humaines». Le niveau des salaires, beaucoup plus facile à jauger, montre effectivement qu’il y a beaucoup à faire. La rémunération nette d’un téléopérateur oscille entre 3 000 et 4 000 DH par mois. Le directeur du Siccam accepte mal les critiques relatives à la fiche de paie, soulignant que le niveau mentionné équivaut à deux fois le Smig. Et d’ajouter: «Il y a dix ans, les jeunes n’avaient aucun débouché. Aujourd’hui, ils ont la possibilité de travailler parallèlement à leurs études. Ceux qui estiment qu’ils valent plus n’ont qu’à chercher un travail ailleurs». Cet argument, qui cache une certaine gêne, prouve que les opérateurs tirent profit de l’état du marché du travail qui offre peu d’opportunités d’emploi.

El Hajeb aura son premier call center d’ici fin juillet
En dépit de ces problèmes, les opérateurs se montrent confiants dans l’avenir, estimant que les centres d’appel pourraient constituer le prélude à l’activité de l’off-shore informatique qui commence à prendre pied au Maroc. L’obligation de relever la qualité de service se traduira toutefois par une profonde restructuration. Les entreprises qui ne sont pas à la hauteur disparaîtront ou seront absorbées. Cela ne signifie pas que le secteur soit saturé. Bien au contraire. Mohamed El Ouahdoudi estime qu’il peut accueillir 25 centres de plus par an. Qui plus est, ils se développeront en dehors de l’axe Casa-Rabat-Tanger.
Un exemple édifiant, celui d’El Hajeb où l’on s’apprête à ouvrir un centre d’appel comprenant 200 positions et une réserve de 100. Le gouverneur de cette ville compte en faire un axe de développement socio-économique. «L’opération est menée par Web connect, actuellement en pourparlers avec plusieurs donneurs d’ordre», confie-t-on auprès du cabinet du gouverneur.