Reportage. Ce que “pèsent” les escargots

Business à part entière, l’élevage des escargots reste une activité méconnue. Nous nous sommes rendus dans une ferme d’élevage, aux environs de Rabat, dont le propriétaire ne fait encore qu’expérimenter avec les moyens du bord.

À quelques kilomètres après Dar As-Sikkah, l’usine à monnaie du royaume, se situant sur l’autoroute menant à Meknès depuis Rabat, une vaste forêt s’étend sur les deux bords de la route. Elle cache des fermes. L’une d’entre elles, à l’écart de la pollution de la ville, appartient à la famille de Karim Elamrani Jamal. Dans la propriété des siens, cet autodidacte héliciculteur a, en septembre 2017, mis en  place une serre de 100 mètres carrés, pour expérimenter l’élevage des escargots, avec pour objectif, à terme, de produire et d’exporter, si ses tests sont concluants.

Lorsque je parle aux gens de cette activité, ne se rendant pas compte de sa valeur, ils en rigolent”, nous dit cet hôtelier de formation pour expliquer à quel point cette activité est méconnue au Maroc. Or, l’héliciculture est une filière à très forte valeur ajoutée. “Quand on observe le nombre d’escargots de départ et la situation après la reproduction, on se rend compte du potentiel réel de cette activité”, poursuit-il. En effet, chaque escargot pond entre 80 et 120 oeufs après la reproduction. En moyenne, deux fois par an, le stock se multiplie par 100.

Aussi, en le titillant, l’escargot laisse couler une bave dont le prix peut atteindre 1800 euros le kilogramme, utilisé dans l’industrie cosmétique. Il peut aussi être vendu vivant, entre 17 à 25 DH/kg au marché local et de 30 à 50 DH/kg à l’export, notamment vers la France, l’Espagne et l’Italie. Le caviar de l’escargot (les œufs), lui, se vend à 2000 euros/kg, tant pour des usages cosmétique que gastronomique.

Mes escargots seront destinés aux restaurants, à l’étranger, en particulier. Sur les 100 mètres carrés dont je dispose, je peux récolter 1 tonne, soit un chiffre d’affaires de 30.000 DH, au minimum, chaque six mois. Si j’arrive à étendre la serre sur 1 hectare, il faut donc multiplier le tout par 10” nous détaille-t-il autour d’un verre de thé, en attendant le coucher de soleil pour voir sortir les escargots. Ce n’est que la nuit tombée qu’ils se réveillent pour se nourrir. Le reste du temps, ils demeurent collés aux plaques de bois, dans le noir. (visionner la vidéo).

“Pourquoi pas moi ?”

« En lisant un article sur l’élevage des escargots, que mon beau-frère m’avait envoyé, j’ai vite compris que ce business est rentable et ne nécessite pas de gros investissements», se remémore Karim, qui, en juin 2017, avait abandonné un poste dans un établissement hôtelier dans la ville ocre, pour rentrer à Rabat, sa ville natale. « J’ai des amis qui sont agriculteurs, sans aucune formation dans le domaine. Je m’étais dit, pourquoi pas moi ? », confie-t-il.

« J’ai commencé par un test de 7 escargots, qui se sont reproduits. J’ai ensuite acheté 7 KG que j’ai mis dans une pièce chez moi, et ça a pris », raconte-t-il. Sauf que, étant uniquement dans l’expérimentation et ne comptant que sur ses lectures, « j’ai perdu 80% du cheptel. Car je n’avais pas observe les conditions adéquates en termes de température et d’humidité, après avoir construit la serre, à 30 000 DH, ainsi que le système d’irrigation », reconnait-il. Déterminé à réussir son projet, il a recommencé avec 25 autres kilos, avec l’aide de Lahcen, employé dans la ferme depuis une trentaine d’années. “Sans Lahcen, ce projet n’aurait pas pu voir le jour, c’est lui qui s’occupe de la serre quand je suis à Rabat où j’ai un autre travail en parallèle“, tient-il à préciser.

A présent, il attend que son cheptel atteigne une taille critique pour pouvoir le commercialiser. Pour développer la production, il faut passer par quatre étapes : la reproduction, l’incubation des œufs dans une pièce qui répond à des paramètres précis d’ergométrie et de température. S’ensuit l’éclosion des œufs, la mise des “bébés” dans une nurserie avant qu’ils soient libérés, quelques semaines après. La dernière étape est l’engraissement : alimenter les escargots par des compléments alimentaires, jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité, en développant une petite casquette.

Même si certaines conditions ne sont pas remplies, Karim Elamrani veut aller jusqu’au bout dans son aventure d’héliciculteur, en autodidacte. Des conditions qu’il résume dans : l’information et la formation. « D’une part, les opérateurs ne partagent pas leurs expériences, et les formations dans la filière d’héliciculture sont quasi inexistantes au Maroc, d’autre part », regrette-t-il. Une lueur d’espoir existe : la signature d’un partenariat avec les producteurs italiens pour le développement de la filière au Maroc, qui a été initié par la Fédération interprofessionnelle de l’héliciculture (FIH). Selon lui, « si ce partenariat se concrétise, il sera possible de bénéficier du savoir-faire des Italiens ainsi que de leur expertise dans le domaine, et ce sans omettre le potentiel d’exportation ».