8 000 lots de terrain en déshérence dans les zones industrielles !

Sur 10 800 lots attribués, 3400 seulement abritent des usines et 1300 des unités en cours de construction

Plus de 6000 lots attribués sont restés inexploités à ce
jour

Les pouvoirs publics envisagent de récupérer à l’amiable
ou par voie judiciaire les lots inexploités.

LeMaroc est le pays des paradoxes ! ceux qui le disent n’ont pas tort. La commission des investissements passe une grande partie de son temps sur les problèmes liés au foncier : chercher des terrains, apurer leur situation juridique, évaluer les prix… A plusieurs reprises, pour ne pas perdre un gros projet, l’Etat a dû céder des terrains domaniaux. Pourtant, des milliers de lots de terrain, représentant autant d’hectares, sont en souffrance dans les différentes zones industrielles à travers le pays. Les chiffres à fin août 2005, fournis par le ministère de l’Industrie et du Commerce, sont impressionnants. Sur près de 10 794 lots attribués dans les 78 zones industrielles existantes – ou en cours d’achèvement -, seuls 3 400 lots abritent des unités de production opérationnelles et 1 300 des unités en cours de construction.
Le fléau, nous dit-on au ministère de l’Industrie et du Commerce, n’est pas nouveau. Le département y travaille plus activement depuis près de cinq ans avec le ministère de l’Intérieur et plus exactement la direction générale des collectivités locales (DGCL). Pourquoi l’Intérieur ? Parce que, de tout temps, l’attribution des lots en zones industrielles a relevé de commissions au niveau local présidées par les gouverneurs. En 2000 déjà, une première commission itinérante comprenant les départements concernés avait fait une tournée à travers certaines régions pour évaluer le volume des lots en souffrance. Suite à quoi les gouverneurs et autres agents d’autorités locale reçurent une première circulaire les exhortant à récupérer les lots de terrain attribués et en déshérence ou inexploités. Mais cette première opération n’eut que des résultats de faible portée. Deux ans après, on refait les comptes : suite à cette fameuse circulaire, les gouverneurs avaient récupéré, en tout et pour tout, quelque 200 lots industriels. C’est alors que les pouvoirs publics décidèrent de passer à la vitesse supérieure. Une seconde commission sort sur le terrain et, en 2004, une seconde circulaire est envoyée aux gouverneurs leur demandant cette fois d’être plus rigoureux.

Le ministère de l’Intérieur envisage de recenser les lots non mis en valeur
L’Etat ne compte pas en rester là. Aujourd’hui, au ministère de l’Industrie et du Commerce, on envisage de plus en plus la voie judiciaire pour exproprier ces pseudo investisseurs possédant des lots industriels depuis des années pour des raisons souvent spéculatives. Toutefois, le ministère de l’Intérieur devra au préalable dresser une nouvelle liste exhaustive des attributaires des lots selon les catégories. En effet, dans certains cas, les lots restent inexploités non pour des raisons spéculatives mais plutôt pour des raisons inhérentes au projet, comme le manque de financement ou le fait que le promoteur vit à l’étranger.
Depuis 2004, la direction de la planification et des études (ministère de l’Intérieur) tente de dresser cette liste. Mais ce ne sera certainement pas une partie de plaisir et ce pour plusieurs raisons. La première réside dans le volume important de ces lots en souffrance. Il s’agit aujourd’hui de pister quelque 6 000 lots industriels, de déterminer, en plus des coordonnées des attributaires, les raisons pour lesquelles ils n’ont pas exploité leurs terrains et décider d’entamer ou non la procédure d’expropriation.
D’après les informations dont nous disposons, sur les 9 450 lots répartis dans les 58 zones industrielles aujourd’hui opérationnelles, 8 000 lots sont déjà attribués, parfois même depuis des années. Or, sur ces 8 000 lots, seuls 3 000 abritent déjà des unités et 950 sont en cours de construction. Le reste, environ 4000, sont restés jusqu’à ce jour de simples terrains nus, parfois clôturés. A ceux-là, il faut ajouter 8 zones industrielles en cours d’aménagement où 238 lots seulement sont déjà opérationnels sur un total de 1641 attribués et, enfin, 12 anciennes zones industrielles laissées en déshérence depuis plusieurs années et qui comptent seulement 139 unités de production sur un total de 1 112 lots déjà attribués (voir tableau ci-contre). En tout, on ne connaît pas le sort de près de 6 111 lots en zones industrielles, sans oublier les 2 520 lots sur les 13 300 produits qui ne trouvent toujours pas preneur depuis des années.

En définitive, près de 8 600 lots de terrain sont en souffrance au moment où, d’un autre côté, des investisseurs, aussi bien les gros que les jeunes promoteurs, se plaignent du manque de foncier.
Comment en est-on arrivé là ? La réponse n’est un secret pour personne. De tout temps, l’attribution de lots en zones industrielles était laissée à la discrétion des commissions locales présidées, dans la plupart des cas, par les gouverneurs.

Certains propriétaires ont obtenu des lots industriels gratuitement
Certes, comme l’explique Mohsine Semmar, directeur de la planification et des études au ministère de l’Industrie et du Commerce, «les modalités d’attribution ont évolué vers plus de transparence et de rigueur, particulièrement depuis 1995». En effet, depuis 10 ans, l’attributaire d’un lot industriel est tenu par ce qu’on appelle une clause de valorisation qui l’oblige à réaliser le projet sur lequel il s’est engagé dans un délai de 36 mois. Pour M. Semmar, «c’est une des manières d’immuniser les zones industrielles contre le fléau de la spéculation». Mieux, si le promoteur n’engage pas les travaux de construction dans les 12 mois qui suivent l’attribution, il encourt des pénalités. Si au bout de 24 mois rien n’est fait, l’Etat est en mesure de lui retirer légalement le lot. De telles dispositions ont certainement contribué à éradiquer la spéculation. Il n’en demeure pas moins que l’héritage de la période antérieure est très lourd. Aujourd’hui, on trouve de tout dans les listes des attributaires des lots industriels. Certaines personnes n’ont strictement rien à voir avec l’industrie et sont mues uniquement par la spéculation. Comble, la commission qui travaille sur le dossier a même relevé des cas où certains se retrouvent propriétaires de lots industriels à zéro dirham. Bien entendu, dans d’autres cas, l’attributaire a réellement un projet, mais n’a jamais pu démarrer pour des raisons qui lui sont propres.
Devant la multiplicité des cas, les pouvoirs publics ont décidé de procéder en fonction des catégories. Le mot d’ordre a été ainsi donné aux autorités locales pour récupérer d’abord ce qui est le plus facilement récupérable. Pour le reste, l’administration agira selon les cas. Aux vrais promoteurs qui n’ont pas pu réaliser leurs projets, des délais seront donnés soit pour entamer la construction soit pour restituer les lots. Pour les récalcitrants, qui ne répondront pas aux différentes mises en demeure et autres relances, l’administration envisage des poursuites judiciaires en vue de les exproprier pour des raisons d’utilité publique.

Des lots industriels devenus, au fil des années, des terrains vagues.