2010, encore la crise ou enfin la reprise ? Salaheddine Mezouar se montre rassurant

La relance des exportations constitue l’enjeu majeur pour l’année.
Les mesures de soutien maintenues pour six mois encore et une orientation vers des gains de parts de marché est jugée nécessaire.
Pas de facteur susceptible de freiner la croissance de la demande intérieure : «Il faut croire en la croissance».
A terme, la dégradation des comptes extérieurs peut poser des problèmes de financement de l’économie, le recours à  l’emprunt extérieur ne saurait tarder.

C’est à un exercice ardu que Salaheddine Mezouar, ministre de l’économie et des finances, a été invité par La Vie éco, jeudi 18 mars, dans le cadre d’un dîner-débat -organisé en partenariat avec Radio Aswat- et au cours duquel il devait répondre à la question posée par le thème défini : 2010, encore la crise ou enfin la reprise ? Il faut dire que le sujet alimente tous les débats en ce début d’année où l’économie connaît un ralentissement palpable. Il n’est donc pas étonnant que chefs d’entreprises et cadres dirigeants aient constitué l’essentiel de la nombreuse assistance (250 personnes) venue écouter les propos de l’argentier du Royaume qui, après avoir fourni des explications, a répondu aux questions de deux contradicteurs : Mohamed Horani, président de la CGEM et Larabi Jaïdi, économiste.

Des parts de marché à chercher à l’étranger

Qu’a donc dit Mezouar à propos de cette crise et de l’horizon de son dépassement ? Si l’année 2009 a été marquée par l’impact de la demande étrangère sur les exportations, le tourisme et les transferts de MRE, le Maroc s’en est globalement bien tiré, grâce notamment à la demande intérieure et une bonne année agricole. Il faut dire qu’avec un PIB en progression de 5,3%, le Royaume a réalisé l’un des plus forts de croissance au niveau mondial. En revanche, estime-t-il, la crise a révélé des fragilités structurelles à qui le Maroc doit apporter une réponse.
La plus grande inquiétude est celle des exportations. En 2009, elles ont chuté de 19,2%, les transferts de MRE et les recettes touristiques n’ayant, eux, varié négativement qu’entre 5 et 6%. Résultat : plusieurs secteurs affectés et des réserves en devises qui ont baissé de 3,6% ne couvrant plus que 6,7 mois d’importation. Face à cela, le ministre explique que la réponse de l’Etat a été graduelle selon la dégradation des indicateurs, mais très rapide, une fois la décision prise, grâce à la mise en place d’un comité interministériel de veille stratégique. Il en a résulté une batterie de mesures de soutien qui ont permis de limiter la chute. «Il y a donc bel et bien eu crise sur le créneau des exportations, reconnaît-il, tout en ajoutant que le pire est derrière nous, puisque le commerce mondial qui a reculé de 12% en 2009 devrait évoluer positivement de quelque 6% cette année». Mais, faute d’un effort commercial, la reprise risque d’être très timide, juge-t-il. Pour M. Mezouar, le redémarrage de l’économie européenne, dont une majeure partie de nos exportations est dépendante sera non seulement lent et progressif mais, de plus, n’interviendra pas avant le deuxième semestre de l’année en cours. «Il faut donc prospecter d’autres marchés», martèle-t-il, en faisant notamment référence à l’Afrique, regardée comme un débouché d’appoint, alors qu’elle pourrait devenir la locomotive de nos ventes à l’étranger. A ce sujet, le ministre note, par exemple, que le secteur du médicament pourrait devenir un des métiers mondiaux du Maroc, en sus de ceux définis par le pacte national pour l’émergence industrielle. En 2010, les mesures de soutien déjà accordées à certains secteurs exportateurs devraient être maintenues pendant le premier semestre de l’année, mais «il faudra également s’adapter à la conjoncture de 2010 qui est différente de celle de 2009. Il y a des opportunités à prendre, nous allons orienter le tir vers ce qui peut nous faire gagner des parts de marché. 2009 a été une année de préservation de débouchés, 2010 doit être une année de relance des exportations». En attendant, il convient tout de même de signaler que lesdites exportations ont bien mal entamé l’année. Au titre du mois de janvier, et hormis celles de phosphates et dérivés, les exportations sont en recul pour des produits phare :  -27% pour le textile et -31% pour les produits finis d’équipement.

Pourquoi la demande intérieure est-elle en berne depuis le début de l’année ?

Autre volet de questionnement à propos de la crise, celui de la demande intérieure et tout particulièrement la croissance des ménages. Elle a constitué ces dernières années un important moteur de croissance et en 2008 a affiché une évolution supérieure à 10%. En 2009, année de crise, si la consommation des ménages n’a progressé que de 5,2%, elle reste largement positive. Qu’en sera-t-il en 2010 ? En dépit de la deuxième baisse consécutive de l’IR, après celle de 2009, la consommation ne semble pas très dynamique. En témoignent les informations recueillies par La Vie éco sur la morosité des ventes de la grande distribution ou encore la baisse de 9% des ventes d’automobiles pour les deux premiers mois de l’année. Il est vrai, en partie, que les mauvaises conditions climatiques ont généré un ralentissement d’activité, mais les chiffres sont corroborés par des statistiques livrées provenant des enquêtes de la CGEM et que Mohamed Horani a livrés lors de ce dîner-débat. Pour le patron des patrons, 50% des entreprises interrogées, dans le cadre de la dernière livraison du baromètre trimestriel de la confédération, pensent que la reprise ne se fera qu’en 2011. «80% sont optimistes mais, dans le même temps, 60% sont inquiets pour l’année en cours et le premier sujet de leur inquiétude est la concurrence déloyale. Penser à doper les exportations c’est bien, mais il faut également prévoir des mesures pour freiner la croissance des importations et permettre au tissu local de se développer grâce à la demande du marché intérieur», explique M. Horani. Des arguments auxquels le ministre de l’économie n’est pas insensible. Toutefois, estime-t-il, «il y a un facteur important qui a créé la morosité au niveau local, c’est celui de cet état d’esprit qui règne et qui fait contagion. Se voir en crise, en parler et propager cette idée c’est créer la crise là où elle n’existe pas. Il faut positiver. Il n’y a pas de crise sur le plan intérieur», insiste-t-il.
Enfin, troisième volet abordé, celui des Finances publiques et des ressources de l’Etat. Avec un déficit de 2% cette année et de 4% en 2009, des recettes MRE et de voyage en baisse, «comment l’Etat peut-il mener à bien son programme de soutien à l’économie et surtout financer ces déficits que l’on ne voit pas, comme celui des retraites et des mutuelles qu’il faudra réformer et qui poseront problème au cours des années à venir ?», s’interroge Larabi Jaïdi qui souligne déjà que le système bancaire est à la limite du taux maximal autorisé d’utilisation de ses ressources. «Un problème de financement de l’économie risque de surgir au moment où l’Etat ne dispose pas d’une marge de manœuvre des plus larges», poursuit l’économiste.
Pour Salaheddine Mezouar, le Maroc faiblement endetté, sur le plan extérieur, dispose de quoi faire face à ses engagements à venir. L’argentier du Royaume veut rester optimiste, mais prudent…