10% du poulpe destiné à l’export est d’origine frauduleuse

Les professionnels crient à une hausse de la pêche informelle. Un collectif est en cours de création.
Le département de tutelle minimise l’impact de cette activité.
L’Office national des pêches (ONP) soutient que son dispositif de contrôle fonctionne bien.
En quelques semaines, des dizaines de tonnes de poulpe ont été saisies à Laâyoune, Agadir et Tiznit. Depuis près de sept semaines, la pêche au poulpe au large des côtes atlantiques sud est interdite en raison de l’arrêt biologique qui s’étend jusqu’au 15 juin décrété par le département de tutelle, et «pourtant, du poulpe de contrebande est toujours en circulation, au vu et au su de tout le monde ». C’est le constat fait par plusieurs professionnels du secteur.
Du côté de la pêche artisanale, par exemple,Hassan Talbi, président de l’Association des propriétaires de barques artisanales, proteste contre tous ceux qui pointent du doigt les pêcheurs artisanaux à chaque fois qu’il s’agit de poulpe pêché illicitement arguant que la responsabilité incombe à tout le monde, département de tutelle et Office national des pêches notamment. «Dans le site de Ntireft (NDLR : un des trois sites de pêche au poulpe aménagé par l’ONP pour les barques artisanales, à 65 km au nord de Dakhla) et à l’heure o๠je vous parle, des barques sont en train de pêcher sans être inquiétées. Leur poulpe est acheminé vers des unités de congélation qui attendront certainement le début de la prochaine campagne pour le mettre sur le marché», fait remarquer ce professionnel. Même son de cloche du côté de Mohamed Bazzine, président de l’Union des associations de pêche côtière du sud. «Ce poulpe est acheminé vers les ports du nord et vendu grâce à des factures fictives », explique-t-il.
Même dans le camp des armateurs hauturiers, cette pêche illicite est dénoncée. «Nous avons déjà envoyé plusieurs courriers au ministère et à l’ONP. A l’occasion de plusieurs réunions, nous avons attiré leur attention de sur la gravité de la situation. Mais sur le terrain, les choses n’ont pas vraiment changé», souligne pour sa part Rachid Benkirane, président de l’Association professionnelle des armateurs de pêche hauturière au Maroc (Apapham).
Du poulpe à Dakhla et… à Nador
Pourtant, pour le département des pêches maritimes comme pour l’Office national des pêches, cette pêche illicite est négligeable. «Le terme même de contrebande est trop fort à mon sens. Nous parlons plutôt d’activité informelle», rectifie d’emblée Majid Kaà¯ssar El Ghaà¯b, DG de l’ONP. Ce dernier reconnaà®t que la situation était dramatique entre 2002 et 2004. Durant ces trois années, près de 33 000 tonnes de poulpe ont été pêchées de manière illégale. L’ONP s’est fondé sur ses propres statistiques de débarquement et celles se rapportant à l’exportation de cette espèce fournies par l’Office des changes. «Mais depuis la mise en place du plan d’aménagement poulpier et les différentes mesures de traçabilité qui ont suivi, cette activité illicite n’est plus pratiquée de manière aussi importante», précise le DG de l’ONP.
Les professionnels ne sont pas d’accord. Ils en donnent pour preuve formelle les statistiques même de l’ONP concernant les débarquements de céphalopodes dans différents ports de pêche du pays. En effet, en 2006 par exemple, 1 106 tonnes de ces espèces ont été pêchées à Dakhla, l’un des principaux ports de débarquements du sud.
La même année, la halle de Nador a enregistré 1 164 tonnes de la même espèce. «Or, tout le monde sait qu’en Méditerranée le poulpe n’est pas aussi abondant qu’au large des côtes atlantiques sud. Ces débarquements officiels montrent que plusieurs halles du nord du pays sont utilisées pour blanchir du poulpe pêché au sud», explique un professionnel.
Grâce à la traçabilité du poulpe, la pêche illicite a chuté
Poussant l’enquête un peu plus loin, LaVie éco a pu se procurer quatre bulletins de pesée, enregistrés sur le site de Ntireft au profit d’une seule entreprise, avec moins d’une minute entre la première et la quatrième pesée. «Si l’on sait que chaque bulletin porte sur 500 kg, on se demande comment ils ont fait pour les peser en ce laps de temps», ironise ce professionnel. «Des petites failles existent. Mais ce n’est pas pour autant qu’on va dénigrer l’effort colossal qui est fourni pour combattre ce fléau», souligne Majid Kaà¯ssar El Ghaà¯b.
En effet, et de commission de traçabilité de la commercialisation du poulpe a été constituée en partenariat avec la division des industries de la pêche et des services vétérinaires. Ainsi, l’ONP collecte et enregistre les informations nécessaires lors des opérations quotidiennes, grâce à l’informatique.
Ces informations sont stockées sur une base de données nommée Octopus qui, à chaque moment, permet de suivre l’itinéraire du poulpe pêché. En novembre 2006, cette commission a instauré un contrôle à priori, et non après l’export comme c’était le cas auparavant. Un mois plus tard, ces nouvelles mesures ont permis l’inspection et la vérification de 1 500 tonnes de poulpe. Résultat : 10 % des captures se sont avérées être de contrebande. Il s’en est suivi des amendes d’un montant global de 8 MDH et des actions en justice pour faux et usage de faux documents officiels.
La dernière inspection, intervenue il y a quelques semaines, n’a prononcé que 2 MDH d’amende. «Ce qui signifie que le système marche», conclut le DG de l’ONP. Ces arguments s et ces preuves ne suffisent pas, pourtant, à convaincre les professionnels qui continuent de soutenir que le fléau est bien plus grave qu’on ne le croit. Qui dit vrai ?
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Il est des indices qui ne trompent pas. C’est le cas des bulletins de pesée qu’a pu se procurer «La Vie éco», délivrés par l’ONP sur le site de Ntireft, et qui révèlent des anomalies flagrantes. Datés du 2 décembre, ces bulletins sont libellés au profit d’une seule société pour un total de deux tonnes de poulpe pêchées par quatre barques différentes. Première anomalie : le poids constant pour les captures des quatre barques, à savoir 500 kilos (ronds) chacune. Seconde bizarrerie : les quatre barques ont pesé leur débarquement entre 7h43 min 21s et 7h43 min 31s, soit deux tonnes en dix secondes ! Une telle opération étant techniquement et matériellement impossible, l’explication serait qu’il s’agit tout simplement soit de faux documents soit de simulations de pesée. Première conclusion : ces deux tonnes de poulpe ne peuvent avoir été pêchés ce jour-là. Deuxièmement, si ce poulpe avait été pêché en période légale, il aurait été débarqué et pesé normalement. A moins qu’il n’ait été pêché en période d’arrêt biologique et que les faux bulletins ou la fausse pesée ne soient juste un artifice pour le «blanchir» ! |