Timitar, un million de festivaliers chauffés à  blanc !

La programmation consensuelle du Festival Timitar a attiré plus d’un million de visiteurs
à  Agadir. Un public exceptionnel qui, du 11 au 16 juillet, a su galvaniser les artistes par son entrain. Côté artistes, on a pu admirer les plus grands, comme Jimmy Cliff, Mami, Najat Atabou ou Ammouri M’barek, et on a eu des coups de cÅ“ur, comme le groupe kabyle Mugar. Récit.

L’inlassable directeur artistique de Timitar, Brahim El Mazned, se plaà®t à  faire monter les journalistes jusqu’en haut de la tour de la régie d’o๠l’on obtient une vue imprenable sur le public de la place Al Amal. Tout au long du festival, le spectacle est invariable : un déferlement qui enfle jour après jour jusqu’à  se transformer, le soir de la clôture, en un ras-de-marée. Dimanche 16 juillet, il n’y a pas que le site principal de Timitar à  faire le plein, mais aussi ses abords, qui sont noirs de monde, au point d’obliger la police à  barrer les voies y menant. Il faut dire que ce soir-là , le plateau est particulièrement relevé, avec une entrée chevaleresque (danse du sabre du groupe Daqat Saà¯f de Zagora), un entremets trépignant (Doudou N’Diaye Rose, père de 42 enfants et orfèvre de jembé), un mets à  double saveur (Mugar, qui entrelace musiques amazighe et celtique), et un plat de résistance sucré (Cheb Mami, l’indétrônable prince du rai). Rien que stars adulées à  qui, pourtant, le public vole la vedette.
On ne manque pas d’être irrésistiblement happé par ce public, qui, non seulement se rend en nombre impressionnant dans les trois sites du festival, mais y accomplit une singulière prestation, en donnant de la voix, en chantant à  tue-tête, en dansant avec entrain, en galvanisant les artistes, en les chahutant gentiment parfois, et en les applaudissant souvent. Ce qui ne peut que réchauffer le cÅ“ur des organisateurs, dont la naturelle angoisse s’est apaisée, d’entrée de jeu, au vu de cette adhésion inouà¯e. Fatima-Zahra Ammor, directrice de Timitar, ne cesse de répéter qu’il est «fantastique». Pour lui, Abdellah Rhallam, président de l’association Timitar, a un «coup de cÅ“ur». Brahim El Mazned en exalte les vertus en ces termes : «J’éprouve une grande joie au constat que le festival est porté de bout en bout par le public. Un public largement diversifié et très enthousiaste. Et, en plus, irréprochable, à  l’image de ces nombreux jeunots qui s’éclatent sur la scène Bijaouane, puis rentrent tranquillement chez eux».
En s’engageant corps et âme dans le festival, les Soussis démontrent qu’ils savent faire la fête, même sous un ciel menaçant. Surtout quand les 462 000 habitants d’Agadir, ville o๠l’on vient plutôt pour se dorer au soleil que pour solliciter ses gambettes, reçoivent, en 6 jours, plus d’un million de personnes qui transforment cette kermesse en l’un des plus gros événements musicaux du Maroc. Certains n’hésitent pas à  dire «le plus grand». C’est dans le but de célébrer le patrimoine musical amazigh et de le faire partager aux musiques du monde que Timitar a été lancé, il y a trois ans. En peu de temps, il s’est imposé dans le gigantesque, grâce, entre autres, à  la mobilisation d’un millier de personnes, l’implication d’une centaine de bénévoles, le soutien inconditionnel des autorités locales et l’abnégation obstinée de Fatima-Zahra Ammor, Abdellah Rhallam et Brahim El Mazned.

Des VIP qui entonnent en chÅ“ur le refrain de «Reggae night»
Depuis 2004 et ses 400 000 visiteurs de la première édition, l’événement prospère sur ce terreau soussi, si riche en musiques, tellement privé de festivals. «Un des mérites de Timitar est de permettre de rectifier la fausse image du Soussi près de ses sous et ne s’offrant jamais le moindre loisir. Dans le Souss, on aime faire la fête, et cela sans se préoccuper des fossés de générations», soutient un universitaire. De fait, la programmation de Timitar est vouée au consensus, au point de faire penser à  une fête de mariage o๠le DJ chercherait à  faire danser les gamins autant que les oncles et les mamies. Aux côtés des forçats des festivals – Oumou Sangare, Najat Atabou, Doudou N’Diaye Rose, Cheb Mami – et d’une brochette de jeunes loups – H. Kayne, Fnaà¯re, Mikea, Binobin, Monsif – on trouve cette année, la casquette à  l’envers de Jimmy Cliff, les doctes hublots de Ammouri M’Barek et la sobre tunique beige de Jil Jilala.
D’autant que l’actualité peut croiser la nostalgie. Ex-adolescents du début des années 1970 et teenagers ont pu se fédérer, durant la soirée d’ouverture, autour de ceux qui furent l’épine dorsale du reggae (Jimmy Cliff), de la chanson amazighe moderne (Ammouri M’Barek) et du protest song à  la marocaine (Jil Jilala). Après l’alléchante mise en bouche proposée par l’ensemble Aglagal de Tiliouine, c’est le Jamaà¯cain qui prend possession de la scène. L’expression est à  prendre dans son sens plein, tant la présence du chanteur est du tonnerre. Le sexagénaire ne tient pas en place, arpente le podium de part en part, saute comme un cabri, lève les bras au ciel, se met en position de prière. Et surtout chauffe la foule par des «Hé Agadir, hé Morocco, hé Jamaà¯ca !», «Tout le monde il sings». Et le public, qui a appris que Cliff est marié à  une Marocaine, lui obéit au doigt et à  la voix, répétant après lui les mots qu’il a tressés. Quand il entonne Reggae nights, les VIP, jusque-là  engoncés dans leur importance, se lèvent comme un seul homme pour en répéter le refrain. On peut être un notable, on n’en a pas moins été jeune. Après douze chansons, menées à  une cadence étourdissante et une démonstration de percussions de haute tenue, le virevoltant Cliff se retire sous les youyous, les acclamations et une valse de briquets allumés.

Najat Atabou a asticoté les hommes en mettant la Moudawana en chanson
Ammouri M’Barek prend le relais, le public s’enfièvre. Et la fièvre monte encore et encore quand il se met à  interpréter les chansons de son nouvel album Afulki. Avec Manzak a Yan Igh D Isawel, c’est la montée d’adrénaline. La suite est à  l’avenant. L’orphelin, qui avait perdu sa langue maternelle pour ne la retrouver qu’à  la post-adolescence, l’écorché vif inconsolable du piteux ratage du groupe Ousman, dont il était l’âme ardente, l’errant rimbaldien sans amarres ni boussole, semble avoir acquis, enfin, une certaine sérénité. Son art s’en ressent. Le public y est sensible et le fait savoir. Ce public nullement sectaire mais plutôt boulimique de musiques, ne se fait pas faute d’acclamer le groupe Jil Jilala à  son entrée, qui n’en revient pas d’être si chaudement accueilli. Aussi met-il du cÅ“ur à  l’ouvrage, retrouvant, du coup, sa splendeur d’antan. Son ancien répertoire est chanté comme il ne l’a plus été depuis longtemps. Prenant. La foule est sous le charme, tantôt réceptive, tantôt active. Après avoir chanté Chamâa, le groupe fait mine de regagner sa loge, le public le retient, réclame sur l’air des lampions «Darat bina doura». Il s’exécute. Des «bis, bis !» retentirent. Il s’incline. Le bonheur enfantin de Jil Jilala restera un des plus beaux moments du festival.
La deuxième soirée est dédiée aux femmes. Et pas n’importe lesquelles ! Cherifa, Malouma, Oumou Sangare et Najat Atabou sont réputées pour leur force de caractère et leur tempérament parfois bouillant. Cherifa Karsid est passée de l’état de bergère à  celui d’étoile de la chanson du Moyen-Atlas, avec une transition nommée Rouicha. Il fut son Pygmalion, elle fut sa muse. Mais une muse ambitieuse, qui se libéra, il y a dix ans, de son ombre tutélaire, pour voler de ses propres ailes. Aujourd’hui, elle est devenue une véritable vedette internationale.
Malouma bint Meidah a été nourrie au lait griot, par les soins de son père, Mokhtar Ould Meidah, maà®tre en la matière. Après moult échecs et autant d’éclipses, elle a trouvé enfin sa voie, avec sa façon de sculpter dans le hassani, la musique orientale, le blues et le reggae.
Les sonorités de Mugar, mix amazigh-celtique, ont étonné
Najat Atabou ne fit son entrée en musique que par le hasard d’une chanson chantée dans l’intimité et rendue publique à  son insu. Ce qui ne l’empêcha pas d’exploser et de devenir la figure de proue de la variété populaire marocaine.
On sait que les artistes poids plume ne passent pas la rampe visuelle. Aussi les quatre dames assez plantureuses prennent-elles, ce soir-là , leur majestueuse ampleur devant l’immense foule acquise à  leur cause. Toutes font preuve d’une présence impressionnante, tout buste et gosier déployés. Le public chavire à  l’écoute de ces boules d’énergie vocale stupéfiante. Malouma pousse sa chanson inédite, Casablanca, et c’est la joie dans les rangs. Et lorsque Najat Atabou taquine la gent masculine, en expliquant en chanson la Moudawana aux femmes, les hommes y vont de leur bronca bon enfant, les femmes sont aux anges.
Ce ne sont pas là  les seuls moments forts de cette édition, qui en compte une foison. Citons, en vrac, le concert du Sergent Garcia, dont la faculté de combiner reggae, salsa, son, cha cha cha, ska, rumba et ragga, prouve surtout que le plaisir peut naà®tre en des recoins inexplorés. H-Kayne, groupe né entre le pavé meknassi et la rue Montpelliéraine, enflamme la jeune foule de la scène Bijaouane, grâce à  son hip hop déjanté. L’Orchestre national de Barbès, qu’on avait perdu de vue, nous offre, en guise de retrouvailles, un mélange d’instruments traditionnels et modernes, accompagnant le chaâbi, le gnawi, la chanson marocaine. De Touria à  Ha houma jaw en passant par Mal hbibi malou aliya, restituées avec un enthousiasme contagieux et ponctuées d’adresses au public, du genre : «Est-ce que vous pouvez crier jusqu’aux étoiles ?». Desert Rebel, groupe venu tout droit du Niger, et emmené par Abdallah Ag Oumbadougou, symbole vivant de la révolte touarègue, ne passe pas inaperçu. Le jeune groupe marrakchi, Fnaà¯re, fait rapper frénétiquement tendrons et jeunes. Le Sénégalais Doudou Ndia Rose et ses batteurs composent une symphonie passionnante. Le public est emballé. Il n’émerge de son enchantement que pour plonger dans un autre, suscité par Mugar. Un ensemble qui ne manque ni d’allure, ni d’originalité par sa façon d’accorder musiques amazighe et celtique. Une rencontre, c’est la traduction du mot kabyle mugar, improbable et pourtant réussie grâce au talent du groupe. Pour la majorité du public, c’est l’un des coups de cÅ“ur de la 3e édition de Timitar, dont la rencontre, l’échange, la communion ont été les règles d’or