Le Maroc raconté à  travers l’image

Dans les librairies les beaux livres et les livres de photos sont à  l’honneur.
Quand la carte postale parle, l’histoire se livre.
Les villes marocaines dans les années 20, la collection à  avoir chez soi.

Les livres de photographies, de cartes postales, les beaux livres sont à la une. Les photos parlent. Elles racontent les villes qu’elles illustrent : elles disent le passé, on y retrouve aussi le présent, ça situe, ça fait rêver. Combien d’entre nous se sont laissés aller à vivre une histoire d’amour avec une ville simplement à travers une image ? La photographie est un art qui se situe en dehors du temps. La carte postale cartonnée jaunie, s’écorne, mais l’image qu’elle véhicule ne prend aucune ride. Un livre photos est un très beau cadeau qui permet d’explorer le monde… Mais avant d’aller vers le monde, commençons par le Maroc.
C’est vers cette recherche qu’est allé Abdelkader Retnani en lançant sa  collection de livres de cartes postales des années 20. On peut dire que l’effet est saisissant. Les ouvrages commémoratifs sont souvent rébarbatifs mais la carte postale permet sous une apparente légèreté d’aller au fond des choses. Tant mieux !
L’éditeur de La croisée des chemins s’est donc lancé dans un fastidieux travail de recherche à travers les photographies. Il s’est aussi astreint à un travail d’archiviste fouillant et révélant des petits textes qui décrivent ces années de début du XXe siècle. Dans les librairies on peut parcourir également, à travers cette nouvelle collection : Marrakech, Fès, Rabat-Salé, Meknès et Casablanca. Pour Retnani qui a dirigé ces travaux, ce sixième livre n’est certainement pas le dernier : «Je suis heureux de prolonger cette rétrospective dans le temps et l’espace marocain. Après Oujda, ce sera le tour de Tanger, de Tétouan et d’Essaouira», promet-il.
Mohamed Ben Brahim, JP Péroncel-Hugoz, Mohamed Brahimi et Mohamed Tanji comptent parmi les personnes qui ont enrichi cet ouvrage par un important apport en photographies et en restituant le contexte social et politique de l’époque. Pour accompagner les photos, des textes d’une grande beauté. Les mots de Mohamed Choukri côtoient ceux de Charles de Foucault. Ces personnages connus ne racontent pas les images. Ils leur donnent vie, les animent, leur offrent un cadre pour, simplement, restituer la beauté de ces villes ou plutôt de leur âme. «On dirait qu’un vent de fièvre a passé sur Oujda», disait Isabelle Eberhardt, déjà en 1904. Tandis que la carte postale a livré ses images, l’écrivaine, portée par une sensibilité à fleur de peau, esquisse par le verbe. Des portraits apparaissent, évoquent des lieux, des situations, un vécu. Avec émotion et vérité,  Eberhardt décrit : «Courant entre les piétons, fuyant comme des bandes de souris sous les pieds des chevaux, des nuées d’enfants quémandeurs, effrontés, polis pourtant, avec de doux minois, avec de longs yeux de caresse». Mais, depuis, la ville est passée de mutation en mutation. Sous l’art déco, elle s’est drapée de ses plus beaux habits. Oujda, fière, altière. Un véritable joyau. La cité a conservé, écrit Mohamed Brahimi, de «magnifiques édifices à la grammaire architecturale racée». Oujda dans les années 20, ce sont les jardins qui fleurissent… Celui de Louis Gomez, la kissaria ombragée. La luxueuse Dar-el-Baraka, jusqu’aux palmiers à la fière allure de Sidi Yahia. Ou encore le parc René Maître, aujourd’hui Lalla Aïcha. On retrouvait dans Oujda de l’époque, des courses de taureaux organisées par les colons espagnols, des salles de cinéma, et de la musique… La capitale de l’Oriental a vu naître en 1921 la Société de musique de chambre Al-Andaloussia. «C’est la première association du genre au Maroc qui a par la suite forgé le style gharnati sous la direction de Cheikh Chaâbane Mohamed Sala», écrit Mohamed Ben Brahim. Derrière cette apparente gaieté, l’insoumission. Si elle fut la première ville occupée du Maroc, Oujda était aussi la première ville à se soulever contre la présence coloniale. Impossible à apprivoiser, elle a abrité dans ses murs Abdelkrim Khattabi et bien d’autres insoumis. Oujda, une ville qui a du caractère, qui le revendique à travers ses murs, son architecture…

Le Maroc dessiné par les plus grands affichistes !
Parler d’une ville, cela se fait aussi à travers les personnages qui l’ont habitée. C’est le cas du bel ouvrage : Younes El Kharraz, l’enfant d’Assilah. C’est à travers le parcours du peintre que l’on retrouve la ville. Une démarche assez originale signée Jamal Boushaba, parue aux éditions de la Revue maure. L’œuvre de l’artiste est marquée de bout en bout par les couleurs d’Assilah. Ici la ville se raconte à travers l’artiste dans un joyeux bouquet floral, il s’ouvre comme un feu d’artifice. Des corps de femmes se dessinent dans un festival de couleurs qui dévorent la forme.
Dans le rayon beaux livres on trouve The Orientalist poster, de Abderrahman Slaoui. Un livre qui survole, à travers les affiches, un pan de l’histoire marocaine et arabe aussi.  
Outre son aspect iconographique et documentaire, le livre se veut aussi une ouverture, une porte pour découvrir un art qui s’est développé au début du siècle dernier et qui s’est épanoui au milieu des années 50. A une époque où les besoins de la guerre et de la propagande ont rendu nécessaires la création de dessins, où la publicité n’était pas encore du ressort des agences publicitaires. A cette époque, on privilégiait les traits appuyés et les couleurs fortes. Les affiches devaient avant tout attirer l’attention.
Les publicités du savon étaient à l’honneur ! L’Orient séduisait, les illustrateurs l’avaient vite compris et ils s’y sont donné à cœur joie, comme en témoignent les affiches : «La perle du sérail aux senteurs orientales» ou encore «Le savon de reines d’Orient», on retrouve aussi l’incontournable «palmolive», dans des décors dignes des Mille et une nuits. Mais on a aussi raconté à travers les posters les grands événements qui ont marqué l’histoire du Maroc. On y retrouve les tracés des grandes lignes ferroviaires, les lignes maritimes. La liaison entre l’Europe et l’Afrique à travers Air Atlas Maroc a été immortalisée par le trait de G. Debureau en 1954. L’arrivée de la compagnie Air France au Maroc sous le crayon de Jean Fortin ou encore la Royal Air Maroc dans un décor kitch avec un chameau en avant plan ! Ces affiches feraient sourire le lecteur averti. Elles portent en elles toutes les stigmates de la colonisation. Le Maroc ne pouvait être représenté qu’à travers babouches, chameaux et mosquées. On voit bien les repères urbains des Occidentaux fortement perturbés. Les dessins donnent des impressions de flottement, d’une distance ou plutôt d’un hors contexte permanent. Le regard de l’étranger toujours présent.
L’histoire du Maroc de la première moitié du siècle dernier est illustrée par les plus grands affichistes, de G. Bataille à Henri Delval, jusqu’à Antoine Magne qui s’est spécialisé pendant les années 40-50 dans les affiches de cirque. Parmi ceux qui ont marqué l’histoire de l’affiche au Maroc, on peut citer, bien sûr, Jacques Majorelle. Pendant les années 20, il a signé une série d’affiches pour la promotion du tourisme au Maroc.
A cette époque, fortement empreinte par la guerre, on pouvait tout mettre dans une affiche. On y a mis surtout les rêves les plus dangereux, et les fantasmes les plus improbables. Comme cette affiche dédiée aux fantasmes des bidasses français et au titre sans équivoque et qui se passe de commentaires, «La belle Fatma, visible sans supplément tous les soirs au jardin…»
L’Afrique, ce territoire nouveau, fraîchement conquis était à la fois objet de fascination et surtout d’incompréhension. Ces affiches ne supporteraient pourtant pas la critique, ni la dénonciation. Elles sont l’œuvre d’une époque. Elles témoignent par leur plastique d’un courant artistique. Il ne faudrait donc pas perdre de vue leur valeur documentaire. Cet ouvrage couvre les époques. Il faut l’appréhender comme un objet d’art. Telle a été la démarche de Abderrahman Slaoui, à qui nous devons cet ouvrage car, dit-il, «j’ai pensé alors aux affiches de réclame d’antan, qui ont disparu de notre environnement au profit de nouveaux modes de communication; c’est ainsi qu’est né le projet de rassembler une collection d’affiches, autour du thème orientaliste, dont la variété et la richesse me semblaient d’une grande originalité. Le début de cette quête fut comme un saut dans l’inconnu». Le collectionneur tenace a osé le saut. Il a rassemblé les affiches qui ont traversé les frontières et le temps. Cela a pris du temps mais sa passion n’a pas de limites. Elle l’a conduit à une vie de globe-trotter pour dénicher ces petites merveilles, choisies avec soin et qu’il a publiées aux éditions Malika. La maison d’édition créée fin 1997 s’est spécialisée dans les beaux livres sur l’art du monde arabo-musulman. Sa vocation est avant tout culturelle : «Notre ambition éditoriale est méditerranéenne. Notre souhait est aussi de prendre part au dialogue des cultures et toucher le public le plus large possible», précise l’éditrice Malika Slaoui-Yaker. La maison d’édition est liée, il faut le rappeler, à la Fondation Abderrahman Slaoui qui s’est donné pour mission de participer à la connaissance du patrimoine culturel et historique du Maroc.