Caftan, un retour aux sources pour fêter ses 15 ans en toute beauté

Samedi 7 mai au Palais des Congrès de Marrakech, Caftan a honoré son rendez-vous annuel. Interprétant le thème «Vogue Zaman», Caftan a encore fait montre d’imagination, d’inspiration et d’ingéniosité. Compte rendu.
C’était la bousculade à l’entour du Palais des Congrès de Marrakech, samedi 7 mai, bien que le défilé Caftan que ce lieu allait accueillir se fût gardé de toute espèce de tapage, par égard aux innocentes victimes de l’odieux attentat contre le café Argana. Une telle affluence, inattendue en raison des circonstances, est significative de la force d’aimantation d’un rendez-vous rituel qui est immanquablement un ravissement pour les yeux. Pendant que les invités franchissaient avec joie les portiques de sécurité, les personnes qui ne disposaient pas d’un sésame les regardaient avec envie, tout en harcelant, par mobile interposé, leurs connaissances organisatrices.
Malgré les circonstances dramatiques, Caftan s’est joué à guichets fermés
En vain. «Dès début avril, j’ai cherché à me procurer des billets d’entrée, il n’y en avait plus. Mais ma femme s’est entêtée, elle m’a persuadé de faire le déplacement depuis Rabat et de réserver deux nuitées dans un hôtel inabordable. Je me suis plié à sa volonté. Tout cela pour rien», soupire un chef d’entreprise.
La ruée vers ce Caftan, quinzième du nom, s’explique aussi, et pour certains, essentiellement par l’attraction du thème : Vogue Zaman. «Cette année, Caftan fête ses quinze ans, ce qui appelle à davantage de créativité et d’audace. Et pour cet anniversaire, le plus naturellement du monde, un retour aux sources s’imposait : retour aux sources, à la tradition dans ce qu’elle porte de beau et de précieux», lit-on dans le dossier de presse. Le sujet est si motivant qu’il a ramené au bercail la créatrice El Batoul Cain Allah, absente du podium depuis 2005. Un bail. «J’ai pris part aux éditions 2003, 2004 et 2005, avec succès, m’a-t-on assurée. Les portes de Caftan m’étaient ouvertes, sauf que des raisons intimes m’ont poussée à ne pas me représenter. Car mes soucis absorbaient une grande part de mon temps, or une collection coûte énormément de temps et en nerfs. Cependant, lorsque j’ai eu vent du thème choisi, je n’ai pas hésité un instant à poser ma candidature, tant je suis une fervente du caftan à l’ancienne mode», confesse-t-elle.
Ce n’est pas cette femme médecin, du prénom de Hassina, fidèle des messes caftanesques, qui n’abondera pas dans le sens de Cain Allah : «Pour avoir poussé au milieu des passementeries, j’avais très tôt cultivé le goût du Caftan. Au début, l’évènement Caftan me permettait d’assouvir mon désir de ce vêtement ancestral. Puis, les stylistes se sont pris à s’en éloigner des canons. Alors, j’ai préféré m’abstenir pour un temps. Mais quand j’ai eu connaissance du thème de cette saison, j’ai fait des pieds et des mains pour obtenir un ticket d’entrée». Survenu dans la nuit des temps, le caftan prit d’abord place dans la garde-robe masculine. Ce monopole dura des siècles, avant que l’homme, probablement parce qu’il commençait à le gêner aux entournures, ne le refilât à la femme. Sans y changer un pli. Marqué du sceau de la virilité, le caftan était ample et plutôt informe. Il ne laissait rien deviner du corps de celle qui le portait. Elle s’y emballait plutôt qu’elle ne s’en vêtait. Dans les années soixante-dix du dernier siècle, déboulèrent des trublions ingénieux qui se mirent à écorner le dogme du caftan-carcan. A leur tête, l’immense Tami Tazy, qui non seulement y accrocha des broderies, une hérésie selon les orthodoxes, mais lui fit épouser les formes féminines, faisant preuve d’une témérité louable aux yeux des modernistes, blâmable selon les traditionalistes.
Nombreuses furent ses paires en couture qui, en admiration devant son œuvre «subversive», lui emboîtèrent l’aiguille pour sculpter des modèles encore plus fluides, plus sensuels, plus osés. Si leurs successeurs avaient perpétué cette ligne novatrice mais respectueuse des fondements du caftan, on ne trouverait pas à y redire. Seulement, emportés par leur créativité débordante, ils se mirent à imaginer des modèles inspirés du caftan mais avec des touches modernes. Ce qui a eu comme effet de susciter l’indignation des vrais amateurs de cet objet patrimonial. Aussi, Caftan de cette année a-t-il mitonné un défilé qui conjugue passé et présent.
Le thème étant inépuisable, chaque styliste l’a interprété selon sa sensibilité et ses penchants
Pour interpréter Vogue Zaman, huit stylistes haute couture, triés sur le volet, étaient sur le pont. Seulement trois d’entre eux, El Batoul Cain Allah, Abdelhanine Raouh et Mohamed Larbi Azzouz, alias Roméo, ont embrassé d’emblée la religion du modélisme. Les cinq autres ont changé de cap. Meriyem Boussikouk est licenciée en biologie, Siham El Habti se destinait à une carrière d’opticienne, Zineb Lyoubi Idrissi était vouée au commerce international, Kacem Sahl a accompli des études de marketing, Siham Tazi, elle, se passionnait pour le commerce et la gestion. Tous avouent être tombés, dès leur enfance, dans la potion magique du caftan. La mère de Siham El Habti, Fouzia Berriyah, est une styliste aux doigts de fée. Celles de El Batoul Cain Allah et de Meriyem Boussikouk aussi. Zineb Lyoubi Idrissi a tenu à suivre les traces de la sienne, une orfèvre du beldi. Siham Tazi s’énivrait de froufrous, grâce à sa famille qui possédait une société de textiles… Des huit, trois, Meriyem Boussikouk, Kacem Sahl et Siham Tazi, n’ont jamais officié dans la classe haute couture de Caftan. Pourtant, ils n’étaient nullement impressionnés par l’épreuve. Ainsi, Siham Tazi raconte : «Normalement je dois être intimidée par la perspective de me jeter à l’eau devant un public aussi nombreux. Mais là, je suis sereine ou presque. Sans doute parce qu’à la présentation de mes tenues dans les coulisses, j’ai recueilli l’adhésion des organisateurs du défilé». Meriyem Boussikouk, elle non plus, n’appréhendait pas le baptême du feu : «Je peux vous dire, sans ambages, que je suis satisfaite de mon œuvre. Parce que j’y ai mise beaucoup de cœur, tellement le sujet m’inspirait. Je n’ai pas lésiné ni sur le temps ni sur l’effort. Une de mes tenues m’a coûté six mois de boulot. Par conséquent, j’ai la conscience tranquille et je suis sûre que ma collection sera admirée».
Avant le défilé, les stylistes, en chœur, soutenaient que le thème «Vogue Zaman» formait un «large spectre» dont chacun retiendra une lumière, suivant sa sensibilité, ses affinités ou son humeur. «Un styliste mettra l’accent sur le passé, un autre privilégiera le présent, rares seront ceux qui réuniront les deux époques», annonçait Boussikouk, laquelle styliste fit une prestation remarquable, grâce à sa faculté d’entremêler la vogue et l’autrefois. La tradition, elle l’a honorée par l’usage de la broderie, l’exhumation des galons, ensevelis depuis un siècle et d’autres choses encore. Mais pour demeurer dans l’air du temps, elle a proposé des coupes et des ceintures marquées du sceau de la modernité. «Cela a été facile pour moi, commente-t-elle. Je suis partisane de la femme dynamique, pratique, qui ne pourrait pas s’accommoder d’un vêtement pesant, donc incommode. La femme actuelle est constamment mobile. Même dans les cérémonies, elle ne se comporte pas comme les «haddara» de jadis qui s’asseyaient et ne quittaient plus leur place; elle s’occupe des convives, elle anime, elle danse. Il faut donc un caftan taillé à cette mesure. C’est pourquoi j’ai éliminé les tissus lourds à porter pour ne garder que la soie». Etoffe fine qui a le mérite de la légèreté. Le souci du poids du tissu a conduit les stylistes désireux de marier le passé et le présent à proposer des matériaux légers. La soie l’a emporté sur tous.
Un feu d’artifice de couleurs, une orgie de coupes et des plaisirs rares
A quoi résumer la XVe édition de Caftan ? A un feu d’artifice de couleurs. Vert essentiellement, et mauve et blanc sur la palette de Siham El Habti. Vert dominant chez El Batoul Cain Allah. Tons pastel, clairs et doux, de Meriyem Boussikouk. Blanc cassé ou perlé, turquoise, mêlés au gris métallisé, à foison sur les tenues de Roméo. Les matières, la soie et ses nuances, invitaient irrésistiblement au toucher. Les coupes exhalaient une sensualité troublante. Chaque styliste avait joué sa partition plus que convenablement. Certains plus que d’autres – on ne dira pas lesquels pour ne pas faire de jaloux – si l’on en juge par l’applaudimètre, qui a failli exploser au terme de la prestation de Roméo, par exemple. Il faut reconnaître que ce Tétouanais pur jus a surpris tout son monde, en choisissant de nous embarquer sur la caravelle byzantine. Et puis comment rester de bois devant ces ceintures en bois, lesquelles, de surcroît, sont fermées au cadenas, ce qui n’est pas sans évoquer ces appétissantes ceintures de chasteté, de mise au Moyen-Age, censées empêcher les relations sexuelles ?
On ne saurait clore le chapitre de la XVe édition de Caftan sans dire un mot sur son volet spectaculaire. Il était exceptionnellement consistant. A commencer par les écrans qui, tout au long du défilé, affichaient des pans de notre mémoire architecturale et monumentale. Riche idée que celle-là qui, en ces temps endeuillés, visait à rendre les Marocains fiers de leur marocanité. Trêve de larmes, place à la joie, se sont dit les organisateurs de ce Caftan, qui ont ponctué, à six reprises, la soirée de chants (merci Karima Skalli ?) et de danses. Ah, ce septuor venu du froid pour nous réchauffer le regard de danses orientales ! Rien que la plastique de ces créatures valait le détour par le Palais des congrès. Rideau.