Un trend positif

Il faut reconnaître que le nouveau règne est porteur d’un
vrai projet de société, dont le succès dépend de l’engagement de chacun à y croire et à travailler pour. Ceux qui distillent le doute et le dépit sont en définitive les fossoyeurs de l’espoir.

Le temps royal est très différent de celui des autres décideurs. La pérennité fait que les bilans d’étape n’ont pas la même signification. Dès lors, évaluer le premier «quinquennat» de SM Mohammed VI prend d’autres allures. Il faudrait être d’une malhonnêteté absolue pour ne pas reconnaître que le nouveau règne a effectué des ruptures sur des choses essentielles et surtout qu’il dégage nettement un projet de société démocratique, moderniste et solidaire. Le discours est clair et ferme. Sans abuser de la communication, le Roi, dans ses discours, est d’une cohérence absolue. Il ne cède jamais à la pression du moment. L’autre rupture est que les critiques royales aux institutions, au manque d’efficacité, sont publiques.
Au-delà des discours, il y a les actes. Sur l’élargissement des libertés, les réponses sont tangibles, quantifiables. Dès son accession au Trône, Mohammed VI a réglé les cas emblématiques de Serfaty et Cheikh Yassine. Surtout, il a reconnu les torts de l’Etat, renforcé la crédibilité du CCDH et mis en place une instance de réconciliation. Il y a là une véritable vision du règlement de la question des atteintes au droit de l’Homme. La plupart des militants des droits de l’Homme y adhèrent aujourd’hui. La réponse aux allégations concernant les arrestations d’après le 16 mai est dans le droit fil: le Maroc se dote d’une loi responsabilisant individuellement les tortionnaires. Ceux qui ne regardent pas uniquement dans le rétroviseur devraient y voir le signal de la matérialité des convictions démocratiques du Roi. D’ailleurs, on perçoit mieux le style du monarque : à chaque mini-crise, il apporte une réponse institutionnelle, structurante.
La réalité des convictions modernistes de Mohammed VI est apparue clairement sur un dossier épineux : la question de la femme. Courageux mais pas téméraire, le gouvernement d’alternance avait cru intelligent de recourir à l’arbitrage royal dans un contexte explosif. Rappelons-nous, les islamistes du PJD avaient ameuté la société sur le thème : «l’islam est en danger». A l’arrivée, le Roi a pu arracher le consensus autour d’un code de la famille rétablissant l’égalité juridique entre les deux époux. Cela après le 16 mai.
Sur la moralisation de la vie publique, nous sommes face à un processus judiciaire garantissant les droits des accusés et ne souffrant d’aucune instrumentalisation politique, en tout cas au sommet de l’Etat. Ce processus est en cours et il y a fort à parier qu’il atteindra son objectif : l’exemplarité pour mettre le holà à la rapine.
Les grands commis de l’Etat ne sont plus éternels. Laâlej n’a fait que dix mois à la tête de la douane. Les corrections se font rapidement et l’obligation de résultat fait son apparition dans la logique de l’Etat. La marche des affaires de l’Etat n’étant pas un long fleuve tranquille, d’autres s’attacheront à quelques scories, les démêlés avec la presse, l’affaire «Leïla» ou autres. Ils ont méthodologiquement tort.
Le Roi n’a pas hérité d’un système institutionnel ayant réglé tous les problèmes historiques. Il fait changer de cap à un système dont la seule logique était de surfer pour perdurer. Ce changement de cap se fait dans le cadre d’une succession et non d’une révolution. Cinq ans après, le changement de cap, malgré quelques zig-zag dus aux pesanteurs du système, est réel.
L’administration, quelles que soient les critiques, est mieux perçue par les citoyens, la réconciliation avec l’Etat est en marche, l’espoir renaît. Seulement le rythme peut apparaître en deçà des attentes. Or, le projet du monarque fait face à deux écueils majeurs. Le premier est la défaillance de l’encadrement sociétal : partis, syndicats et associations ne jouent pas leur rôle de relais, de force de proposition voire de force de pression. Le projet de modernisation de la société a besoin d’une forte mobilisation pour vaincre les carcans du conservatisme, du fatalisme et surtout de la méfiance héritée de 40 ans de divorce entre le pouvoir et la société.
Le deuxième écueil, ce sont les déficits sociaux. Jusqu’ici nous manquons d’imagination pour répondre aux attentes. Si le Roi développe les valeurs de solidarité, il faut se rendre à l’évidence : le Maroc ne peut résoudre dans la décennie à venir tous ses problèmes sociaux. Cet écueil est d’importance car, sur ces frustrations, s’appuient toutes les déviations dont l’extrémisme religieux n’est qu’une composante.
Dans ce contexte, l’honnêteté intellectuelle commande de reconnaître au nouveau règne un trend positif, un vrai projet de société. Elle commande aussi de reconnaître que le succès de ce projet dépend de l’engagement de tout un chacun à y croire et à travailler pour. Ceux qui distillent la méfiance, le doute et ledépit sont en définitive les fossoyeurs de l’espoir