Pourquoi se presser ?

L’autre jour, un ami qui me veut du bien, m’accoste, avec un air de reproche, par cette question : «C’est pour quand, ton roman ?». Il me faut confesser que cela fait trente ans que je menace mes semblables de tricoter une œuvre à nulle autre pareille. Pendant tout ce temps, je ne cessais d’ajourner mon dessein. Quand on m’en fait la réflexion, je réponds invariablement par une pirouette : avant de se mettre à écrire, il faut avoir beaucoup lu. J’ai lu jusqu’à plus soif, je n’ai pas, jusqu’ici, écrit le soupçon d’un livre. J’en ai parfois honte, mais je n’en éprouve aucun sentiment de culpabilité. Après tout, me consolé-je, qui n’a jamais remis au lendemain ce qu’il pouvait faire le jour même, me jette la première pierre ! Prolonger la station à la cafétéria de l’entreprise, s’échanger des recettes culinaires, commenter le dernier épisode d’un feuilleton turc, faire étirer les réunions par des relances superflues, ne sont-elles pas des «pratiques» répandues ? J’en étais là quand je suis tombé sur un article du «Nouvel Observateur», à travers lequel j’appris que mon «péché véniel» se nomme «procrastination», une appellation qui sonne comme celle d’une pathologie, qui peut être fatale. Regardez le sort de Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi. S’ils n’avaient pas sursis à la réalisation de leurs nobles desseins, ils n’auraient pas été éjectés par leurs peuples. Je n’encours pas ce risque, mais je me promets, quand même, de me guérir de ma «procrastination».