Pauvres riches !

Dur métier que d’être riche !
Quelle terrible vie que de devoir toujours ériger des barreaux autour de soi et de craindre en permanence pour ses biens quand ce n’est
pour sa vie !

Des murs, encore des murs, plus que jamais des murs. Des murs que les uns érigent et que les autres prennent d’assaut. Au-delà des faits en eux-mêmes, les événements dramatiques de Sebta et de Mellilia saisissent par la puissance de la symbolique à laquelle ils renvoient. Ces images d’hommes se jetant en masse sur une muraille de fer activent les fantasmes les plus archaïques. Sans tomber dans la vision apocalyptique et raciste d’un Jean Marie Le Pen, on ne peut s’empêcher de penser à ces hordes qui, dans les temps anciens, déferlaient sur les territoires, poussées, qui par la faim, qui par l’esprit de conquête. Quels que soient les progrès et le degré de civilisation atteints par les diverses sociétés de la planète Terre, les ressorts humains demeurent inchangés.
Quand l’homme se retrouve en situation de lutter pour sa survie, ses pulsions primaires prennent le dessus. Tel un animal aux abois, il lui faut quitter sa tanière et se mettre en mouvement pour trouver quoi se mettre sous la dent. A l’heure d’internet où le monde est devenu village, où les hommes se sont faits oiseaux pour survoler les mers, où quelques coups d’ailes suffisent à relier des continents, on en est encore à ceci : des êtres humains qui traversent le désert à pied, dorment dans les bois et se ruent sur un mur pour y forcer une porte.
Le choc est là, dans ce contraste insoutenable. Ces Sub-sahariens, dans leur tentative désespérée de rallier l’Europe, obligent le monde des nantis à sentir sur lui le souffle oppressé du monde des pauvres. Les frontières tombent, pavoisent les mondialistes. Pour la circulation des biens et des produits, cela est certain, société de consommation oblige. Mais pour ce qui est des hommes, c’est une autre histoire. Là, plus le capitalisme se fait sauvage, plus elles se renforcent. Il suffit pour cela de jeter un œil à la file des demandeurs de visas devant les consulats ! Jamais sans doute, la planète n’a connu de telles disparités sociales. Des pauvres de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux, des riches de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, voilà le monde présent tel que concocté par les détenteurs de capitaux de l’ère post-moderne. Ceci étant, dur métier que d’être riche ! Pauvre nanti aurions-nous presque envie de dire ! Que de murailles lui faut-il bâtir pour se protéger de la convoitise du démuni ! Et quelle terrible vie que de devoir toujours ériger des barreaux autour de soi et de craindre en permanence pour ses biens quand ce n’est pour sa vie !
Au miroir du drame qui s’est joué (et se jouera encore, malheureusement) à nos frontières, se reflète une réalité qui n’est pas que celle des autres. Cette réalité-là, celle des pateras, des Carrières Thomas et de ce pourcentage hallucinant de 70% de Marocains rêvant de cieux étrangers, est la nôtre, aussi. Pris dans l’engrenage mondial, le Maroc réussit le coup de force de se libéraliser sur le plan économique sans véritablement se moderniser. Ou, si l’on préfère, par ne prendre de la modernité que ce qui en constitue les dérives. L’individualisme exacerbé par exemple. En ce mois de Ramadan, nos grands-parents dans leurs médinas avaient pour coutume de réserver, à chaque f’tour, un bol de soupe pour le pauvre ou le voyageur qui frapperait à leur porte.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette solidarité chez ceux qui, par ailleurs, s’adonnent aux pires orgies alimentaires au cours de ce mois sacré ? Qu’en est-il de la générosité qui veut que l’on vienne au secours de celui qui, pour une raison ou une autre, requiert votre aide ? Cette générosité-là et cette solidarité-là ne se sont pas perdues chez ceux qui n’ont pas grand-chose à partager. Ceux qui ont beaucoup à partager, par contre, veilleront pour la plupart à garder leur porte close. Parce qu’ils ont peur, parce qu’ils se méfient, parce que le monde est plein de oulad el haram. Mais quelle vie que de devoir toujours se méfier ? Et quelle société que celle où l’on ne peut évoluer que derrière des murs et des barreaux ? Affamé, l’homme devient loup. Et les murs, sous le poids de la horde des miséreux, finissent un jour ou l’autre par céder. La seule digue en mesure de tenir est celle dont le nom est «partage»