Noufissa Benchemsi : une femme de bien s’en est allée

L’action du Pr noufissa Benchemsi, au niveau du Laboratoire d’hématologie dont elle a longtemps eu la direction, a permis la réalisation de la première greffe de moelle à  Casablanca.
Il y aurait encore tant à  dire de Noufissa Benchemsi, cette grande dame de la médecine, cette grande dame tout court qui pratiqua son métier avec une rigueur et une humanité qui forçaient l’admiration et le respect.

Alors que le printemps affleure et que l’air se remplit de douceur, elle s’en est allée… Elle s’en est allée, laissant les siens dans l’affliction et la société civile orpheline de l’un de ses membres les plus authentiques. Elle nous a quittés, elle, qu’aucune adversité n’impressionnait et son absence, déjà, se fait vertigineuse. Car des êtres de bien, il en est si peu que dès lors que, l’un d’eux manque à l’appel, c’est tout le bataillon qui vacille.

Au matin du 16 mars, Noufissa Benchemsi a déposé les armes. Il est des combats impossibles à remporter malgré tout le courage avec lequel on les affronte. Or, du courage, cette femme hors du commun en avait à revendre. Du courage et, ce qui ne va pas nécessairement de pair, du cœur. Et de l’humanité. Et des valeurs…

Longue est la liste des qualités qui furent celles du Pr Benchemsi, première hématologue du pays et chef, depuis 1993, du Centre national de transfusion sanguine. S’il ne fallait n’en retenir qu’une seule, ce serait cette manière qu’elle avait de faire des choses que d’autres ne feraient pas en considérant qu’elle ne faisait rien d’autre que faire ce qu’elle avait à faire. Cela pouvait aller de l’acte le plus banal en apparence – faire pendant un an, chaque semaine le trajet Casa-Marrakech, pour éviter la fatigue du déplacement jusqu’à l’hôpital Ibn Rochd à des cancéreux démunis et habitant le sud du pays- aux prises de position les plus fortes. Comment oublier en effet, qu’à un moment -1995, la fameuse période de l’assainissement- où personne n’osait broncher, elle fut la seule, avec le Pr Hakima Himmich, une autre Madame courage, à démonter les charges portées contre Moncef Ben Abderrazik, ce pharmacien que l’on avait accusé d’«importer le sida au Maroc».

Les têtes tombaient alors une à une et chacun, de peur de voir fondre l’arbitraire sur lui, se faisait petit dans son coin. Mais pas elle et la poignée de ses semblables qui osèrent, dans le silence assourdissant, élever une voix indignée. Pourtant, le Pr Benchemsi n’était pas une «militante» au sens où on l’entend d’ordinaire, à savoir une personne politisée qui agit dans le cadre d’un parti ou d’une association. C’était juste une personne qui se faisait un devoir de conformer ses actions aux valeurs et aux principes auxquels elle croyait. Cela n’a l’air de rien et, pourtant, c’est énorme en des temps où l’irresponsabilité et le laxisme polluent de manière désastreuse les comportements sociaux. Ainsi, dans cette affaire Ben Abderrazik, rien n’obligeait Noufissa Benchemsi à venir publiquement, à la télévision, expliquer pourquoi, scientifiquement parlant, les accusations portées contre le malheureux pharmacien n’étaient autres qu’un chapelet d’âneries. Rien, sinon sa détestation de l’injustice. En tant qu’hématologue, elle était la spécialiste des questions de sang, celle qui était habilitée à juger si oui ou non, les sérums importés par M. Ben Abderrazik pouvaient être «porteurs de sida». C’était non et elle ne s’est pas privée de l’affirmer avec force, en chœur avec le Pr Himmich, au grand dam du ministre de la santé de l’époque qui ne trouva rien de mieux pour réagir que de crier à l’antipatriotisme ! Ce qui lui valut, tout ministre qu’il était, de se voir intenter un procès en diffamation par celles dont la vox populi disait alors qu’elles étaient «les deux seuls hommes du pays» !

Mais, hormis cette affaire Ben Abderrazik qui lui a valu une forte médiatisation, Noufissa Benchemsi était de ces êtres qui menaient des actions fondamentales dans la discrétion la plus absolue. Combien, en dehors du cercle des initiés, savent que c’est à elle que nous devons de pouvoir faire des transfusions sanguines en toute sécurité grâce aux procédures de contrôle de la qualité du sang mises en place par ses soins quand elle a pris en main le Centre national de transfusion sanguine, en 1993. Sous sa direction, celui-ci, qui avait failli être privatisé tant il battait de l’aile, est devenu un centre de référence à l‘échelle internationale. Par ailleurs, l’action du Pr Benchemsi, au niveau du Laboratoire d’hématologie dont elle a longtemps eu la direction, a permis la réalisation de la première greffe de moelle à Casablanca.

Il y aurait encore tant à dire de Noufissa Benchemsi, cette grande dame de la médecine, cette grande dame tout court qui pratiqua son métier avec une rigueur et une humanité qui forçaient l’admiration et le respect. Il y aurait encore tant à dire mais, face à une vie qui s’arrête, les mots eux-mêmes deviennent dérisoires.

Puisses-tu reposer en paix, Noufissa, ton souvenir est à jamais gravé dans la mémoire des tiens, de tes amis et de tous ces patients qui te doivent d’avoir recouvré la santé.