L’impératif d’une stratégie de développement

Aujourd’hui, face à la contrainte des déséquilibres des finances publiques et à l’insuffisante flexibilité des autres instruments de régulation économique, notamment la monnaie et le taux de change, la politique macroéconomique navigue sous pilotage à vue.
Il n’y a pas de véritable politique de développement que celle qui inscrit son action, y compris de court terme, dans une perspective de moyen et long terme. Aujourd’hui, face à la contrainte des déséquilibres des finances publiques et à l’insuffisante flexibilité des autres instruments de régulation économique, notamment la monnaie et le taux de change, la politique macroéconomique navigue sous pilotage à vue. Le changement de pallier de croissance économique et son positionnement sur un sentier à pente plus relevée dans la première décennie du nouveau siècle fut pénible et a exigé bien des sacrifices. Le risque d’une descente aux enfers (récession, austérité…) se profile, si une vision du développement n’est pas pensée. La politique de croissance doit revoir son approche pour s’inscrire dans une stratégie globale de développement basée sur un cadre macroéconomique cohérent et une vision intégrée des divers aspects des politiques économiques et sectorielles. Une stratégie qui doit aussi accorder aux aspects qualitatifs, à la régulation conjoncturelle et aux procédures d’intégration des programmes sectoriels et projets structurants un plus grand intérêt. Cela s’impose pour répondre au problème de l’incertitude. Notre politique de développement est confrontée, aujourd’hui, à un impératif. Celui de la rénovation de ses outils, de ses méthodes pour éviter d’être sous l’emprise des aléas de la conjoncture.
La difficulté de prévoir, de réguler la conjoncture à court terme ne saurait justifier un défaut de vision stratégique du développement. Il est utile de préciser comment la politique de croissance va s’articuler à la prévision à court terme et à une démarche fondée sur l’élaboration de scénarios possibles sur le long terme. Il ne s’agit pas ici de faire renaître la planification marocaine de ses cendres. Les plans triennaux ou quinquennaux des premières décennies de développement ont toujours connu ce problème qui se manifestait dans les décalages entre les objectifs et les moyens et se traduisait par des écarts sensibles entre la programmation et les réalisations. L’approche dominante dans l’élaboration de ces plans n’était pas sans influence sur les insuffisances qui contribuaient à décrédibiliser le système de planification. Cette approche était fondée sur la prédominance des considérations sectorielles, l’établissement d’une liste de projets sans étude approfondie de leur faisabilité, l’absence d’actualisation du plan, le manque d’intérêt pour les aspects qualitatifs du développement, la faiblesse de la programmation financière et de l’articulation avec le Budget, les déficiences des mécanismes de concertation, de suivi et d’évaluation.
Nous devons tirer des enseignements de ces expériences et les adapter à notre contexte. S’il est vrai que l’importance et la variété des aléas pèsent sur le comportement des agents intérieurs, il ne faudrait pas perdre de vue qu’une vision stratégique a l’avantage de réduire l’incertitude pour les acteurs. S’il n’est plus possible de faire comme si la croissance était certaine et l’environnement international stable, une vision stratégique se doit d’éclairer le comportement des agents. La révision logique des moyens ne devant pas déboucher sur l’altération des objectifs.
Du point de vue opérationnel, une vision stratégique de développement ne peut être définie qu’à partir d’un assemblage de plans sectoriels dont les horizons sont non harmonisés ou dont l’articulation fait défaut. La démarche stratégique d’ensemble est différente: elle est censée porter l’effort sur la hiérarchisation des objectifs, la cohérence des choix et le cheminement de la programmation. Elle se donne nécessairement des objectifs macroéconomiques et sociaux, recense les scénarios possibles de l’économie mondiale, se positionne sur les segments d’avantages comparatifs et définit et met en œuvre des politiques optimales dans des configurations contrastées. Dans sa mise en œuvre, elle distingue entre les objectifs qui doivent être maintenus et ceux dont l’appréhension peut, au contraire, faire l’objet d’une plus grande flexibilité. Cette approche continue de l’ajustement/adaptation présente deux avantages : elle permet d’incorporer aux instruments de régulation de court terme les mécanismes d’une stratégie contre-aléatoire. Elle évite que les révisions du processus de la croissance économique ne soient vécues comme le signe d’un échec.
Dans le tourbillon qui les happe, l’économie nationale, ses acteurs -publics et privés-ressentent plus que jamais le besoin de se doter d’une stratégie de développement globale et cohérente. Cela signifie qu’en premier lieu, les objectifs de développement retenus soient mieux définis à travers la mise en place de nouvelles relations entre le Budget et les mécanismes d’une planification stratégique rénovée et adaptée, entre le ministère de l’économie et des finances et les ministères dépensiers: l’allongement des horizons budgétaires (budget pluriannuel) et l’inscription effective des choix de la stratégie dans ces horizons doivent aller dans ce sens. En second lieu, il est important que le cadre macro-économique soit articulé aux divers aspects du développement économique et social en s’appuyant sur l’établissement des budgets économiques mieux élaborés et la programmation d’un «noyau» de projets publics reflétant les priorités de la politique économique. En troisième lieu, il est nécessaire que la définition de l’horizon de la stratégie fasse l’objet d’un examen attentif. Il serait utile non seulement d’harmoniser les horizons des stratégies sectorielles dérivées d’une stratégie de développement globale mais aussi de définir une périodisation appropriée. Aussi, serait-il judicieux de retenir, du moins pour la période que nous traversons, une approche de moyen terme qui permet de poursuivre les stratégies sectorielles déjà entamées en les infléchissant vers des objectifs soutenables. En quatrième lieu, la mise en relation des aspects quantitatifs et qualitatifs de la stratégie de développement s’impose: les objectifs quantifiés doivent être soutenues par la formulation des réformes et des mesures d’accompagnement susceptibles de créer un environnement favorable à la réalisation des objectifs chiffrés.