Le point sur les concessions

Chronique de Larbi JAIDI.
Les services publics urbains (électricité, distribution d’eau, transport, etc.) ont longtemps été assurés par des organismes émanant de la puissance publique. En l’espace de vingt ans, l’économie de ces services s’est radicalement transformée. Un vaste mouvement de concessions a été engagé. Une évolution qui s’explique à la fois par des facteurs techniques, économiques mais aussi politiques et idéologiques. L’idée dominante était qu’un service assuré par des entreprises privées est nécessairement plus efficace. Alors que, dans l’imaginaire de nombreux citoyens, la concession est perçue comme un moyen de céder à des leaders européens la gestion d’un domaine qui devrait demeurer entre les mains de la puissance publique.
Le système des concessions a-t-il relevé ce double défi : satisfaction d’une demande en augmentation rapide tout en assainissant et transformant les secteurs de l’eau, de l’assainissement, de l’électricité et du transport urbain ? Le système des concessions a-t-il offert toutes les garanties pour assurer une plus grande efficacité dans la gestion de l’offre de ces services? Qu’a-t-il apporté de différent ou de mieux en comparaison avec ce que des opérateurs nationaux pouvaient offrir, toutes choses étant égales par ailleurs, c’est-à-dire débarrassées d’une tutelle contraignante et soumise aux règles de l’évaluation des performances. Dans le régime des concessions, la probabilité de l’échec existe aussi et pour que la réussite soit plus vraisemblable, elle doit être fondée sur des engagements crédibles, sur le développement d’une coopération intelligente entre l’entité concédante, le concessionnaire, les salariés, les élus.
Ces transformations n’ont pas produit tous les effets attendus. Certes, l’eau coule mieux au robinet, l’électricité et le ramassage des ordures fonctionnent comme avant, parfois mieux qu’avant, le transport urbain, s’il fonctionne toujours aussi mal, c’est aussi pour des raisons antérieures aux concessions, l’assainissement fait l’objet de grands travaux. Mais tous les bienfaits promis ne sont pas au rendez-vous : la hausse des prix observées va à l’encontre de la rétrocession des gains de productivité aux usagers. Dans le domaine de l’eau, la nécessité d’investir dans l’assainissement pour se conformer aux nouvelles exigences environnementales a justifié des hausses de prix qui ont contribué à apporter aux opérateurs du secteur les moyens de leurs ambitions. Dans l’électricité ou le transport, les évolutions se sont accompagnées de tarifs souvent prohibitifs. Les concessions des services publics ont conduit à une modification des relations entre les opérateurs d’un côté et la puissance publique et les instances élues de l’autre. Le manque de contrôle et de suivi effectif des cahiers des charges des concessions menace-t-il la satisfaction des missions d’intérêt général ? Oui, si les entreprises concessionnaires ne respectent pas les engagements pris notamment dans la couverture des territoires, la politique des prix, les programmes des investissements et les transferts de bénéfice. Non, si l’on considère qu’elles sont tout autant prêtes à offrir des services à tous, du moment qu’elles peuvent pratiquer des tarifs rentables pour eux. La vraie menace tient plutôt à la démission des élus et de l’Etat, dans un contexte de vogue des idées libérales. Or, l’implication de la collectivité reste nécessaire, dans la veille sur les missions des services publics, au moment où ceux-ci jouent un rôle plus important que jamais dans la cohésion sociale et dans la compétitivité des territoires. Les services publics urbains sont trop importants pour que le suivi-évaluation de leurs performances, en termes de qualité, de sécurité, de prix ou d’accès de tous au service puisse échapper à une autorité publique ou à des institutions élues, en charge de l’intérêt général.
Plusieurs conditions sont requises pour tirer le meilleur bénéfice de la formule des concessions. En premier lieu, le régime juridique et réglementaire de la gestion déléguée doit être revu et clarifié. En optimisant les avantages et en minimisant les inconvénients attachés à la délégation de service public. On ouvrira ainsi la voie à un nouveau partenariat public/privé dans la réalisation des grands projets d’infrastructure. En second lieu, la régulation de la gestion déléguée de ces services publics doit introduire de nouveaux principes de contrôle et de surveillance de la gestion. En troisième lieu, les diverses questions qui structurent les enjeux des contrats de concession doivent faire l’objet d’une véritable appropriation par les élus : il en est ainsi de la gestion du patrimoine délégué, des obligations, droits et prérogatives du délégataire, des conditions d’exploitation des services délégués, des dispositions financières et, enfin, le contrôle et le suivi de la gestion. C’est sur toutes ces questions que l’expérience doit être évaluée. La gestion déléguée n’a de chance de gagner en légitimité comme mode de régulation des services publics que si l’équilibre des intérêts des parties concernées est garanti par les contrats de concession. Le sujet est complexe : une véritable évaluation des performances des concessions doit être multi-critère et pluraliste, elle doit associer tous les acteurs concernés. Une telle perspective suscite logiquement de nombreuses réticences : certains acteurs mettent en avant la complexité inhérente pour le freiner, voire l’entraver. Du côté des responsables des autorités publiques, l’évaluation peut révéler des choix qu’ils ne souhaitent pas toujours expliciter. Certains opérateurs ne tiennent pas à ce que les utilisateurs disposent d’éléments de comparaison ; ceux qui sont en position favorable dans la répartition de la rente n’ont aucune raison de souhaiter une véritable transparence, etc. Ces obstacles sont réels, mais l’avenir des services publics exige qu’on les surmonte. Il est temps de s’y mettre.