La régionalisation vue de la Région

Le Maroc a depuis très longtemps tenté des expériences de régionalisation. Elles sont restées inachevées. Cette fois-ci, les pouvoirs publics semblent décidés à aller jusqu’au bout.
La problématique régionale est une récurrence établie dans la rhétorique démocratique de notre pays. En effet, le discours politique a toujours fait allusion à la collectivité régionale. Cette région était d’abord un espace d’étude et de programmation servant de base à l’application des décisions prises depuis le centre, avant d’être hissée par la suite en un espace institutionnel capable de prendre lui-même ses propres décisions via des assemblées délibérantes élues au suffrage universel indirect.
Tout compte fait, l’objectif principal assigné à la régionalisation était le développement des territoires et la lutte contre les disparités spatiales. Au lendemain de l’indépendance, notre pays a hérité des espaces dont les différentiels en ressources économiques et les dotations en infrastructures sont très apparents. Au terme de près de 30 années d’expérience, il est constaté que la collectivité régionale demeure à la fois passive et permissive face aux défis économiques et sociaux. Elle ne disposait pas de moyens, ni matériels ni institutionnels, pour entreprendre efficacement. A lumière des dysfonctionnements constatés dans la pratique régionale, on est tenté d’avancer quatre déterminants susceptibles de donner corps à une gouvernance régionale productive.
1- La redéfinition des rapports entre l’Etat et ses régions
D’abord, quel que soit son niveau d’organisation, la nation est une et homogène, elle forme avec ses différentes régions un ensemble hiérarchisé et interdépendant. Ainsi, au sein de la nation, chaque région est un espace particulier, caractérisé par une identité propre ; et se distingue des autres régions par des éléments liés à la géographie, à la culture, à l’histoire et à la structure du tissu économique. Ces critères ne sont pas suffisamment pris en considération lors du dernier découpage régional instituant les seize régions actuelles.
Cette vision organisationnelle peut dessiner un mode d’organisation territoriale aux trois logiques complémentaires et qui doivent présider à tout projet régional qui se veut efficace.
La protection pour sauvegarder à la fois l’unité nationale et la défense des intérêts régionaux. Il s’agit principalement d’une relation de soutien et d’accompagnement. La nation est plus que la somme de toutes ses régions ; elle personnalise l’autorité souveraine. C’est un ensemble d’acteurs, de valeurs, de cultures, de modes de consommation et de production qui permet à chaque région de décider des politiques qu’elle ne pourrait menées si elle opère toute seule. Ainsi, selon ce principe de protection, la caractéristique essentielle de la région est son appartenance irréversible à la nation.
L’interdépendance permet de garantir la cohérence et la solidarité entre les régions. Elle signifie la promotion d’une gouvernance participative globale permettant aux assemblées régionales, en tant que centres de décisions, de prendre part de façon active aux politiques nationales. A travers ce prisme, chaque centre de décision régional est en partie lié aux autres ; il en résulte une synergie d’ordre relationnelle qu’il convient de fructifier. Certes, la régionalisation ne décharge point l’Etat de ses obligations envers le développement des territoires, mais l’oblige à les redéployer à travers notamment le renforcement des rapports d’interdépendance avec les institutions régionales. Faute de moyens financiers, beaucoup de régions ne pourront pas entreprendre des actions en faveur du développement. Il revient alors à l’Etat le rôle de facilitation, d’impulsion et d’accompagnement des projets, et ce pour des raisons d’efficacité et de solidarité.
L’autonomie ayant pour objectif de garantir la diversité, la création et la prospérité de chaque région en dehors de toute contrainte hiérarchique. Si la hiérarchisation est consubstantielle de la cohérence nationale, l’interdépendance est plutôt le déterminant de l’harmonisation entre la nation et ses régions.
Mais pour mieux permettre à ces régions de tirer profit de leurs ressources et développer leurs potentialités, il s’avère nécessaire qu’elles bénéficient au préalable d’une marge d’autonomie suffisante qui assure leur reconnaissance en tant qu’acteurs entreprenant au sein de la nation. Cependant, l’autonomie dans cette vision ne confère pas le plein droit à une institution régionale de prétendre se gouverner souverainement face aux intérêts de la nation dont elle fait partie. En usant mieux de son autonomie dans le cadre des lois établies sur la décentralisation, sans porter atteinte à la cohérence et à l’unité de la nation, la région sert efficacement ses propres intérêts et par là ceux de la nation.
2- Le management des compétences
La modernisation des méthodes de gestion des affaires régionales suppose une attention particulière envers l’organisation des services internes des entités publiques décentralisées. Dans ce cadre, en raison de l’importance de la ressource humaine dans l’administration locale et, compte tenu de la nécessité de la qualité des services publics locaux, la gestion optimale de cette ressource capitale doit figurer dans le nouveau logiciel régional.
Les économies régionales gagneront en efficacité si elles sont animées par des managers publics capables de séduire et d’entraîner, de par leurs comportements créateurs, toutes les bonnes volontés du ressort de leurs territoires.
3- La rationalisation des ressources financières
La plupart des collectivités locales souffrent d’un déséquilibre budgétaire chronique entre ressources et dépenses. Ce déficit financier est malheureusement souvent mis en avant par les élus locaux pour justifier leur attitude de ne rien faire face aux problèmes économiques et sociaux vécus sur le terrain. Pourtant, il peut être atténué à l’aide d’une meilleure pédagogie dans l’affectation optimale des ressources financières qui implique du côté des managers publics locaux un effort imaginatif afin de développer des ressources propres. Juguler ce déficit nécessite alors le recours à des méthodes de management novatrices qui pourront être appuyées par une nécessaire refonte de la fiscalité locale pour asseoir en la matière un système plus lisible, moins coûteux et plus rentable.
4- Le management de la connaissance
Dans une époque où les investisseurs et les compétences sont constamment sollicités pour prendre part au processus de création des emplois et des richesses, il ne sera plus possible aux régions de faire l’économie des démarches de communication dans leur mode de gouvernance. En effet, la production, le traitement et la diffusion de l’information sur l’économie locale ne devrait plus être une affaire qui échappe aux collectivités régionales. En sus, la place qu’occupe aujourd’hui le savoir est considérée comme la condition sine qua non permettant d’accompagner positivement les mutations de l’économie mondiale. En général, la plupart de nos régions disposent de structures universitaires, de centres de recherche et de formation sur lesquels elles peuvent s’appuyer pour aspirer à plus de compétitivité, sachant pertinemment qu’à l’échelle mondiale la concurrence ne se livre plus entre les nations mais plutôt entre leurs régions.
En tout état de cause, le projet régional doit viser l’institution des espaces porteurs de débat démocratique, d’entreprenariat, d’innovation ; bref des lieux d’application pour la bonne gouvernance.