Dix ans après Barcelone, il faut remettre la coopération sur les rails

L’UE et les Etats de la rive Sud de la Méditerranée fêteront cette année le dixième anniversaire de la conférence de Barcelone qui a lancé le partenariat euro-méditerranéen. Pour que cette célébration ne soit pas qu’une commémoration sans lendemain, les deux parties doivent prendre en charge leur destin collectif et faire redémarrer la coopération en consolidant les acquis.

En 2005, l’Union européenne et les Etats méditerranéens de la rive Sud célébreront le dixième anniversaire du processus de Barcelone portant création du partenariat euro-méditerranéen, qui a abouti à la mise en place d’un véritable partenariat ayant pour principal objectif le remodelage des relations Nord/Sud dans le sens d’une véritable coopération durable entre les différents pays de la Méditerranée. Quel bilan peut-on établir, après dix ans de fonctionnement ?
Des résultats en deçà des attentes des pays du Sud
De l’avis général, au regard du volume des échanges et des réalisations, les résultats sont en deçà des ambitions affichées et des attentes des pays du Sud. Paradoxalement, et contrairement à l’esprit de Barcelone, la Méditerranée est devenue pour les pays du Sud inaccessible. Sous l’effet conjugué du terrorisme et de l’immigration clandestine, la sécurité est devenue la préoccupation centrale, obsessionnelle, des Etats du Nord, reléguant au second plan les intérêts économiques vitaux. Or, si la sécurité est nécessaire, elle ne peut malheureusement générer que de la méfiance et du repli identitaire.
A l’heure actuelle, la coopération politique prévue par le partenariat euro-méditerranéen est paralysée. Les conflits régionaux, la guerre en Irak, les attentats du 11 septembre 2001 et la compétition euro-américaine en Méditerranée sont autant d’éléments qui ont handicapé le processus.
La région a connu, au cours de ces dix dernières années, des bouleversements géostratégiques profonds. D’un côté, les Européens ne sont pas parvenus à définir une stratégie commune et cohérente à l’égard de la méditerranée ; de l’autre, le leadership israélien s’affirme de jour en jour du fait du soutien direct et massif des Etats-Unis, aggravant la crise et l’isolement du monde arabe, démuni de toute capacité d’action et d’influence. Au lieu de réagir et de faire face à leur destin, certains Etats, par phobie du terrorisme ou des radicalismes émergents, ont instrumentalisé la dictature comme ils ont instrumentalisé l’islamisme contre la gauche. La suite on la connaît, cacophonie collective et perte de repères; aujourd’hui, certains Etats ne savent plus à quel saint se vouer et assistent, impuissants, au remodelage des rapports de force dans la région et à l’exacerbation des frustrations de leur population.
L’avenir du partenariat dépend de l’implication des Européens dans la résolution des conflits régionaux
Face aux enjeux qui s’annoncent, les Etats arabes sont confrontés à leur propre destin et doivent saisir cette opportunité pour se positionner à nouveau sur l’échiquier géostratégique de la Méditerranée, et ceci pour une raison simple : après l’intégration de Chypre et de Malte dans l’UE, l’amorce d’un dialogue dans le même sens avec la Turquie, le processus de Barcelone est devenu un processus euro-arabe.
L’Europe, surtout depuis le 11 septembre 2001, n’a cessé de cumuler les images négatives et de regarder avec méfiance et scepticisme le monde arabe. Car il s’agit en fait de clichés savamment entretenus par les médias, nourris d’islamisme, de terrorisme et d’archaïsmes. L’appartenance religieuse occulte l’appartenance nationale. Les rapports entre communautés sont déterminés à partir du prisme religieux et les effets d’une telle situation sont catastrophiques entre les communautés constitutives d’une même nation.
Il ne peut y avoir de politique de bon voisinage que si l’Europe réussit à nouer d’autres rapports avec l’islam. Car, si la Méditerranée a toujours été un lieu de confrontation, elle a aussi été un espace d’échanges et de création. Les frontières ne doivent pas masquer la proximité et nous avons tout intérêt à développer les facteurs de convergence.
Par ailleurs, la volonté de l’UE de définir une nouvelle politique de voisinage avec les anciens voisins du Sud l’oblige à consacrer plus de ressources et à développer des politiques plus cohérentes en direction de la Méditerranée, plus exactement des pays arabes, parce que c’est de ceux-là qu’il s’agit aujourd’hui dans la nouvelle configuration de l’espace méditerranéen. Mais alors que l’UE s’est fixé un ensemble impressionnant d’objectifs politiques, de partenariat et de progrès, elle manque de crédibilité et de poids. La Méditerranée pourrait l’aider à rendre ses politiques plus acceptables aux pays du bassin méditerranéen. L’enjeu est de taille puisque les rapports de force se déterminent aujourd’hui en Méditerranée et non dans les anciennes frontières de l’Est.
La demande d’adhésion de la Turquie à l’Europe est un test décisif pour la réputation européenne dans le monde musulman. Bien plus, elle donnerait à l’Europe «un poids plus important au niveau régional et méditerranéen» : c’est ce qui ressort d’une étude d’impact commandée par la Commission européenne pour mesurer les effets, économiques et politiques de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Nous sommes dans un jeu gagnant-gagnant.
D’autre part, l’enjeu vital de la «corbeille politique» se trouve dans le face-à-face monde arabe/Israël. Les Etats européens sont appelés à définir une position commune dans ce conflit.
Les pays arabes doivent s’inscrire résolument dans une posture de modernité
De la même manière, les Etats arabes sont invités à poursuivre les efforts de réforme et de modernisation de leur système de gouvernance. Il y va de leur ancrage dans la mondialisation. L’absence de démocratie et de transparence a conduit à freiner les investissements étrangers, ce qui les place dans une situation délicate, notamment au regard de la concurrence asiatique.
L’avenir du partenariat euro-méditerranéen dépend de l’implication des Européens dans la résolution des conflits régionaux, mais aussi des projets qui seront programmés pour réduire la fracture entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. La responsabilité des deux parties est établie : les Européens ont pratiqué la fuite en avant pour s’occuper de l’élargissement à l’Est et faire de nouveaux voisins au détriment des anciens. Les pays arabes ont, quant à eux, adopté une attitude frileuse face aux nécessités de réformes et de mise sur pied de structures régionales opérationnelles et crédibles. Significatif à cet égard, le cas de l’UMA, dont l’immobilisme handicape le développement de l’ensemble des pays du Maghreb.
Nous avons aujourd’hui intérêt à prendre en charge notre destin collectif. Le destin de l’Europe est désormais inséparable de celui des voisins du Sud ; celui du Sud ne peut être conçu séparément de celui du Nord. Nous ne partons pas de zéro, mais d’une série d’acquis et d’histoire commune qu’il faut consolider. Il ne s’agit pas de n’importe quel partenariat mais d’un partenariat de projets, structuré autour de nouveaux instruments de gestion, de nouveaux mécanismes financiers, de nouvelles institutions et de nouvelles expériences. La Méditerranée est en train de faire sa mue. Il faut que chacun de nous y participe. Le Sud attend de l’Europe une réponse stratégique, et l’Europe attend du Sud une visibilité pour l’avenir et une adhésion aux valeurs universelles. Certes, il ne faut pas négliger les efforts entrepris au cours de ces dernières années par certains Etats dans les domaines de la libéralisation, de la démocratie, des droits de l’homme, de la femme, de l’éducation et de la formation… Mais il reste encore beaucoup de choses à faire particulièrement dans les domaines du culturel et du religieux. Les pays arabes sont appelés à s’inscrire résolument dans une posture de modernité et d’émancipation politique. Et c’est la seule voie pour sortir du marasme et du statu quo qu’ils connaissent aujourd’hui; ils sont enclins à introduire une sorte de rationalité autocritique dans leur mode de gouvernance et de gestion des affaires publiques.
Il est indispensable que l’anniversaire de la conférence de Barcelone ne soit pas un symposium de discours et de convivialité, mais un vrai rendez-vous historique pour repenser et reconstruire le partenariat euro-méditerranéen sur la base d’un pacte politique fondateur qui définirait les attributs d’une vraie appartenance méditerranéenne et ouvrirait les chances d’un mieux-vivre collectif ou d’un savoir-vivre méditerranéen.
Il est urgent de rebâtir des organisations et des communautés concrètes où puissent se construire des processus d’apprentissage, des liens de rattachement, des instances de dialogue, des mécanismes de sociabilisation et de médiation, des bases de sécurité et de vie commune autour de valeurs partagées. Il est indispensable d’organiser les communautés euro-méditerranéennes pour que se développe la permanence d’un travail réel, d’un partenariat égalitaire. Pour y aboutir, il convient de consacrer à la réussite du partenariat euro-méditerranéen autant d’énergie que celle déployée lors de l’élargissement de l’union à l’Est. C’est à cette condition qu’on pourra réinstaurer la confiance et la crédibilité. Faisons en sorte que notre génie humain et méditerranéen soit porteur de valeurs nouvelles et évitons à la région des tragédies, des perturbations et des incertitudes