Des gens comme les autres

Le porteur d’un handicap, que celui-ci soit de naissance ou la conséquence d’une maladie ou d’un accident, est victime d’une mise à l’écart de fait en raison de la quasi-inexistence d’infrastructures adaptées. Ainsi, en matière de scolarité et selon l’enquête nationale de 2004, la seule disponible à ce jour, l’accès à l’éducation est trois fois inférieur au taux national pour les personnes souffrant d’un handicap. Par voie de conséquence, elles sont uniquement 11,7% à travailler, et donc à être en mesure de se prendre en charge.
Au cours de la semaine passée, le 30 mars étant la Journée nationale des personnes en situation de handicap au Maroc, plusieurs manifestations culturelles autour de cette question ont eu lieu. Deux festivals, le premier, «Handifilm», organisé par l’association du même nom, le second, par le ministère de tutelle, se sont succédé à quelques jours d’intervalle. Leur objectif : sensibiliser à une réalité douloureuse qui touche plus d’un million et demi de personnes dans notre pays, soit 5,12% de la population. Passée cependant cette semaine de médiatisation, les personnes en situation de handicap retombent dans l’oubli. Mais juste pour ce qui est de l’intérêt qu’on leur porte. Car si les projecteurs braqués sur leur condition s’éteignent, leur visibilité dans l’espace public reste constante et importante. Notre regard bute en permanence sur des images de souffrance. Qui n’a pas détourné les yeux devant le spectacle pénible de ces pauvres êtres désarticulés avec lesquels les mères, ou les loueuses, se livrent à la mendicité ? Qui n’a eu droit à ces moignons agités sous le nez pour susciter le réflexe de charité ? En l’absence d’un système de prise en charge sociale, handicap et misère se conjuguent douloureusement sous nos cieux. Exclusion et rejet restent la condition de la grande majorité de cette catégorie sociale. Le porteur d’un handicap, que celui-ci soit de naissance ou la conséquence d’une maladie ou d’un accident, est victime d’une mise à l’écart de fait en raison de la quasi-inexistence d’infrastructures adaptées. Ainsi, en matière de scolarité et selon l’enquête nationale de 2004, la seule disponible à ce jour, l’accès à l’éducation est trois fois inférieur au taux national pour les personnes souffrant d’un handicap. Par voie de conséquence, elles sont uniquement 11,7% à travailler, et donc à être en mesure de se prendre en charge. Quand les familles sont dans l’incapacité d’assumer, la mendicité reste l’unique recours. D’où la sur-représentation des handicapés parmi les demandeurs de charité. La constance de cet état de fait impacte le regard que la société continue à porter sur ces personnes. Un regard réducteur qui, parce qu’il est empreint de pitié, échoue à les percevoir en tant qu’individus à part entière auxquels les mêmes droits qu’à tout citoyen, en matière de santé, d’éducation, d’emploi et d’accessibilité, doivent être reconnus. Du chemin certes a été parcouru avec la création de l’AMH en 1992, quand un groupe d’accidentés de la vie a décidé de réagir et de se battre à la fois pour que l’Etat mette en place les structures nécessaires et pour que l’approche faite de cette problématique change d’optique. Grâce à l’énergie déployée par ces acteurs associatifs, le centre Noor de rééducation, l’unique en son genre dans le pays, a ouvert ses portes en 2001. Sous le lobbying de la société civile, le Maroc a validé la Convention internationale sur les droits des personnes en situation de handicap. Pensé et conçu en coordination avec les ONG, un projet de loi est en cours d’élaboration. Parmi ses mesures, l’instauration d’un fonds de solidarité d’un montant initial d’un milliard de dirhams pour assurer une prise en charge à cette catégorie de la population. Mais pour les concernés, des résultats véritablement concrets tardent à venir. Voilà pourquoi, aujourd’hui, ils pensent à passer à un cran supérieur, celui, eux-aussi, de la contestation publique.
Le plus dur à faire cependant n’est pas juste dans la mise en place par l’Etat d’infrastructures adaptées. Il est également dans le travail à entreprendre du côté de la société et de la manière avec laquelle celle-ci met à l’écart ceux qui sont différents, parce que porteurs de déficiences, physiques ou mentales. Pour qu’un changement des mentalités intervienne, les médias ont leur rôle à jouer par la mise en avant des modèles de courage et de dépassement de soi que l’on rencontre au sein de cette population. Pour casser l’image du malheureux dont on instrumentalise le handicap pour faire tomber une pièce dans l’obole, il faut montrer ces sportifs, ces chercheurs, ces artistes ou ces gens du commun qui, au Maroc comme ailleurs, forcent l’admiration par leur parcours et leurs performances. Qui de leur handicap font une formidable force pour s’élever au-dessus des autres. Bien souvent, des personnes en situation de handicap, ce sont les valides qui ont à apprendre et non l’inverse.