A propos du travail des femmes
En 2004, les femmes représentent 24,9% de la population active, contre 10% au début des années 1960 et le statut des femmes semble modifié. En réalité, l’emploi des femmes reste concentré dans des professions mal rémunérées : ouvrières sans qualification, aides familiales, femmes de ménage, caissières, secrétaires…, et il ne s’est pas accompagné d’une réduction majeure des inégalités de salaires, de carrières et de conditions de travail. Par ailleurs, dans l’univers domestique, les tà¢ches sont encore peu partagées et les plus ingrates restent l’apanage des femmes.
C’est une idée commune de dire que le travail des femmes a transformé leur statut dans la société. En est-il vraiment ainsi ? Dans une certaine mesure. Tout porte à croire que, plus que les hommes, elles restent exposées à la précarité, aux bas salaires et au chômage. Les données issues du recensement confirment les tendances que l’on voyait à l’œuvre depuis les années 1960. La féminisation du travail se poursuit dans toutes les catégories sociales et dans toutes les régions du Maroc, même s’il demeure évidemment des variations, liées notamment à l’inégale répartition par âge sur le territoire. Dans le Maroc de 2004, les femmes représentent le quart du monde du travail, 24,9 % exactement de la population active, contre 10 % seulement au début des années 1960. C’est un changement massif, qui affecte l’ensemble de la société et, bien entendu, les relations entre hommes et femmes. Compte tenu de l’importance du travail dans nos sociétés, c’est le statut des femmes en lui-même qui semble modifié.
En fait, la montée en puissance du travail féminin s’est traduite par un double mouvement. Un certain nombre de femmes ont accédé à des professions autrefois réservées aux hommes : elles sont avocates, médecins, journalistes… Mais, en même temps, l’emploi des femmes demeure pour l’essentiel concentré dans quelques professions mal rémunérées du secondaire ou du tertiaire : ouvrières sans qualification, aides familiales, femmes de ménage, caissières, secrétaires, par exemple. Le développement du travail rémunéré féminin ne s’est pas accompagné d’une réduction majeure des inégalités de salaires, de carrières et de conditions de travail. Et ce alors même que le niveau d’éducation des jeunes femmes s’est élevé au point de dépasser celui des jeunes hommes dans certaines filières. De fait, le monde du travail féminin, c’est aussi celui de la précarité, du sous-emploi et du sur-chômage. Les bas salaires se sont solidement incrustés dans le paysage social, en partie par le biais du développement du sous-emploi et du temps partiel, qui occupe essentiellement des femmes. Plus de la moitié des gens qui travaillent pour un salaire inférieur au Smig sont des femmes. Quant au chômage féminin, le silence est impressionnant. Qu’on en parle si peu pose question : le chômage féminin serait-il moins grave que son homologue masculin ? Quelle est cette tolérance sociale qui fait oublier les femmes lorsqu’on traite du chômage ?
L’évolution des rapports homme/femme dans l’univers domestique n’est pas mieux. Dans les foyers, les tâches sont encore bien peu partagées. L’activité domestique représente bien quelques six à sept heures par jour. Peut-on vraiment dire que sur la longue durée, le temps qu’y consacrent les hommes a sensiblement augmenté ? Si on disposait d’enquêtes sur cette question, je parierais volontiers que ce temps n’aura pas augmenté de plus d’un gros quart d’heure. On découvrirait que la progression du temps de travail domestique des hommes s’explique d’abord par le temps consacré au bricolage ou aux courses. Cette faible progression masque une stagnation dans la répartition des tâches les plus ingrates, qui sont toujours l’apanage des femmes.
L’étude des emplois du temps n’épuise pas l’ensemble des rapports de pouvoir dans le couple, loin de là. Sans mieux partager les tâches, on peut décider davantage en commun de la vie du couple, des enfants, etc. Reste que la domination masculine est encore claire et, surtout, le changement très lent. Pourquoi si peu d’évolution ? La famille demeure une instance de reproduction dans le temps des rôles entre filles et garçons, en leur attribuant des places bien différenciées. De l’école au monde du travail, en passant par les médias, un ensemble d’institutions façonnent les rapports entre les hommes et les femmes. De nombreux mécanismes symboliques tentent de faire passer pour naturelles des différences qui placent les femmes en situation de dominées.
Le décalage est donc grand entre l’idéal d’égalité et la réalité quotidienne vécue par les femmes dans notre pays. Ce décalage s’explique probablement par l’importance des enjeux : il s’agit du cœur du pouvoir. Mais il est aussi en partie dû à l’absence de politiques publiques dans ce domaine.