Prendre la parole sans impair

Il faut être prêt à recevoir et à accepter que des propos différents aient quelque chose d’inhabituel et d’exceptionnel. Illustrer ses propos permet de mieux se faire comprendre.
Une prise de parole n’est pas toujours aisée. Même si l’éloquence n’est pas une prédisposition chez beaucoup d’entre nous, il est possible de bien s’en sortir en travaillant trois attitudes : être sûr de soi, écouter et utiliser des phrases courtes.
Etre sur de soi
S’avancer sur un terrain inconnu, avec des observateurs derrière chaque repli de la forêt, en sachant, malgré tout, exactement où aller. Avancer lentement, mais sûrement, garder son train de sénateur, et aller jusqu’au bout. Respirer calmement, ne pas hésiter à s’arrêter, regarder autour de soi, prendre le temps d’observer et de réfléchir. Un moment de réflexion peut sembler long, alors que l’entourage attend simplement la suite d’une découverte. Oser s’avancer vers un paysage nouveau, sans crainte d’emmener ceux qui vous font confiance, dépasser son environnement habituel, être un bon partenaire, c’est le début d’une prise de parole. Vous êtes le personnage principal. Un personnage unique, avec ses défauts et ses qualités. Mais votre image va être à double sens : elle est perçue et acceptée par ceux qui vous écoutent, et chacun va l’adapter par sa propre vision, son entendement personnel, le sentiment qu’elle suscite. Et elle est vis-à-vis de vous un personnage, que vous seul êtes en mesure de sentir, d’estimer, d’aimer, de respecter. Soyez sûr de vous, pour tout votre savoir, même si vous avez le sentiment d’avoir encore tant de choses à apprendre. D’ailleurs, les moyens d’acquérir un «savoir» sont maintenant extraordinaires et les nouvelles technologies, ne serait-ce que l’internet, nous placent, dès nos études, à une place que nous ne pouvions pas imaginer atteindre il y a trente ans. Plus que jamais, nous avons maintenant toute la palette nécessaire pour résoudre tous nos problèmes, nous avons avec nous tous les partenaires que nous n’avons jamais osé imaginer. Alors, comment pourrais-je avoir peur d’être jugé, quand je suis aussi riche ?
Ecouter
Ecouter n’est pas seulement entendre. Ecouter l’ambiance, le climat général, même si le silence, qui nous entoure, peut sembler hostile. Ecouter, c’est être prêt à recevoir, ce n’est pas seulement vouloir convaincre. Ecouter, c’est accepter que des propos différents aient quelque chose d’inhabituel et d’exceptionnel. C’est se préparer à recevoir, à s’enrichir et à partager cet enrichissement. C’est aussi s’obliger à ne pas interrompre, à apprécier une différence dans la perception du paysage, avec des propos inattendus, une perception nouvelle, des croyances que nous n’attendions pas. Ecouter, c’est accepter un monde nouveau, où je vais apprendre quelque chose d’exceptionnel et d’inattendu. Cet autre, à qui je parle, ou que j’écoute, n’est-il pas aussi riche que moi, de toute la connaissance acquise dans son domaine, n’est-il pas prêt à partager son savoir, comme je le suis vis-à-vis de lui ? Fini le temps où nous avions peur de partager notre connaissance, parce que l’autre allait devenir aussi riche que moi. Il suffit d’ouvrir son ordinateur. La communication orale commence par là.
Illustrer. Décrire le paysage, l’atmosphère qui nous entoure, les personnes, leurs caractères, leurs vêtements. Il fait beau ? Il pleut ? C’est le printemps ou l’hiver, vous êtes sur une plage, au chaud ou dans les bois et la neige ? Ne vous éternisez pas sur le décor, mais il doit être là pour vous accompagner, même si vous devez présenter le bilan d’une société, où le rêve est absent. Les moyens audiovisuels, rétro-projecteurs, diapositives, graphiques ou autres…, même s’ils sont pertinents, ne sont qu’accessoires, et l’auditoire, bien calé au chaud dans des fauteuils confortables, ne va vraiment frissonner, dans la neige et le froid, que si vous avez pris la peine de l’emmener auparavant dans les montagnes. Notre civilisation de l’image nous a habitués à penser visuellement et nous ne réagissons plus au décor féérique des documentaires, que nous déroule la télévision, tous plus spectaculaires les uns que les autres (tous ?). Il y a même des personnes qui allument la télévision d’un geste mécanique, le soir quand elles rentrent chez elles, sans la regarder. Les images et le son, vivants, font partie d’un ensemble décoratif, comme le canapé, les tapis et les rideaux. Ces personnes sont incapables de vivre en face d’elles-mêmes, dans le silence d’une réflexion personnelle. Et pourtant, elles font peut-être partie de votre auditoire ou de votre réunion et vous devrez les emmener avec vous, quand vous devrez prendre la parole, même pour cinq minutes. Il ne s’agit pas de les faire rêver, il faut simplement qu’elles vous accompagnent dans votre cheminement intellectuel, qu’elles acceptent d’imaginer avec vous les lieux, les personnages, les situations.
Utiliser des phrases courtes
Ne soyez pas trop riche, mais ayez un bon vocabulaire. Pour cela, lisez. Prenez exemple sur les écrivains du XIXe siècle, comme Flaubert, Stendhal, Zola ou Maupassant. Il est facile de les lire, même à haute voix. C’est un exercice impossible à faire avec Proust, qui nous emmenait cinquante ans plus tard à l’ombre des jeunes filles en fleurs, dans des phrases d’une demi-page. Il obligeait au moins à lire lentement. C’est toujours ça de pris ! Et ça nous obligeait à mieux articuler. Mais ne soyez pas trop savant. Parlez avec votre savoir : soyez vous-mêmes. Donnez à l’auditoire le temps de vous écouter. Et pour cela, faites des pauses. Donnez du temps au temps. Des petites pauses, qui vont permettre, à ceux qui vous écoutent, de participer plus facilement à votre phrasé, de vous «entendre» plus facilement. Soyez vivants dans l’intonation et votre voix va participer directement au sens de la phrase, à la pensée, qu’elle exprime. La gestuelle n’a rien à voir avec votre investissement personnel, c’est d’abord dans votre tête que se dessine la pensée. C’est lui qui va décider du rythme du phrasé. Vous pouvez très bien avoir quelque chose de très important à dire à votre auditoire et le dire à voix basse. Peut-être devrez-vous faire une petite pause auparavant, et même après.
Je ne résiste pas au plaisir d’illustrer ce que je viens de dire et je vous dis à voix basse, rien que pour vous : «Je vous souhaite bon vent !»