Parcours professionnel : Entretien avec Houcine Berbou, DG du cabinet Academus Business & Management

Une carrière doit être guidée par l’évolution des compétences et surtout la maîtrise de celles du poste cible. Le background, le projet professionnel, la motivation, le profil et le marché sont les cinq paramètres structurants.

Avancer très rapidement pour gagner plus. Toutes les jeunes recrues en rêvent. Cependant, il ne sert à rien de sauter les étapes. Une carrière se contruit sur la durée. Faute de quoi, on risque de passer à coté.

Les explications de Houcine Berbou, DG du cabinet Academus Business & Management.

Beaucoup de candidats n’ont pas d’idée de leur évolution professionnelle de la même manière que beaucoup d’entreprises ne savent pas gérer la carrière de leurs collaborateurs. Quels sont les piliers pour construire une carrière ?

D’abord, je pense qu’il faut clarifier la perception du concept de carrière du point de vue du salarié et de celui de l’entreprise. La compréhension n’est pas la même. Ainsi, du point de vue du salarié, la majorité associe la carrière à l’évolution de la situation financière. A leur sens les responsabilités confiées sont une conséquence de l’évolution salariale. Du point de vue de l’entreprise, la gestion de carrière se définit comme étant la capacité de l’entreprise à gérer la dynamique de ses ressources humaines de manière à satisfaire les besoins des métiers en ressources et compétences, mais aussi récompenser les plus méritants et rétribuer la fidélité des salariés. L’évolution des salaires est une conséquence directe de l’évolution des responsabilités et des exigences des métiers en termes de compétences et de profils.

Pour revenir à votre question, on doit se situer du côté de l’individu qui veut construire sa carrière et qui doit tenir compte des exigences des entreprises en matière de compétences. En effet, la carrière doit tenir compte de cinq paramètres structurants.

Lesquels ?

 Le background qui constitue l’input de base pour dessiner une carrière professionnelle. Ainsi, un ingénieur électricien de formation ne doit pas s’orienter d’entrée vers les métiers de management ou autre, sachant que sa formation ne le prédispose pas à cela !

 La motivation. C’est quelque part ce qui fait courir les personnes. Ce qui donne du sens à notre action. Ce qui peut nous donner de l’énergie pour exceller dans ce que nous entreprenons. Il s’agit en l’occurrence de la motivation pour un métier, un secteur, un challenge, une manière de collaborer… Quelqu’un qui est motivé par les métiers d’analyse et de réflexion ne va peut être pas se donner à fond dans les métiers plus pratiques tel que le commercial ou le front office !

 Le projet professionnel. C’est ce qui structure nos choix et notre orientation professionnelle. La construction de la carrière émane de notre capacité à nous projeter et à dessiner nos ambitions d’une manière concrète et objective. Si le projet est de devenir un jour manager d’équipe, le candidat doit vérifier au préalable s’il dispose des qualités et compétences qui le prédestineraient au management d’équipe ( leadership, argumentation, persuasion, gestion des conflits, communication… Le projet donne de la cohérence à nos choix et il les structure.

 Le profil. C’est le corollaire du point précédent. On distingue généralement quatre types de profils métiers : métiers de back-office application, métiers de back-office analyse, métiers de front-office opérationnel, métiers de management. Notre trait de caractère, notre background, notre personnalité sont des éléments saillants qui nous donnent une idée sur notre profil.  C’est pourquoi quelqu’un qui a toutes les qualités d’être un bon manager gâcherait sa vocation en s’orientant vers les métiers de back-office par exemple !

 Le marché. Les opportunités sont circonstancielles. En effet, cela ne sert à rien de faire des formations ou d’orienter sa carrière vers des métiers où les offres sont inexistantes. Un exemple concret, c’est le cas de toutes les personnes (et qui sont nombreuses) qui font des études longues pour occuper des postes largement moins dimensionnés par rapport au diplôme et dans des métiers qui n’ont rien à voir avec la formation acquise ! Il faut donc être à l’écoute du marché et s’y adapter.

Quelles sont les étapes importantes dans une évolution professionnelle ?

A mon avis, la vie professionnelle d’une personne lamba est constituée de 4 grands caps:

 la période de scolarisation où l’étudiant doit faire en sorte de faire un maximum de stages (de préférence d’une durée moyenne supérieure à deux mois). Cette phase permet au stagiaire de nouer des relations concrètes avec l’entreprise, les métiers, les salariés. En conséquence, le déclic pour venir assez tôt pour donner envie de faire un métier en particulier;

 du recrutement à trois ans d’ancienneté. C’est la période où le candidat doit confirmer son potentiel,  faire ses preuves et franchir tous les caps inhérents à l’intégration, l’apprentissage du métier, la gestion des conflits, la composition avec l’adversité, la performance, etc. Tous les projecteurs sont braqués sur lui. Le plus important dans cette période, c’est de donner envie à l’entreprise de vous garder, d’apprendre un métier, de connaître le fonctionnement de l’entreprise, de composer avec la culture et de se distinguer

 de 3 à 5 ans d’ancienneté. Le premier cap étant franchi, il est important de passer à autre chose. On a la légitimité et la compétence suffisante pour réclamer une augmentation de salaire, une promotion, la prise en charge de responsabilité de management d’équipe ou de projet, d’être associé à la prise de décision… Pendant cette phase, le candidat a des arguments à vendre en interne ou en externe. S’il est bon, l’entreprise ne voudra pas le lâcher.

 de 5 ans et plus. On devient une pièce maîtresse dans l’entreprise si cette ancienneté s’est traduite par des promotions et une prise de responsabilité plus importante. Vous commencerez à être la cible des recruteurs et des chasseurs de têtes (surtout si vous occupez un poste / position sensible). L’entreprise fera tout pour vous garder (les avantages en nature, la participation au cercle de décision, la responsabilisation, les augmentations de salaires, etc). Bien évidemment, ce raisonnement est valable pour les personnes qui font un parcours sans faute.

Le salaire dans cette phase n’est pas l’attribut numéro un. Comme je le disais auparavant, pendant la phase de 3 à 5 et 5 à 10, le salaire devient un attribut important dans la négociation. Si on est bon, on peut se positionner facilement dans le marché du travail. Si l’entreprise ne vous paye pas à votre juste valeur, vous êtes facilement employable et le marché procède souvent à une sélection naturelle.

Y a-t-il des prérequis ?

Dans les entreprises structurées, bien évidemment le passage d’un poste à un autre plus élevé doit être guidé par l’évolution des compétences du candidat et surtout sa maîtrise des compétences du poste cible. Sinon, on ne sera pas dans la gestion de carrière mais dans la promotion de grade chère à la fonction publique.

Faut-il envisager une évolution dans le domaine de l’expertise ou la voie managériale ?

Cela ne sert à rien de déshabiller un excellent expert pour en faire un très mauvais manager. La filière d’expertise fait appel des compétences techniques métier apprises à l’école ou sur le tas. L’informatique, l’ingénierie, l’audit, .. sont des métiers très technicistes. Dans ces filières on peut devenir expert avec grade de directeur. Si le candidat ne dispose pas de qualifications managériales ( gestion des conflits, leadership, communication, gestion des interfaces…), il ne pourra pas gérer convenablement les hommes. Le management fait appel à des compétences spécifiques autant que le hard.

Parfois, c’est l’entreprise qui décide de la carrière d’un collaborateur…

Si on considère un système géré selon des règles de l’entreprise structurée, la promotion est généralement dictée:

 d’abord par un besoin réel de l’entreprise (formalisé dans les rapports);

 une analyse de la proximité des profils des candidats avec les exigences du poste cible;

 le classement par mérite.

Dans certains cas, effectivement, des personnes peuvent être parachutées dans certaines positions sans mérite. Les raisons sont à chercher ailleurs.

Dans certaines entreprises, le système d’avancement n’est pas indexé sur l’évolution des compétences, mais sur l’ancienneté. In fine, ces systèmes deviennent boîteux!

Y a t-il des périodes précises (en termes d’âge) pour franchir des paliers ?

Tout dépend des métiers et des entreprises. Dans certains métiers on peut être directeur à 30 ans (trading, NTIC,..). Dans l’administration publique, on est généralement directeur après 45 ans !

Souvent, les candidats pensent davantage à la rémunération qu’à l’évolution professionnelle. Quelle corrélation établir entre les deux ?

Comme je l’expliquais au tout début, le salaire est dicté par la responsabilité et non l’inverse. Un système de gestion des RH équilibré suppose une parfaite connexion entre l’emploi occupé, la rétribution, l’évaluation de la performance et la carrière. Si ces aspects sont gérés d’une manière isolée, on se prête à tous les travers qu’on observe aujourd’hui dans un très grand nombre d’entreprise.