Mohssine Benzakour : «Le mal-être au travail est bien plus sérieux que le stress»

Le mal-être au travail est devenu un phénomène de société, mais il ne fait pas encore l’objet de débat au Maroc. Parfois, il suffit d’améliorer son hygiène de vie et de positiver pour s’en sortir.

Le mal-être relève de l’environnement de l’entreprise, du management et de l’organisation, sans compter les causes qui sont générées par l’individu lui-même. Psychosociologue et enseignant chercheur, Mohssine Benzakour revient sur cette question, fait le lien entre mal-être et stress et détaille les implications sur la santé physique et morale des individus.

Comment définissez-vous le mal-être au travail et quels sont ses origines ?

Le mal-être en milieu professionnel est un déséquilibre entre ce qui est exigé de la personne et les ressources dont elle dispose pour faire face aux exigences professionnelles. Les manifestations sont multiples : la fatigue récurrente, les états dépressifs et les troubles d’adaptation mineurs.
Pour ce qui est des causes psychologiques, elles sont tellement diverses qu’on est pris de vertige à la pensée d’en proposer un aperçu. On peut citer notamment les rapports tendus qui sont souvent à l’origine de l’épuisement ou prolongent des situations générant des pensées négatives, ou encore qui cultivent un sentiment de culpabilité ou d’infériorité alimentant la vulnérabilité. Il y a également les cas extrêmes comme l’exigence d’une performance sans faille, le manque de reconnaissance du travail accompli, le harcèlement moral, les agressions verbales…
 
On en parle du bout des lèvres au Maroc. Pourquoi ?

L’opinion publique commence à prendre conscience du problème du mal-être au travail à travers des cas médiatisés. Ces drames ont fait émerger le mal-être au travail comme un grave problème de société, mais, malheureusement, ce n’est pas un sujet de débat politique. Ils ne sont cependant que la manifestation tragique et paroxystique d’un phénomène plus large. Beaucoup de salariés sont victimes de stress, de harcèlement, et souffrent en raison de leur activité professionnelle sans envisager, heureusement, de commettre l’irréparable. Pourtant, je peux affirmer que le phénomène du mal-être est général. Il est répandu tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et touche les salariés de l’industrie comme des services. Il concerne les jeunes, qui rencontrent souvent des difficultés d’insertion professionnelle, comme les seniors dont la capacité de résistance peut être émoussée.
 
Est-ce parce qu’on stresse trop qu’on souffre dans la vie ?

Le stress est un mécanisme d’adaptation. Lorsqu’on parle de stress, il est important de préciser qu’il s’agit, non seulement des conséquences des conditions extérieures, physiques et psychosociales, mais aussi, et surtout, des attitudes et des comportements par suite de l’interprétation consciente ou inconsciente des faits. Jusqu’à un certain point le stress est facteur de stimulation. Au-delà, il devient facteur d’inhibition. Donc le mal-être au travail est bien plus sérieux.

Quelles sont, selon vous, les conséquences de ce fléau ?

En résumé, ce sont la fatigue, les insomnies occasionnelles, les maux de tête, les douleurs musculaires, un certain désabusement face au monde et un sentiment d’impuissance devant la tâche à accomplir. Certains états dépressifs peuvent au pire des cas conduire au suicide.
 
Finalement, comment parer à ce problème ?

Bien qu’il paraisse souhaitable de se libérer le plus possible de ces états de mal-être qui empoisonnent l’existence, l’observation la plus élémentaire permet de constater que rares sont ceux qui parviennent à exercer un contrôle optimum sur leur vie. Pourtant, l’expérience démontre qu’un travail sur soi, de même qu’une réflexion sur ses habitudes et ses conditions de vie, ainsi que sur la qualité de ses rapports avec les autres, permettent toujours de se libérer au moins relativement de ces états. Il est donc important de prendre conscience des causes de ces divers états de mal-être et de faire preuve de vigilance. Le moindre progrès dans ce sens rend déjà la vie plus agréable. Ce qui devrait nous inciter à investir davantage de temps et d’énergie dans une démarche qui assure un plus grand contrôle sur la vie. Dans l’univers tout est toujours en transformation (en train de devenir). L’équilibre se trouve dans le mouvement, dans l’acceptation de ce qui est l’adaptation au changement (à ce qui devient). Afin de toujours vivre dans l’instant présent et malgré les ratés occasionnels du système personnel d’adaptation, on finit en général par surmonter le quotidien comme il se présente. Il suffirait bien souvent pour améliorer son sort d’une certaine hygiène de vie : une meilleure alimentation, se ménager des temps de repos, faire de l’exercice. Autrement dit, investir un peu de temps et d’énergie pour se rendre la vie plus facile et faire du quotidien professionnel une occasion de croissance. Il est essentiel de procéder régulièrement à un nettoyage du mental, si je puis dire, et à une forme ou une autre de reprogrammation positive. Les managers ont aussi un rôle important à jouer pour améliorer le bien-être des salariés qu’ils ont la responsabilité d’encadrer. Souligner leur responsabilité ne doit pas conduire cependant à les stigmatiser ; ils peuvent eux aussi être concernés par la souffrance au travail, celle-ci étant souvent à la hauteur de leur implication dans la vie de l’entreprise. C’est plutôt l’insuffisance ou l’inadaptation de leur formation qui doivent être mises en cause.