Hôtellerie : Entretien avec Loic Gogue, Vice-président de la commission sociale

«Il faut avoir une volonté politico-stratégique pour le développement de la formation»
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la mise en place de la Vision 2010 puis la Vision 2020. Quid du résultat ? Loic Gogue, vice-président de la commission sociale et RH de la Confédération nationale du tourisme (CNT), expert dans le domaine du tourisme, expose les problématiques rencontrées.
Comment se porte la formation touristique au Maroc?
La Vision 2010 a révélé l’importance vitale du capital humain pour sa réussite. Les différents opérateurs, publics et privés, ont été amenés à revoir leurs propres stratégies afin de positionner leurs offres en fonction de ces besoins. S’il y a lieu de faire une première lecture aujourd’hui, on peut observer que le dispositif actuel de formation s’est considérablement renforcé. Pour atteindre un tel objectif, plusieurs leviers ont été actionnés, à savoir l’élaboration et la mise en œuvre d’outils de management opérationnel de l’offre de formation dans le secteur, l’extension du dispositif et la création de nouveaux établissements de formation, la réingénierie de la formation selon l’approche par compétence, la mise en œuvre d’outils de management des ressources humaines et de développement de compétences (référentiels des emplois et des compétences, supports techniques pour la gestion des ressources humaines…), le développement et la diversification des modes de formation (formation par apprentissage, par alternance, formation qualifiante…), le renforcement des compétences des formateurs… Il est vrai donc que des avancées ont été réalisées mais beaucoup de chemin reste à parcourir.
Qu’est-ce qui n’a pas avancé ?
A mon sens, le Contrat RH Hôtellerie signé lors des Assises de Tétouan en 2008 et qui s’est clôturé en 2012 n’a pas encore eu de suite. Je pense qu’il faut avoir avant tout les capacités à mettre en place des tableaux de bord en termes d’employabilité aussi bien qualitatifs que quantitatifs. On ne peut se contenter de réagir. Il faut être proactif.
De plus, il faut avoir une réflexion sur la qualité du processus de formation. Si les processus d’assurance qualité de la formation ne sont pas spécifiques au tourisme et se doivent d’être développés de manière transversale par les certificateurs (ministères de l’éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur), il est plus que fondamental de pouvoir travailler à l’amélioration de la qualité de nos formations touristiques. Quand on a un bon encadrement et un bon suivi, la qualité de formation y est in fine.
Cette réalité, certains opérateurs touristiques l’ont bien compris. Les standards de qualité de service qu’ils ont les obligent à œuvrer au quotidien, non pas seulement sur les compétences mais aussi sur la capacité des employés à gérer la qualité au quotidien. Le «Training on the job» est ainsi devenu le quotidien du Middle Management, qui a des objectifs notamment qualitatifs. Bien entendu, cela ne remplace pas la formation continue nécessaire pour former que ce soit sur les attitudes ou sur les compétences. On peut déplorer que les difficultés liées aux Contrats spéciaux de formation ne permettent pas de faire évoluer la situation plus radicalement pour l’ensemble des entreprises du secteur.
On parle également d’un déficit de qualité des enseignements. Comment y remédier ?
La question de la qualité des enseignements est récurrente et renvoie au système de formation, mais pas seulement. C’est d’abord un état d’esprit, une démarche et une culture. Si le système n’a pas les moyens de ses ambitions, il faut que chaque opérateur de formation soit conscient de son rôle, non pas seulement pour délivrer des diplômes mais pour fournir des personnes suffisamment qualifiées pour les besoins des professions. Le travail doit se faire non seulement au niveau de l’enseignement (pédagogie) mais aussi dans la gestion des centres de formation et enfin dans la relation entre le système de formation et le tissu professionnel. Et j’aurai tendance à dire seulement au niveau central, mais également au niveau local.
Nous avons encore plusieurs systèmes de formations qui se chevauchent, celui relevant de l’Office de la formation professionnelle (OFPPT), celui relevant du ministère du tourisme ou encore celui relevant du secteur privé. Ce n’est pas tant la multiplicité d’opérateurs qui pose problème que la cohérence des formations délivrées. Les modalités pour former varient, le référentiel étant différent. Nous avons aussi des formations faites selon l’approche par compétences mais dont l’application est encore faite de manière disciplinaire. Au final, nous avons tout un système qui fonctionne de manière désordonnée. Forcément, les candidats n’ont pas le même niveau. Je pense que nous avons tous les moyens de nos ambitions. Il faut à mon sens ne pas travailler que sur le quantitatif mais aussi et surtout sur le qualitatif.
Concrètement, que faut-il changer ?
Les acteurs du système de formation hôtelière et touristique ont toujours été préoccupés par la question de la qualité de la formation dispensée. Plusieurs expériences pilotes ont été conduites pour l’introduction de la démarche qualité dans des établissements relevant des différents opérateurs de formation. Ce qui est certain, c’est qu’une telle démarche nécessite la mobilisation de l’ensemble des Ressources humaines impliquées dans l’acte de former, tant au niveau stratégique (instances de décision) qu’au niveau opérationnel (établissements de formation). L’important étant d’avoir un système de pilotage et des tableaux de bord qui puissent renseigner sur le degré d’adéquation entre les stratégies initiées et les actions opérationnelles mises en œuvre. La nécessité, à ce stade, d’un «Système d’alerte» s’avère primordiale pour toute action d’ajustement-réajustement. Le grand enjeu est de retravailler sur l’intégralité de la chaîne de valeurs et se poser les bonnes questions sur les actions à mettre en place, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. C’est aussi vrai dans le tourisme comme dans d’autres questions.
Quels sont les retours sur les jeunes qui sortent de ces écoles ?
Il faut savoir que les jeunes sont volontaires. J’ai assisté l’an dernier au 2e Concours hôtellerie restauration organisé à Fès par le ministère du tourisme. Cette opération s’est faite en partenariat avec l’Association internationale du Village des chefs qui regroupe des chefs du monde entier, certains étant étoilés, d’autres étant MOF (Meilleur ouvrier de France) comme le Chef Jean-François Girardin, Meilleur ouvrier de France qui a exercé pendant 30 années en tant que chef de cuisine au prestigieux hôtel Ritz à Paris. Ils sont venus du Brésil, des Etats-Unis, de France, du Japon… Ils ont tous été surpris par la motivation et l’enthousiasme des jeunes et de leur niveau d’engagement pour certains au niveau des grands concours internationaux. Leur message a été clair : ce n’est pas tant les jeunes qui ont besoin d’évoluer que leurs formateurs qui, malheureusement pour certains, ne sont pas au niveau. Pour autant, tous n’ont pas forcément la «vocation» qui fait la qualité de cette future élite marocaine. Il nous faut donc travailler au quotidien pour leur apporter l’envie de progresser. Et cela passe par les formateurs et les entreprises.
Quid justement des entreprises ?
Certaines entreprises ont compris de manière récurrente qu’il faut investir dans la formation. C’est un fondamental de leur rentabilité économique. Et donc, c’est un travail au quotidien du management à tous les niveaux. Cela passe par des mesures «d’Assessment» (évaluation des compétences), «d’Auto-Assessment» (auto-évaluation des compétences), de «Training on the Job» (formation sur le poste de travail), de «continuous Training» (formation continue), mais aussi par la qualité de la formation initiale. C’est ainsi que certaines entreprises ont développé la formation par apprentissage en milieu de travail, afin de pouvoir disposer de recrues adaptées à leurs besoins tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Cela suppose malheureusement des moyens que toutes les entreprises n’ont pas pour avancer. Il est urgent de fluidifier l’utilisation des contrats spéciaux de formation.
L’approche par compétences est-elle répandue ?
Le Maroc s’est engagé depuis déjà de nombreuses années dans la gestion des formations selon l’approche par compétences. Sans vouloir polémiquer, le fait est que nous sommes encore en train de faire face à plusieurs systèmes de formations qui se chevauchent. Comme précédemment évoqué, nous avons dans le tourisme des formations faites selon l’approche par compétences mais dont l’application dans la réalité est encore faite de manière disciplinaire. A mon sens, les formateurs n’ont pas été suffisamment accompagnés dans la phase de mise en œuvre. Nous ne sommes pas encore sortis de la phase pilote pour passer à une phase de généralisation active. Pour simplifier le discours, ce qui est compliqué pour un formateur c’est de passer d’un système où il délivre un cours théorique basé sur des connaissances à un système où il doit développer les compétences de ces étudiants, c’est-à-dire les accompagner sur le savoir-faire, pour arriver à la bonne réalisation qui leur permettra d’obtenir les bonnes compétences. Ainsi, on ne forme pas pour délivrer un diplôme basé sur l’acquisition moyenne de connaissances mais pour valider un ensemble de compétences directement opérationnelles en entreprise, les connaissances n’étant qu’au service de l’acquisition des compétences. Un nouveau projet APC a été lancé fin 2012 avec l’appui du Canada. Il s’agit du projet REAPC. Il est centré sur les problématiques de gouvernance, qui ont leur importance, mais qui ne permettront pas encore de délivrer dans l’ensemble du dispositif de formation des formations réellement mises en œuvre selon l’approche par compétences.