Harcèlement au travail : le mal dont on parle peu

Homme ou femme, nul n’est épargné. Le recours à  la justice est envisageable, à  condition de constituer un bon dossier. En parler est la première étape vers la fin du cauchemar.

Le sujet est tabou. C’est que dans ce domaine, le silence est roi. Pourtant, le harcèlement au travail est très courant auprès d’une population souvent démunie, livrée à elle-même et qui n’ose pas en parler ou le fait sous couvert de l’anonymat. Les milieux professionnels pullulent de pervers narcissiques qui tentent de satisfaire quotidiennement leurs désirs de dénigrer leurs collègues et subordonnées ou d’accéder à leurs corps. «Tout a commencé lorsque mon responsable a commencé à me complimenter sur mon nouveau look. Au début, cela m’encourageait. Mais au fil du temps, il a commencé à me faire des avances», se rappelle Ilham, jeune employée de 26 ans. Et d’ajouter, qu’«il est même allé jusqu’à me proposer un dîner en tête-à-tête. Depuis que j’ai décliné son offre, je suis devenue son souffre-douleur. Il n’est jamais content de mon travail. Et il ne se gêne pas pour le crier sur les toits». Dans son cas, le harcèlement sexuel a viré au harcèlement moral. Ces deux notions ne sont pas spécifiquement définies dans le code du travail. Le législateur se contente  juste de lister un ensemble de faits, «des fautes graves» pouvant entraîner des sanctions à l’encontre de l’employeur. L’article 40 stipule: «Sont considérées comme fautes graves commises par l’employeur, le chef de l’entreprise ou de l’établissement aÌ€ l’encontre du salarié :

– l’insulte grave ;
– la pratique de toute forme de violence ou d’agression dirigée contre le salarié ;
– le harceÌ€lement sexuel ;
– l’incitation aÌ€ la débauche.

Est assimilé aÌ€ un licenciement abusif, le fait pour le salarié de quitter son travail en raison de l’une des fautes énumérées au présent article, lorsqu’il est établi que l’employeur a commis l’une de ces fautes».
En revanche, en France, les deux cas sont clairement mis en évidence dans le droit du travail. L’article L1152-1 stipule : «Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel». Dans l’article L1153-1, le législateur prévoit : «Aucun salarié ne doit subir des faits :
z Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
z Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers».
En général, au Maroc comme ailleurs, les femmes, à l’instar d’Ilham, sont les proies les plus faciles dans les deux cas (harcèlement moral ou sexuel). La psychologue Rita El Khayat confirme : «Les ouvrières, notamment dans le textile, constituent une bonne partie des femmes travailleuses que je suis dans mon cabinet». Mais elles ne sont pas les seules victimes. Les hommes, ceux qui osent en parler en tout cas, sont de plus en plus ciblés par les femmes au pouvoir dans leurs entreprises. «Un de mes patients est en arrêt maladie depuis presque 4 mois», affirme notre psychologue. Ayant refusé de se plier aux caprices de sa hiérarchie, ce patient a été muté plusieurs fois dans des zones reculées. Il a été dernièrement affecté dans un village au Sud de Fès. Aujourd’hui, il fait une dépression. Quant à l’administration où il est fonctionnaire, elle ne profite plus de ses compétences. La psychologue n’en dit pas plus, secret professionnel oblige.

Qui est notre agresseur ?

Il existe trois catégories de harceleurs. Il y a tout d’abord l’inconscient qui ignore totalement la nature et la portée de ses actes. Il s’agit par exemple d’un jeune cadre immature, promu trop vite, qui ignore tout des relations humaines. Le perfectionniste est également potentiellement un harceleur. «Ce profil ne perdure pas puisque son entourage lui fait connaître rapidement son feed-back», explique Malgorzata Saadani, directrice générale du cabinet ANC, spécialisé en coaching personnalisé. Au fil du temps, il finit par prendre conscience de ses actes. Naoual, assistante de direction, se rappelle encore de la véritable cause de ses problèmes : «Cela faisait 9 ans que j’étais dans l’entreprise. Le nouveau directeur voulait m’imposer de travailler les jours de repos pendant quelques semaines. Or, j’ai des responsabilités familiales qui m’en empêchent. Depuis ce jour là, il m’assignait régulièrement des tâches impossibles à réaliser dans les délais, et j’en avais pour ma gueule quand je n’y arrivais pas».
La deuxième catégorie est celle du harceleur parfaitement conscient qui agit avec préméditation. Doté d’une personnalité déviante sur le plan social, il est le plus souvent opportuniste et complexé. Un tel profil n’est gardé dans l’entreprise que si ses compétences hors-pair le justifient.
Entre ces deux catégories, existe le harceleur «à moitié conscient». «Il est lucide quant à ses propres actes, mais ignore leurs conséquences réelles sur son entourage. Son cas est rattrapable à condition de bien lui expliquer la situation et qu’il veuille coopérer pour changer», explique Malgorzata Saadani.

Que faire en cas d’attaque?

Pour Me Hafid Imam, avocat à Casablanca, «pour agir, il faut être calme et patient. Il faut constituer un bon dossier de preuves (cf. encadré)». Dans le cas où le harceleur est un supérieur hiérarchique ou un membre de la direction, il faut penser à constituer un rapport comprenant vos évaluations professionnelles, tâches et promotions. Dans la majorité des cas soumis à la justice les témoignages s’avèrent décisifs, mais il est difficile d’en trouver lorsque le harcèlement est l’œuvre d’un supérieur hiérarchique ou un membre de la direction. Dans ce cas, la victime doit être très intelligente et rassembler autant que faire se peut des preuves, spécialement des enregistrements audio ou vidéo ou des traces de courriels ou SMS qui peuvent être admissibles comme moyens de preuve. Malgré ces possibilités, peu de dossiers atterrissent aux tribunaux. Car pour beaucoup de victimes, le sujet est encore très délicat.
La situation est davantage plus complexe lorsque le harcèlement n’est pas pratiqué par une seule personne, mais un groupe d’individus. Cela s’appelle du mobbing. Une relation composée d’agissements hostiles prémédités du groupe envers l’individu rejeté. «Les profils dotés de compétences professionnelles très développées font souvent peur dans les entreprises. Ils sont parfois rejetés, puis persécutés par les anciens de l’entreprise», explique Rita El Khayat. Dans ces cas, les dégâts psychologiques sont tout aussi dramatiques. Le salarié perd confiance en lui et peut «renier» son savoir-faire pour être intégré dans le groupe des harceleurs, aux compétences souvent limitées. Ce qui entraîne un nivellement vers le bas préjudiciable à l’entreprise.

Lorsqu’une personne est victime de harcèlement, elle se sent menacée, humiliée, traitée avec condescendance ou harcelée. Ce comportement crée un climat de crainte et d’intimidation sur le lieu de travail. «Dans le pire des cas, les victimes peuvent se suicider et, dans tous les cas, leur vie devient insupportable», partage Malgorzata Saadani. La pratique et les recherches sur le plan international prouvent que n’importe quelle personne, à un moment donné, peut devenir victime de harcèlement moral ou sexuel. Il ne faut donc surtout pas se taire.
De plus en plus d’entreprises prennent conscience des coûts sociaux engendrés par le harcèlement et savent que cela peut à terme porter atteinte à toute la structure. Il serait utile de se renseigner sur la politique adoptée par son futur employeur dans ce sens.