Entretien d’évaluation : Entretien avec Abdellah Chenguiti, DRH de Sews Cabind Maroc et président de l’AGEF

La manière dont l’évaluation est perçue et vécue par le collaborateur dépend essentiellement du niveau d’engagement du management dans le processus.

Abdellah-ChenguitiPour Abdellah Chenguiti, DRH de Sews Cabind Maroc et président de l’Association des gestionnaires et formateurs du personnel (AGEF), l’évaluation de fin d’année est loin d’être une formalité. C’est un dialogue ouvert et permanent, qui s’étend sur toute l’année. Actions menées, performances réalisées, compétences acquises et difficultés rencontrées sont les principaux points sur lesquels il faut se focaliser. Eclairage.

Pour beaucoup d’entreprises, l’évaluation de fin d’année est une simple formalité. Quelle est sa réelle valeur ajoutée pour l’entreprise et le collaborateur ?

L’évaluation annuelle, quand elle est menée de manière professionnelle, est d’un apport précieux, tant pour le collaborateur que pour l’entreprise. Pour le salarié évalué, l’entretien d’évaluation est l’occasion de faire le point sur les performances qu’il a réalisées et les compétences qu’il a pu acquérir ou développer au cours de l’année écoulée. C’est aussi, pour lui, le moment privilégié pour discuter des actions à mener pour améliorer ses performances et l’aider à préparer son avenir professionnel.

Pour l’entreprise, un système d’évaluation bien conçu et mis en œuvre permet de développer la culture du résultat et donc de  favoriser l’atteinte des objectifs de l’organisation. Il permet aussi de promouvoir une communication efficace et des rapports positifs entre les managers et leurs collaborateurs. Pour les responsables d’équipes en particulier, le processus d’évaluation vient valoriser leur rôle managérial et renforcer leur implication dans la gestion des hommes car, rappelons-le, tout manager est DRH de son équipe. J’ajouterais que l’évaluation annuelle constitue le socle qui porte l’ensemble des processus RH. L’exploitation des résultats de l’évaluation aide en effet la DRH à définir les besoins en formation, à gérer les rémunérations au mérite, à étayer et éclairer les décisions de mobilité interne et de promotion, à identifier et développer les talents clés et les successeurs potentiels pour les postes critiques de l’organisation. L’évaluation n’est donc pas une simple formalité administrative annuelle, comme c’est le cas malheureusement dans bon nombre de nos entreprises. C’est un dialogue ouvert et permanent, qui s’étend sur toute l’année. Le manager gagne en effet à échanger et à donner régulièrement des feed-back à son collaborateur sur les actions menées, les performances réalisées, les compétences acquises et les difficultés rencontrées. Il se doit aussi d’apporter son support au collaborateur pour surmonter de telles difficultés, disposer des moyens requis et atteindre les objectifs fixés.

Comment cette période est-elle appréciée par les salariés ?

La manière dont l’évaluation est perçue et vécue par le collaborateur dépend essentiellement du niveau d’engagement de son manager dans le processus d’évaluation. Trop souvent, l’entretien d’évaluation – quand il est tenu ! – est mal préparé.  L’évaluateur arrive à l’entretien avec des préjugés et raisonne dans le but d’aboutir à des conclusions pré-établies. Certains managers abordent l’exercice d’évaluation en adoptant l’une des démarches extrêmes : soit que l’évaluateur s’installe dans une relation de type paternaliste et évalue trop favorablement ses collaborateurs, parce qu’il ne veut pas être taxé de «dur» ou de «négatif» ou parce qu’il considère que son département est «toujours le meilleur» ou «fait toujours mieux», soit il est trop négatif, parce que trop exigeant ou perfectionniste, ou pire encore, parce qu’il considère son propre comportement comme étant la «norme», «l’exemple à suivre». Face à une telle posture, le collaborateur évalué va évidemment s’efforcer de se défendre et de camper sur ses positions. Autre phénomène qui caractérise souvent les entretiens d’évaluation dans nos entreprises, les deux parties, évaluateur et évalué, s’installent dans un faux semblant mutuel. On se plaît alors à tourner autour du pot, on simule un faux dialogue ou un échange informel et chacun dit à l’autre ce qu’il veut entendre, sans aborder les vrais problèmes.

Que faut-il faire pour que l’entretien soit productif ?

Il est important que l’évaluation soit menée dans un esprit de vérité. L’objectif n’est pas de «juger» le collaborateur ou de le «blâmer» mais de l’aider à développer ses compétences, améliorer ses performances et préparer son avenir professionnel. Il est tout aussi crucial de s’appuyer, lorsqu’on évalue, sur des faits et non sur des opinions ou, pire encore, des bruits de couloir. Je voudrais aussi insister sur le fait que l’évaluation ne doit pas être l’émanation d’une relation de dépendance chef – subordonné, voire d’une volonté de «régler des comptes». Elle ne doit pas être subie mais construite et négociée à deux, à l’issue d’un échange franc et constructif, fondé sur des faits précis, mesurables et vérifiables, autant que possible chiffrés et datés. On veillera à cet effet à donner des exemples de situations vécues, sans pour autant tomber dans le travers de vouloir «faire un inventaire exhaustif». Enfin, je pense, qu’il est temps de tordre le cou à ce cliché, trop souvent mis en avant par nos managers, selon lequel un collaborateur est bon parce qu’il «fournit beaucoup d’efforts».  Etre disponible ou surchargé ne veut pas dire être efficace. J’ai toujours fait le parallèle, en matière d’évaluation, entre performance et match de foot: être un bon joueur c’est bien, marquer c’est mieux !

Employés et cadres supérieurs ont-ils souvent les mêmes attentes ?

Un cadre recherche souvent, à travers une évaluation, une reconnaissance morale et une visibilité sur son avenir professionnel et son développement au sein de l’organisation. Le processus s’inscrit donc dans une perspective de moyen, voire de long terme. Le cadre attend de son manager du support et un retour d’information sur les performances réalisées, les actions menées pour réaliser les objectifs et les compétences acquises. Ce feed-back doit être immédiat, précis et constructif. La rémunération est importante mais vient souvent en second plan. Sous cet angle, le cadre attend un traitement individuel de sa rémunération, qui se matérialise par une augmentation au mérite et/ou un bonus. 

Pour un ouvrier ou un employé, l’évaluation s’inscrit plus dans le court terme. Elle porte sur la maîtrise du poste par le collaborateur, en fonction de ses qualités professionnelles et humaines. Ses performances sont appréciées sur la base de l’efficacité démontrée en cours d’année, dans la réalisation des principales activités prévues par le descriptif du poste. L’attente à ce niveau porte sur la reconnaissance morale mais aussi matérielle. Pour ce dernier aspect, le salarié aspire à une évolution qui devra dépendre, à ses yeux, plus de son expérience dans le poste, voire de son ancienneté, que du mérite individuel.

En somme, ils se rejoignent sur certains points ?

D’une manière générale, indépendamment de la catégorie socioprofessionnelle du collaborateur évalué, celui-ci attend de son manager que l’évaluation soit claire, précise et étayée par des faits. Il attend également que son manager reconnaisse ses performances, sa contribution aux bons résultats et qu’il identifie, avec lui, les points sur lesquels il doit progresser. Il est important pour le collaborateur de se sentir non pas «jugé» mais aidé. Enfin, le collaborateur aspire à pouvoir exprimer son point de vue par rapport aux appréciations de son manager mais aussi par rapport au style de management de ce dernier, à sa contribution à la marche du service et à la réalisation des objectifs, à son appui en termes de mise à disposition de moyens, de suivi régulier, de résolution de problèmes, etc.

Y a-t-il parfois des oppositions des salariés à leur notation ?

Pour qu’elle soit acceptée, l’évaluation doit être, comme je l’ai déjà souligné, non pas subie mais construite et négociée à deux. Elle ne doit pas viser la personne. Dire à quelqu’un qu’il est mauvais ne mène à rien. Il est important de s’appuyer sur des actes, tels que les résultats obtenus ou encore des exemples de situations vécues, qui témoignent ou non d’un niveau de compétence adapté aux exigences du poste. Une évaluation acceptée est aussi une évaluation basée sur la coresponsabilité. Elle suppose tout d’abord une remise en cause aussi bien de l’évalué, sur ses performances et la prise en charge de son propre développement, que de l’évaluateur, sur son style de management et le support qu’il apporte au collaborateur. Elle requiert ensuite un partage des responsabilités en cas de problèmes et une fierté commune en cas de bonnes performances. Elle nécessite enfin un échange franc, où l’évaluateur et l’évalué osent dire les choses en face, sans blesser … mais sans détour non plus !

Ceci dit et malgré tout le soin que le manager apportera à l’exercice d’évaluation, il arrive souvent qu’un désaccord surgisse au sujet des faits relatés ou des résultats de l’évaluation. Bon nombre d’entreprises prévoient alors un mécanisme de recours dans leurs systèmes d’évaluation. Le processus de mise en œuvre de ce recours prévoit généralement que le collaborateur évalué informe le manager n+1 (évaluateur) et le manager n+2 de sa position. Le manager n+2 se réunit séparément avec le collaborateur et son manager pour rediscuter l’évaluation. A l’issue de la discussion, le manager n+2 décide si l’évaluation doit être revue et en informe le manager n+1 et le collaborateur. Il est néanmoins souhaitable, pour le manager n+2, de s’atteler à rapprocher les points de vue et, plutôt que de dicter la solution, s’efforcer de la faire émerger de la discussion entre le collaborateur et son manager, qui adhéreront ainsi plus facilement à la solution construite à deux.