Enseignement au Maroc : Le système modulaire montre ses limites

Le système modulaire introduit par la loi 01-00 est en soi avantageux, mais son application s’est révélée difficile, faute de ressources humaines. Avec 15 000 enseignants pour 615 000 étudiants, ce système pose des contraintes administratives et pédagogiques.

Le système modulaire introduit par la loi 01-00 sur l’enseignement supérieur a t-il besoin de quelques réaménagements 11 ans après sa mise en œuvre ? Pour y voir plus clair, il faut attendre l’installation de l’Agence nationale pour l’évaluation de l’enseignement supérieur, qui se chargera aussi des accréditations et des équivalences (la loi créant cette instance est actuellement dans le circuit d’adoption). Elle sera la seule instance indépendante habilitée à faire une évaluation objective de toute la réforme de l’enseignement supérieur mise en œuvre en 2003, et du système LMD dans sa globalité.  En attendant, nombre d’enseignants-chercheurs et de responsables d’universités marocaines reprochent au système modulaire actuel quelques défauts.
Ce rappel d’abord : instauré dans le cadre du système LMD (licence, master, doctorat), un module est un ensemble d’informations et de connaissances réparties en unités que l’étudiant acquiert pendant son cursus. Autrement dit, c’est un ensemble de cours dans un domaine précis. Les modules font partie d’un ensemble plus global : la filière. Un module de sémantique, par exemple, dépend de la filière linguistique. Pour qu’il passe d’un niveau à un autre, l’étudiant doit valider le nombre de modules programmé dans la filière qu’il a choisie. Mais cette validation fonctionne par capitalisation, ce qui veut dire que l’étudiant a la possibilité de capitaliser les acquis à tout moment. Les modules acquis lui permettent de les présenter s’il veut changer d’orientation, ou même s’il veut rechercher un jour un emploi. C’est justement son avantage par rapport au système d’avant 2003, où l’étudiant pouvait passer plusieurs années à l’université sans avoir validé le moindre acquis.
Le système modulaire est avantageux a priori, mais pratiqué dans les conditions actuelles de l’université marocaine il présente des limites. Le problème, remarquent les professionnels du secteur, est que la mise en place du système LMD, dans son ensemble, n’a pas été accompagnée des moyens financiers et humains nécessaires. Elle a été faite dans la précipitation. «Le LMD marocain prit forme au sein d’un chantier d’improvisation permanente», constate Mustapha Bouaziz, professeur universitaire. Il introduit, selon lui, «une architecture modulaire branlante, une inflation d’examens, une charge horaire hasardeuse, un encadrement pédagogique insuffisant et un contenu ancien, réservé dans une grille nouvelle. La réforme qui devait être innovante s’est révélée comme un système handicapé par des lourdeurs inutiles».
La première contrainte du système modulaire est d’ordre administratif. Sa gestion n’est pas évidente. Dans l’ancien système, il y avait une seule inscription de l’étudiant, c’était au début de l’année universitaire. S’il réussit, il accède au niveau supérieur, s’il échoue il se réinscrit pour refaire l’année. Avec le nouveau système, si l’étudiant ne valide pas tous ses modules il passe quand même au niveau supérieur, quitte à faire des rattrapages. Il est donc obligé, comme l’explique ce cadre administratif, «de s’inscrire à deux niveaux différents.  D’où des difficultés à gérer la progression pédagogique de cet étudiant, et d’établir les listes de tous les autres étudiants par module et les emplois du temps pour éviter les chevauchements de niveaux». Ce système exige de l’administration d’inscrire deux fois l’étudiant, une inscription administrative au début de l’année, et une autre, pédagogique, au début du semestre. C’est donc une charge administrative supplémentaire qui s’ajoute au personnel de l’université. Qu’à cela ne tienne. Si au moins il y avait les ressources humaines et les infrastructures suffisantes, le problème sera résolu.
Aussi, une nouvelle charge pédagogique est venue avec ce système alourdir le travail des enseignants-chercheurs. Elle concerne en fait le système LMD dans sa globalité et non pas seulement le système modulaire stricto sensu. Ce dernier est un système basé sur un rapport de proximité entre l’étudiant et l’enseignant, et donc, forcément, il exige la répartition des étudiants en petits groupes. Or, l’université ne possède ni les ressources humaines suffisantes pour encadrer les hordes d’étudiants qui affluent chaque année, ni l’infrastructure nécessaire pour cela. Le département de tutelle se plaint d’un déficit important en matière d’enseignants-chercheurs : 15 000 pour encadrer plus de 615 000 étudiants, soit un ratio de 2,5 enseignants pour 100 étudiants. En Tunisie, pour le même nombre d’étudiants en 2010, le pays comptait plus de 200 000 professeurs. Le ratio en France, le plus faible pourtant de tous les pays de l’OCDE, est de 6,1 enseignants sur 100. A ce rythme, l’enseignant-chercheur ne peut se libérer pour la recherche scientifique ni pour encadrer les thèses de ses étudiants. La nouvelle réforme promise par M. Daoudi, prévoit, d’ailleurs, le retour à l’assistanat pour libérer l’enseignant-chercheur d’un certain nombre de charges.
Cela étant, la loi 01-00 n’apporte pas qu’un système basé sur les modules et une réforme des structures administrative, mais aussi une refonte pédagogique. Or, la pratique a révélé qu’il n’y a pas eu de changement en la matière. L’architecture a changé, mais le contenu est resté le même. Ce qui fait dire à Amar Kifani, ancien doyen de la Faculté des sciences de Meknès et ex-directeur de l’Académie régionale d’éducation et de formation de Guelmim-Smara, que «les connaissances scientifiques requises et la durée de leur acquisition pour l’obtention d’un diplôme donné restent pratiquement similaires, que ce soit dans le cadre de la réforme ou avant la réforme».