Conflit de générations : Questions à  Khadija Boughaba, DG du cabinet Invest RH

«L’entreprise gagnerait à  adopter un management plus souple»

Peut-on parler réellement d’un conflit de générations depuis qu’on assiste au rajeunissement des effectifs et à des opérations de départs volontaires dans le public comme dans le privé ?

Tout d’abord, il me semble important de donner du sens à l’expression «conflit de générations» qui peut être défini comme«une difficulté à travailler avec des personnes d’une génération différente, voire une préférence pour travailler avec des personnes de la même génération». Au Maroc ces différences sont exacerbées avec l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail, et la nécessité de reprofilage des effectifs suite à des restructurations ou réorganisation dans de nombreuses entreprises du secteur privé et  public où les séniors sont le plus visés.
Parallèlement, ces jeunes aux nouveaux repères, aux nouveaux rapports à l’autorité, très portés sur internet et les réseaux sociaux, se heurtent à l’environnement de l’entreprise dont le mode de fonctionnement est, pour la plupart du temps, plutôt figé. Oui, nous pouvons parler d’un réel conflit de générations dans nos entreprises.

Dans votre dernière enquête qui relate les attentes des deux générations, avez-vous le sentiment qu’un fossé sépare les deux ?

A travers les résultats de notre enquête, jeunes et séniors partagent les mêmes valeurs autour de la famille et du travail. Par contre, ce que révèle notre enquête, c’est le grand écart de perception et de la motivation au travail de chaque génération. Pour les séniors, ce qui les attirent le plus dans le travail, c’est plutôt la rémunération, le statut et la stabilité. Alors que pour les jeunes, c’est avant tout le développement des compétences, l’ambiance, les conditions de travail et la mobilité.  
Ce n’est pas tout, le fossé se creuse car les jeunes Marocains nés après les années 80 ont bénéficié d’un contexte d’ouverture et de liberté d’expression qu’ils ne retrouvent pas au sein de l’entreprise où prédomine un management directif et une organisation pyramidale.
Dans mon métier de recruteur, je reçois quotidiennement des témoignages de jeunes qui déplorent le manque de compréhension de leurs ainés vis à vis de leurs attentes, le fait qu’ils n’aient pas la même culture du partage (informations, savoirs, pratiques), la non-prise en compte de leurs suggestions… Je sens même des sentiments de frustration chez ces jeunes qui se sentent freinés car il n’arrivent pas à exploiter leur potentiel. C’est le cas par exemple de ce jeune ingénieur qui ne comprenait pas pourquoi son chef rejetait la solution justifiée et rationnelle qu’il proposait à un problème technique grave.

Cette cohabitation parfois difficile pour certaines entreprises représente-t-elle réellement un enjeu actuel  ?

L’enjeu est capital et complexe car il impacte directement la performance de l’entreprise. Il s’agit en fait d’amener toutes les générations à travailler efficacement ensemble en tirant profit de leurs différences pour éviter des ruptures et la formation d’îlots. C’est le nouveau défi des entreprises !
Comment maintenir ces générations en état de motivation durable et d’engagement vis-à-vis de leur travail sachant que celles-ci sont dans des étapes différentes de leur carrière?
On a ainsi des séniors qui cherchent à être valorisés par les jeunes tout en maintenant leurs acquis sachant qu’ils sont aux postes de commandes ; la génération 30/40 ans soucieuse de monter en compétences et de faire évoluer sa carrière vers des postes de management ; les jeunes de moins de 30 ans, une génération montante avec des exigences et des attentes plus élevées en termes de qualité de vie au travail, de besoin d’épanouissement individuel, de besoin de communication, de nouveautés et de challenges, dotés d’un esprit communautaire et privilégiant le travail en équipe, à la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, décomplexés vis à vis de leurs aînés, affirmant ses positions et besoins d’être convaincus. Bref, une génération qui cherche à se réaliser d’une manière constante et sur laquelle les entreprises doivent compter pour préparer la relève.
L’entreprise doit être en mesure de bien connaître les attentes de chaque génération et les anticiper pour proposer des réponses cohérentes. Mais plutôt que de focaliser sur des questions intergénérationnelles, elle gagnerait à adopter un management plus souple, capable de s’adapter.