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Au Royaume

Un pilier des droits de l’homme s’en va

Emporté par la maladie à  57 ans,
Driss Benzekri aura lutté jusqu’au
bout.


Ancien d’Ila al Amam, il avait été
condamné à  trente ans de prison avant
de saisir la main tendue de l’Etat.


Il aura tenté de concilier les
positions, sans états d’à¢me et malgré
toutes les critiques.

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Terrassé par la maladie à  57 ans, l’âge auquel d’autres s’apprêtent à  prendre cette retraite qu’il n’aura jamais connue, Driss Benzekri a laissé l’image d’un homme réservé mais pugnace, qui aura lutté pour les droits de l’homme jusqu’au dernier souffle : ultime fait d’armes, c’est sur son lit de mort, quelques jours avant son décès, le 20 mai dernier, qu’il a signé un texte créant une couverture médicale pour les victimes des années de plomb.

Il participe à  l’une des grèves de la faim dans les prisons marocaines

Né en 1950 dans la province De Khémiss et au sein d’une famille modeste de la tribu des Aà¯t Ouahi, dans la localité du même nom, Driss Benzekri a quitté son village natal dès l’âge de quinze ans pour Tiflet, Khémisset puis Rabat, o๠il a poursuivi ses études à  l’ancien lycée Gouraud. Evoluant entre l’influence d’un Bel Miloudi, ancien chef de l’Armée de libération qui avait mené la rébellion d’Oulmès en 1958, et celle d’un Si Ameur Benbouzekri, signataire du Manifeste de l’Indépendance du 11 janvier 1944 et membre de l’Istiqlal, il opte pour le maoà¯sme à  18 ans. Un choix qu’il concrétise en intégrant Ila al Amam, mouvement d’extrême gauche né d’une scission du Parti de la libération et du socialisme – le futur PPS – en 1970, après un court passage par l’ex-parti communiste, jugé trop peu audacieux à  son goût.

Le jeune Benzekri devient membre actif du mouvement d’extrême gauche, au sein duquel il aide à  préparer la révolution prolétarienne. Chargés entre autres de l’infiltration d’associations et de synnomdicats, lui et ses compagnons doivent très vite faire face à  la répression qui frappe l’extrême gauche à  partir de 1972. Deux ans plus tard, arrêté à  La même époque qu’Abraham Serfaty, également membre de la direction d’Ila al Amam, Driss Benzekri séjournera au tristement célèbre centre de détention Derb Moulay Chérif jusqu’en janvier 1976, avant son transfert à  la prison civile de Ghbila. Condamné à  trente ans de prison, il sera à  nouveau transféré, cette fois à  la prison centrale de Kénitra, en mars 1977. L’année se terminera pour lui et ses compagnons avec l’une des premières grèves de la faim du milieu carcéral marocain, destinée à  arracher des conditions de vie plus décentes. En 1981, il annoncera sa rupture avec Ila al Amam, ce qui ne l’empêchera pas de rester derrière les barreaux dix années de plus.

L’IER, une tâche ingrate à  laquelle il s’est dévoué corps et âme

Libéré en 1991, à  l’instar de centaines d’autres prisonniers politiques, il assistera aux premières tentatives officielles de traiter des abus perpétrés durant les années de plomb, évoqués en octobre 1998 dans le discours du défunt Roi Hassan II au Parlement. Chargé d’enquêter sur les abus commis, le Conseil consultatif des droits de l’homme montrera très vite ses limites en ne faisant état que de 112 cas de disparitions, une goutte d’eau dans l’océan. Qu’à  cela ne tienne, la société civile ne tardera pas à  reprendre le flambeau. Créé un an plus tard, le Forum vérité et justice, présidé jusqu’en 2002 par Driss Benzekri, rassemble pêle-mêle familles de disparus, anciens gauchistes, islamistes, ex-résistants ou rescapés de Tazmamart, tous unis par la volonté de révéler l’ampleur réelle des abus perpétrés.

Deux ans après, il sera nommé à  la tête de l’Instance équité et réconciliation (IER), ce qui lui permettra de poursuivre son travail à  plus large échelle : disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures, conditions inhumaines de détention…, près de 17 000 dossiers seront ainsi étudiés, dont une dizaine de milliers donnant droit à  des réparations. Quant aux auditions publiques des victimes, elles entraà®neront de véritables séances de catharsis collectives. Première et unique expérience en matière de justice transitionnelle dans le monde arabe, l’IER rappelle des projets similaires lancés en Amérique latine, à  cette différence près qu’au Maroc l’aval des autorités évitera aux enquêteurs les menaces, voire les assassinats commis sous d’autres cieux. Son rapport final sera accompagné d’une série de recommandations concernant les réformes nécessaires pour éviter de nouveaux abus. C’est le CCDH qui sera chargé de veiller à  leur application, et, une fois de plus, Driss Benzekri sera invité à  y diriger les opérations, ce qu’il fera jusqu’à  sa mort.

Le parcours du militant défunt n’aura pas échappé à  la critique, notamment de la part de ceux qui l’accusent d’avoir collaboré avec les autorités, ou encore de n’avoir pas été suffisamment critique envers l’Etat après sa nomination à  la tête de l’IER. En fait, convaincu que la main tendue partait d’une bonne intention, il aura jusqu’au bout tenté de concilier les positions, semblant dire que la paix pouvait être plus efficace que la guerre.

Les polémiques non plus n’auront pas manqué, notamment avec l’affaire du sondage du journal Al Jarida al Oukhra, qui, très maladroitement, l’aura classé première personnalité de l’année 2005, incluant le Souverain dans la liste des personnes à  classer. Tout cela n’aura entamé ni la détermination de Driss Benzekri, ni la crédibilité de la mission qu’il s’est fixée. Un grand homme est mort, même ses détracteurs le reconnaissent…