Au Royaume
Mohamed Essabar, SG du Conseil national des droits de l’homme
Militant politique au sein de l’USFP et du PADS, il se transformera en défenseur invétéré des droits de l’homme au sein de l’AMDH et du FVJ.

C’est un tribun hors-pair, au verbe éloquent. Son charisme et son franc-parler en ont charmé plus d’un, y compris parmi ses détracteurs. Si l’on devait retenir une seule qualité parmi plusieurs c’est celle du militantisme sincère, désintéressé. Et de cela personne ne doute. Ni au sein de l’USFP qu’il intègre, à 20 ans, au milieu des années 70, ni au sein du Parti de l’avant-garde démocratique socialiste (PADS) d’Ahmed Benjelloun qu’il rallie un peu plus tard, ni au sein de l’AMDH et encore moins au sein du Forum vérité et justice (FVJ) qu’il a présidé pendant deux mandats successifs, avec dévouement, souvent au détriment des affaires de son cabinet d’avocat installé au quartier Hassan, à Rabat. Nommé par le Roi Mohammed VI, le 3 mars, comme secrétaire général du tout nouveau Conseil national des droits de l’homme (CNDH), on parle d’un «choix judicieux».
Kamal Lahbib, militant associatif, ne tarit pas d’éloges sur l’homme : «Son capital acquis au sein de l’AMDH et du FVJ est assez riche pour donner un coup de fouet au champ des droits de l’homme au Maroc au sein d’un CNDH pourvu maintenant d’une indépendance et de toutes les prérogatives pour jouer pleinement son rôle». Comme il le dit lui-même : «Ma mission au sein du nouveau conseil est délicate, mais n’est pas impossible».
C’est dans le quartier de Yacoub El Mansour à Rabat que Mohamed Essabar vit le jour une année avant l’indépendance. Son père est vendeur de tissu, sa mère, femme au foyer. Jusqu’à l’âge de 10 ans, l’enfant se dirigeait quotidiennement, après les cours, à la boutique de son père pour l’aider à la tâche. Des amis de ce dernier, dont des militants de l’UNFP, y défilaient aussi pour discuter, de tout, et de la politique en premier lieu : des noms étaient souvent prononcés, Jamal Abdennasser, Mehdi Ben Barka, Mohamed Basri… Ils résonnaient fortement dans la tête de l’enfant pour y rester gravés à jamais. Mohamed verra un jour, en chair et en os, Ben Barka. C’était en 1963 ; il en fut ébloui.
Alors qu’il est en prison à Salé, il écope de trente ans par contumace à Tétouan
Mohamed est l’aîné de dix frères et sœurs, et il garde encore un souvenir vivace de son père, commerçant et analphabète. «Comme il ne savait ni lire ni écrire, il s’est forgé sa propre méthode pour faire ses opérations de calcul. Pour se rappeler aussi des noms de ses clients, il inscrivait des signes sur son carnet», raconte, nostalgique, le fils.
En 1973, les choses se corsent pour le jeune Mohamed. Ça sera une année blanche et, au lycée Maghreb Arabe de Rabat, il baignait déjà dans le militantisme. Il est traduit devant un conseil de discipline, et écope, fort heureusement, d’un simple changement d’établissement, alors qu’il s’attendait au pire : l’exclusion. A quelque chose malheur est bon : dans le nouveau lycée, il aura comme enseignant Abdellatif Derkaoui, militant de gauche -qui sera incarcéré pendant douze ans- auprès duquel il puise un nouveau souffle de militant. C’est en 1978 qu’il passe, avec succès, son bac en candidat libre.
La militance au sein de l’UNEM ne l’empêche pas d’obtenir coup sur coup une licence en sociologie et une autre en droit, ni de coupler son activisme politique avec la défense des droits de l’homme, au sein de l’AMDH, dès le début des années 1980. Comme la plupart des opposants politiques de cette époque, il goûtera aux affres de la prison. C’était en 1984, lors des émeutes qui ont secoué plusieurs villes marocaines : six mois ferme à purger à la prison Laâlou de sa ville natale et ce fut pour lui une occasion de croiser les militants marxistes-léninistes de la prison centrale de Kénitra, qui y défilaient qui pour examens qui pour visites médicales, dont son ancien professeur A. Derkaoui. A sa grande stupéfaction, alors qu’il est à la prison de Laâlou, la Cour d’appel de Tétouan le condamne par contumace à 30 ans de prison. Ce n’est qu’une fois libéré qu’il se présenta à la Cour de Tétouan pour crier son innocence, qu’il obtint.
Démissionner du Forum vérité et justice : une obligation
Inscrit au barreau de Rabat à partir de 1993, M. Essabar consacrera plus de temps à la défense des droits de l’homme qu’au militantisme politique. En 1999, la naissance du Forum vérité et justice (FVJ) constitue un tournant : les anciennes victimes réclament des comptes à l’Etat.
Une époque qui s’est soldée par la création, en 2004, de l’Instance équité et réconciliation (IER), présidée par Driss Benzekri, au sein de laquelle le FVJ refusera d’être représenté. Il faut dire qu’un an plus tôt, Benzekri était déjà nommé au sein du CCDH, nouvelle version, comme secrétaire général, ce qui a suscité à l’époque un tollé au sein du FVJ. M. Essabar était l’un des farouches opposants au cumul de deux responsabilités, jugées contradictoires : être en même temps au sein du CCDH, organe de l’Etat, et au sein du FVJ (Benzekri n’y était plus président mais simple consultant au conseil national), une association de la société civile. Le fameux mot de Essabar, «Benzekri est banni du forum», est resté dans les annales. Le nouveau SG du CNDH y serait-il banni aussi ? «En fait, je dois démissionner maintenant du FVJ. Ma nouvelle responsabilité l’exige de moi», tranche-t-il. Et cette responsabilité, il l’entrevoit avec optimisme, pourvu que la future composition du forum soit conforme à ses nouveaux statuts, précise-t-il.
«L’indépendance, le pluralisme, et des compétences à la mesure de la tâche», ajoute-t-il. Le fervent militant des droits de l’homme et le farouche opposant politique n’est-il pas, comme d’autres, en train de changer de veste ? Sur la toile, il est déjà traité de «vendu», et nombre de ses camarades du PADS sont désarçonnés, sinon franchement hostiles à sa décision. Lui, il est plutôt serein. «J’ai ma conscience pour moi. Je défendrai les idéaux qui sont les miens là ou je serai entendu», justifie-t-il.
