Au Royaume
L’homme qui a échappé à son destin
Une famille très modeste ; le père, un fqih sévère, pour lequel «le dessin est blasphématoire» ; Mounir comprend très tôt que les études seront sa seule voie de salut.
C’est à dix-huit ans qu’il découvre le cinéma, à Grenoble
où il est boursier.
Avec un doctorat en linguistique et un Dess en marketing, il est le seul Marocain à enseigner
– la communication – au Conservatoire des arts et métiers.

L’histoire de Mounir Ferram aurait pu être celle de la majorité des Marocains qui, victimes de l’inégalité des chances couplée à l’ignorance ou à l’aveuglement des parents, se sont heurtés au mur du Baccalauréat ou ont abandonné leurs études dès le collège ou bien avant. Ce jeune homme, né à Khouribga en 1965, a décidé d’écrire autrement son parcours. Il dit humblement: «J’ai eu la chance d’agir sur mon destin, au moment exact où il était possible d’en corriger le cours. Avant cet instant «T», cela aurait été inutile, après, cela aurait été trop tard !».
Mounir naquit dans une famille pauvre où la forte présence du père écrasaittout sur son passage. De surcroît, ce père dominateur est fquihet tient le m’sid où le jeune homme va recevoir les coups qu’ilesquivait à la maison. Bien sûr que son père l’aimait, à samanière, mais il ne le savait pas encore. Ce qu’il savait, par contre,c’est que «la sensibilité fragilisait l’être humain»,ou encore que «le dessin était blasphématoire». Dèsl’âge de six ans, Mounir devait faire la prière et accompagnerson père à la mosquée, le vendredi. Mais il ne ressentaitpas du tout cela comme une oppression.
Très jeune, il est attiré par la langue de Molière
Mais l’enfant qu’il était avait besoin d’évasion,rêvait d’avoir des bandes dessinées entre les mains. Or ilsavait que cela était interdit, pas seulement à la maison maisinterdit tout court, dans l’absolu, car «contraire à la religionet aux principes les plus élémentaires d’une vie saine».La plage, les vacances et même les flâneries sont à bannir,car il fallait «être un homme». Rigueur dans la vie de tousles jours, rugosité des rapports au sein de la famille, rudesse de lavie elle-même ; c’est ce «désert sentimental et émotionnel» quiva pousser le jeune Mounir dans les bras de la langue française où ils’échappait dans la lecture des classiques pour rechercher les nourrituresdont il était assoiffé.
Et curieusement, alors que tout le poussait à détester «l’étranger» etune langue qui n’était pas la sienne, c’est le contraire quise produisit. C’est cela même qui l’attirait mais il fallaitle cultiver dans le secret. Et le jeune comprit aussi, en voyant le train devie des familles d’ingénieurs de l’OCP qui vivaient dans l’aisance,que pour échapper à son destin, il fallait qu’il réussissedans ses études. Ce sont ses enseignants à l’écoleprimaire, puis, plus tard au lycée Ibn Yacine, qui comprirent et accompagnèrentcette attirance pour la langue de Molière. Mounir se souvient qu’iln’aimait ni les maths ni la physique, qui lui paraissaient d’unesécheresse contraire à ses penchants de jeune enfant songeur, plutôtattiré par les lettres et la philosophie. Il souhaitait échangeravec sa mère quelques idées, à défaut de quelquessentiments. Avec son père, il savait qu’il ne pouvait en êtrequestion l’espace d’une seconde.
De toute évidence, on peut imaginer la période de doute et de tentationde laisser tomber ses études et d’aller grossir les rangs de ceuxqui succombèrent à la facilité d’aller travaillerpour avoir une «liberté» trompeuse et illusoire. Il savaitqu’il fallait attendre et il attendit patiemment son heure.
Il reste attaché à l’enseignement, mais ne résistepas à l’appel d’un cabinet de conseil
Et c’est ainsi qu’il réussit son Bac avec brio, ce qui luivalut une bourse à Grenoble. Parmi lesbuleuses découvertes» qu’ilfit en 1983, alors qu’il avait dix-huit ans, les bibliothèques etles salles de cinéma. C’est là qu’il commença à donnerlibre cours à cette soif de découvrir le monde. Mais il n’oubliepas les raisons de sa présence en France, et les 3 000 DH de bourse trimestrielslui semblaient une aubaine. Surtout qu’il avait été prisen charge par la solidarité estudiantine. Après un Deug, il choisitla linguistique comme discipline et n’en sortira pas jusqu’à l’obtentionde son doctorat en 1997 à Jussieu, à Paris. Il ne s’en tintpas là, puisqu’il avait préparé parallèlementun Dess en marketing.
Une fois ses études terminées, il reçoit une propositiondu Conservatoire des arts et métiers où il enseigne la communication.Et il est le seul Marocain à y enseigner aujourd’hui le marketing,qu’il enseigne aussi à Paris IV. Aujourd’hui, dit-il «nonseulement, il faut apprendre à tout le monde à pêcher, maisil faut mettre chacun en posture d’apprendre aux autres comment transmettrecet art, celui d’être pourvoyeur de solutions, la manièrela plus sûre d’éradiquer l’indigence intellectuelle».
Mounir Ferram, qui reste attaché à l’enseignement, veut s’ancrerdans la pratique, c’est pourquoi il a cherché à intégrerun cabinet de conseil. Et c’est à Victoria consulting (où ilexerce toujours) qu’il est recruté comme directeur «marketinget alliances», peu de temps après son entrée dans la vieactive. Selon lui, «l’intervention en entreprise est une manièrede faire du coaching collectif. Le plus difficile est d’apporter du nouveautout en évitant les résistances que tout ce qui est inéditrisque de produire».
