Au Royaume
Langue fourchue…
Faut-il ou non introduire la darija dans notre enseignement ? Voilà la question qui secoue depuis des semaines le microcosme intellectuel et suscite un débat des plus passionnés, voire féroce, entre les pour et les contre.
Faut-il ou non introduire la darija dans notre enseignement ? Voilà la question qui secoue depuis des semaines le microcosme intellectuel et suscite un débat des plus passionnés, voire féroce, entre les pour et les contre. Le Souverain a nommé début octobre un nouveau patron pour le Conseil supérieur. Le département a un nouveau ministre reconnu pour sa longue expertise et, avantage de taille, sans aucune appartenance politique, la question étant aujourd’hui tellement cruciale qu’il a été décidé, à juste titre d’ailleurs, de ne pas la laisser tributaire des logiques partisanes souvent conjoncturelles. Tout cela augurait enfin d’un début de travail sérieux sur la vraie réforme pour sauver notre école et faire en sorte que les générations futures ne soient pas sacrifiées comme beaucoup de celles qui les ont précédées. Mais c’était sans compter avec cet incroyable don que nous avons nous autres Marocains de poser des barrières hypothétiques insurmontables, de compliquer les problèmes plus qu’ils ne le sont déjà et de suspendre les grands dossiers à des questions qui ne sont pas les plus importantes. Car aujourd’hui, l’impression que nous donnent tous ceux qui se sont mis en avant sur la question de la darija est que le cœur de la réforme passe par là. Certains en font même une affaire d’Etat, d’autres parlent d’atteinte aux fondamentaux de la nation… Admettons maintenant que l’on décide d’aller plus loin dans le ridicule et de ne rien faire avant que nos intellectuels aient tranché cette question de haute importance nationale. Est-ce cela qui mettra fin au calvaire des petits écoliers à la campagne et qui, pour regagner leurs classes, doivent parcourir des kilomètres, parfois dans des conditions climatiques rudes ? Si les élites du pays, ou ceux qui se présentent en tant que tels, tombent d’accord (au bout de combien de temps ?) sur un compromis national quant à la langue, cela résoudra-t-il le problème de l’abandon scolaire? Quelle relation entre ce débat hautement académique et les petits problèmes quotidiens très basiques de nos écoles ? Des salles de classes sans éclairage, sans vitres et dans un état de délabrement avancé, des instituteurs dont une majorité ne croit plus depuis longtemps à la noblesse de leur mission ?… C’est cela la réalité de notre école aujourd’hui qui n’a strictement aucun lien ni avec l’arabe, ni le français, ni la darija. On aurait enseigné dans une autre langue, on aurait eu les mêmes résultats car les origines du mal sont ailleurs. Notre véritable problème c’est la gouvernance des moyens.
Oui, la question de la langue est un volet important pour l’avenir de notre système éducatif et la qualité des futurs citoyens actifs. Mais commençons d’abord par nous attaquer au plus basique, au plus urgent et au plus vital. Et pour cela, il n’est pas besoin de réinventer la roue. Allons juste voir ce que d’autres font ailleurs. Dans les pays connus pour la qualité de leur enseignement, sur chaque 100 dollars investis dans le système, 10 servent à couvrir les dépenses de l’administration centrale et 90 dollars vont directement dans la classe. Si l’on commençait la réforme par ce petit bout, ce serait un grand pas pour le pays…