Au Royaume
Il a commencé aide-commerçant à Derb Omar, il est aujourd’hui un grand du textile
Son père le destinait au commerce et l’encourageait à quitter l’école pour officier dans son magasin de Derb Omar.
Il a préféré l’industrie et dirige un groupe de
12 unités industrielles qui emploient 2 000 personnes.
Cet homme au parcours exemplaire dans les affaires a eu le temps de réunir
les dictons marocains dans un livre de 200 pages publié à compte
d’auteur.
Il s’investit sans relâche dans le mécénat.

Mohamed Kabbaj est un homme heureux et cela se voit de loin. Le bonheur qu’il affiche n’a rien à voir avec un quelconque signe extérieur de richesse, dont il n’est pourtant pas dépourvu. C’est du moins ce que laisse supposer son sourire rayonnant et qu’il voudrait contagieux. Sa devise : «N’arrêtons jamais de travailler, car ce n’est que de cette manière que nous pourrons semer la joie et la bonne humeur ». Pour notre homme, « le travail n’est pas synonyme de labeur ni de punition mais c’est un espace de créativité et d’émancipation».
Quand il visite les unités de production de son groupe, tout le monde sait qu’on peut parler de tout, y compris des problèmes, à condition de proposer une solution pour chaque problème soulevé, et pas n’importe laquelle. Et Mohamed Kabbaj de préciser sa pensée : «Le danger, le plus grand danger, ce ne sont pas les problèmes, ce sont les mauvaises solutions !».
Comment a commencé ce brillant industriel ? Né à Fès en 1943, dans une famille nombreuse de 8 enfants dont il est l’aîné, Mohamed commence comme aide – commerçant à Derb Omar dès l’âge de 12 ans. Son père attendait presque impatiemment qu’il redouble une classe pour l’installer comme dauphin dans le commerce de tissu qu’il détenait. Même sa mère était de la partie et le pressait d’en finir avec la classe, persuadée que son avenir était dans «sanaat bouk layghalbouk» (qu’on pourrait traduire par «capitalise sur le métier de ton père pour assurer ton avenir»). Il tiendra pourtant jusqu’au Bac, qu’il décroche en 1961 avant que son père ne le pousse à prendre en charge l’hanout (la boutique). En fait, il y a eu toute une période d’initiation pendant laquelle il savait qu’il n’échapperait pas à son destin. Ainsi en 1959, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent, il avait été chargé par son père d’aller faire le marché des derniers produits en tissu à Lyon. Une chose courante à l’époque.
Sa première tentative de créer une unité industrielle en 1964 est un échec cuisant
Sauf que le jeune Mohamed, lui, ne voulait pas être commerçant mais plutôt industriel. C’est alors qu’il commence, en 1964-65, par monter une affaire avec des membres de sa famille. Malheureusement, cette première tentative fut un échec. Il n’est pas rebuté pour autant, mais doit battre en retraite et se «réfugier» momentanément dans la boutique de Derb Omar. Ce n’était pour lui que partie remise. Il se refait et, en 1970, met sur pied une petite unité de fabrication et d’impression de tissu. Il recrute une vingtaine de personnes pour commencer et comprend très vite qu’il doit maîtriser toute la chaîne pour ne pas être à la merci d’éventuels sous-traitants. En 1990, il se décide à ouvrir une plateforme à Dubaï, puis une seconde en Arabie Saoudite. C’est à partir de là qu’il distribue sa production sur les marchés du Moyen-Orient. Ses châles, foulards et autres écharpes…, dont il vend la moitié au Maroc, tiennent la dragée haute à des produits que fabriquent des pays pourtant réputés pour leurs capacités concurrentielles, comme l’Indonésie, Singapour ou encore la Malaisie.
Son credo ? Ne jamais produire ailleurs qu’au Maroc
M. Kabbaj n’aime pas parler chiffres, mais il suffit de dire qu’il emploie aujourd’hui plus de 2 000 personnes dans les douze unités de production que compte le groupe Soft qu’il dirige pour avoir une idée de l’ampleur des affaires de cet industriel visionnaire. Pour lui, le plus important, c’est de ne jamais songer à produire ailleurs que dans son pays, car, dit-il, «il est impératif pour moi que ce soient des Marocains qui fabriquent et continuent à imaginer et à produire ce que j’ai appris à commercialiser et à distribuer ailleurs». C’est en quelque sorte le patriotisme économique qu’il véhicule.
L’homme reste pourtant modeste et continue de travailler sans relâche. Ses journées commencent à 7h du matin, soucieux qu’il est de donner l’exemple à son personnel. Et, avec cela, il trouve le temps de recueillir les dictons marocains dans un livre de 200 pages, en arabe et français, qu’il publie en 1980 à compte d’auteur. Le succès ne se fait pas attendre et les deux premières éditions sont épuisées. Il travaille sur le même sujet et prépare un second livre où il veut consigner tous les aphorismes marocains à caractère humoristique, cette fois. Quand on l’interroge sur son dynamisme et sur les raisons qui le font se réveiller chaque jour aussi tôt, M. Kabbaj a un large sourire : «Une des raisons de mon succès, en dehors du fait que ma valeur à moi s’appelle le travail, c’est que je n’ai jamais rien entrepris pour gagner de l’argent. Pour moi, l’activité est une aubaine pour l’homme qui, en dehors, ne saurait rien faire de son énergie!».
Et quand, pour finir, on lui demande de raconter comment l’idée lui est venue de construire un hôpital à Sidi Bernoussi (100 lits toutes spécialités confondues), il devient subitement timide. Son explication est laconique. «Nombre de mes activités se trouvaient concentrées à Sidi Bernoussi et je ne pouvais pas ne pas remarquer qu’il y avait un besoin». Il ne tarda pas à concrétiser son idée. Après cette première action, qui a coûté 8 MDH, l’entrepreneur y prend goût. Il remet alors ça en finançant, pour 15 millions, l’unité cardiovasculaire du CHU Ibn Rochd de Casablanca.
