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Au Royaume

Hicham Lahlou, champion du design marocain

Sa notoriété a démarré en 1999 avec la fameuse théière «Koubba». Très vite, il est reconnu par ses pairs qui le portent à  la tête de leur union. Apôtre du design global, il se fait aussi le champion de la profession face à  des pouvoirs publics auxquels il reproche, entre autres, de n’avoir pas su profiter de la manne du tourisme et de l’essor de l’hôtellerie pour promouvoir le design marocain. Portrait.

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Avec sa dégaine de jeune premier, sa mise branchée et son air d’être bien dans ses baskets, Hicham Lahlou tranche avec ses pairs créateurs, souvent geignards et tourmentés. S’il possède indiscutablement une stature de créateur, il n’en adopte pas la posture. Ni outrecuidance, ni esbroufe, mais un franc-parlerattachant, une appréciation lucide de l’univers dans lequel il estimmergé, celui du design.

Sa consécration : le Trophée Maroc design2005
Dans la rue surannée Saâd Ibn Abi Oukkas, à Casablanca, sedresse curieusement un immeuble ultra-moderne. Au 2e étage, se trouvela société de «design and consulting» Pentafla. HichamLahlou nous y reçoit. Nous sommes aussitôt frappés par lecalme studieux qui y règne, puis par la disponibilité obligeantede notre hôte et son étonnante maturité. Pourtant, aux dernièrescerises, il avait à peine trente-deux ans. Trente-deux ans et un talentincommensurable, récompensé par une foison de distinctions, dontune qui lui est allée droit au cœur : le Trophée Maroc Design2005, décerné par les designers marocains, en janvier 2005, lorsde la clôture de l’exposition «Maroc Design», coorganiséepar Maghreb Oxygène et Maisons du Maroc. Consécration légitime,tant Hicham Lahlou est méritant.
Dès son éclosion, en 1999, avec la désormais célèbrethéière «koubba», il s’est attaché, avecune exemplaire ténacité, à remuer le paysage du design marocain.De cela, ses pairs lui sauront gré. C’est pourquoi ils l’ont élu,en mai dernier, à la tête de l’Union des designers du Maroc(UNIDEA), où se réunissent, depuis, autour de lui, des professionnelsprêts à reconsidérer leur discipline d’un œilneuf. Voilà Hicham Lahlou en position de gourou qui a toujours la bonnedistance, celle d’un créateur à l’écoute del’univers, pour qui la forme n’est pas un geste gratuit.
La forme a happé Hicham Lahlou dès l’âge plastique,qui en devint obsédé. Par pulsion optique, il captait toutes cellesque son regard embrassait pour les suggérer par le dessin. «A sixans, j’avais une passion démesurée pour le dessin. Je passaisle plus clair de mon temps à représenter tout ce qui se présentaitdans mon champ de vision». Soucieux de ne pas contraindre sa vocation,ses parents le laissaient complaisamment faire, d’autant que ses étudesne pâtissaient pas de ce virus. Mieux : remarquant son affinité avecla nature et les paysages, ils lui permettaient d’assouvir son goûtdéjà prononcé pour l’ailleurs. A l’âgede 14 ans, des premiers émois, il voyagea tout seul aux Etats-Unis. Cen’était que le prélude d’une longue série depériples à travers le monde. Hicham Lahlou se définit lui-mêmecomme un «bourlingueur», dont l’infinie bougeotte ne s’expliquepas par une quête du bizarre et de l’exotique, mais par une passiondu relatif, du divers et du multiple. «C’est grâce aux voyagesque ma vocation pour le design s’est affirmée». Sous chaqueclimat nouveau, il faisait sa moisson de formes et de signes, propres à forgerson langage de designer. «Les études, c’est important, maisce sont les voyages qui vous forment», dit-il.

Etudes à l’Académie Charpentier puis stages chez Airbus Industrieet Siemens, à Toulouse
Bac en poche, Hicham Lahlou déserte son Rabat natal pour se transplanter à Paris,la ville qui l’a toujours fasciné. La prestigieuse AcadémieCharpentier l’accueille à bras ouverts. Il y recueille ses lumièresen matière d’architecture d’intérieur et de design.Les deux domaines sont en liaison organique, affirme-t-il, et on ne saurait lesdissocier. «Le métier d’architecte d’intérieurest d’aménager un espace. Dans cet environnement, il doit concevoirtous les éléments, les meubles et les objets nécessairesqui y correspondent», explique-t-il. Au fond, il se pose, comme nombrede designers, dont l’immense Ettore Sottsass, en architecte d’abord.Cinq ans après, il obtient haut la main son diplôme. S’ensuiventdes stages à Airbus Industrie et chez Siemens, à Toulouse, puisdes collaborations avec des architectes d’envergure, comme Aziz Lazrak,auquel il porte beaucoup d’estime. En 1999, Hicham Lahlou ressent le besoinde voler de ses propres ailes. Il prend un envol remarqué avec sa premièrecollection, inspirée de l’architecture de l’arcade. Son sac à dos,sa théière en argent et son guéridon en acier à troispieds forcent l’admiration. Les magazines lui consacrent leurs colonnes,ses pairs le portent au pinacle, les lieux d’expositions le sollicitent.Pour autant, le nombril ne lui monte pas à la tête. Ce qui le rendtrès fréquentable.

«Est-il admissible que les designers soient écartés du PlanAzur» ?
Sans fausse modestie, Hicham Lahlou se considère comme l’un desprécurseurs du design marocain. Non à tort. Si en Occident le designtraîne déjà une longue histoire, entamée en 1851 parla construction du Crystal Palace londonien en un temps record (8 mois), à partird’unités modulaires préfabriquées en usine, poursuivie,en 1859, par la fameuse chaise conçue par l’autrichien MichaëlThonet, au Maroc, il en était encore à ses balbutiements, lorsqueHicham Lahlou fit son entrée sur scène. Les vrais designers secomptaient sur les doigts d’une main, beaucoup se prétendaient telssans avoir ni l’air ni la chanson. Or, le métier de designer exigenon seulement un savoir-faire et un sens de la créativité maisaussi énormément de rigueur. Ce fervent adepte du design global(dessiner l’espace et les objets qui le meublent), promu par l’architecteallemand Peter Behrens, en 1910, en donne l’exemple, en créant,fin 2004, l’agence pluridisciplinaire d’intérieur. A lui revientla tâche de la conception, à l’un des ses deux associésle marketing et la finance, à l’autre le management et l’organisation.
Bien que ne regrettant pas d’avoir choisi de s’établir auMaroc, au lieu de faire son beurre ailleurs, Hicham Lahlou a la dent dure enversles institutions publiques et privées, ces empêcheurs de la planètedesign de tourner rond. «Moi qui suis profondément patriote, j’enragede voir les designers libanais ou algériens reconnus mondialement, alorsque le nôtre rame toujours, faute de s’exprimer, parce que ni l’Etatni les organismes publics ou privés ne lui en donnent l’occasion».De fait, le marché essentiel du design marocain demeure le bureau, lesmagasins et la maison. Pas d’objets de grande diffusion à causede la rareté des commandes publiques. De surcroît, nos hôtelscossus le snobent et importent coûteusement des meubles, souvent fadeset impersonnels. Les propriétaires de résidences se comportentde la même manière. Aussi, notre design est condamné à êtremaintenu sous le boisseau, au grand dam de ses servants qui, pour la plupart,tirent le diable par la queue. «Pourtant, sans le design, notre industrie,qui se développe, et notre artisanat, qui s’essouffle, ne pourrontpas s’épanouir», s’exclame Hicham Lahlou, qui rêvede résidences et d’hôtels peuplés par les créationsdes designers. «Il faut faire du design une affaire nationale», s’emporte-t-il,vexé qu’il est de constater le peu de cas qu’en font les décideurs.Est-il admissible que les designers soient écartés du plan Azur,par exemple ?
Hicham Lahlou ne se contente pas de ruer dans les brancards, il agit surtout.A preuve, la fondation, en mai dernier, de l’UNIDEA («Unis autour de l’idée»), à laquelleil assigne la mission de faire acquérir ses lettres de noblesse au designmarocain. Avec un tel chevalier ardent, nul doute que ce ne sera pas un coupd’épée dans l’eau.