Au Royaume
Elle rêvait d’enseigner la danse… elle sera une sommité de la pédiatrie
Originaire d’un patelin à 30 km de Safi, elle a eu la chance d’avoir étudié le français à l’à¢ge ou peu de filles allaient à l’école.
Son père l’a inscrite manu militari à la faculté de médecine de Rabat.
Elle est aujourd’hui à la tête du service de pédiatrie de l’hôpital
Ibnou Rochd de Casablanca.

Certaines personnes paraissent moins armées que d’autres pour affronter les difficultés de la vie. Elles semblent menues, fragiles, vulnérables et donc plus exposées. Souvent, pas toujours hélas, par un effort personnel et par une sorte de justice de la nature, elles sont dotées d’une force de caractère peu commune et d’une volonté d’agir sur leur destin et sur les choses largement supérieure à la moyenne. Habiba Haj Khalifa fait justement partie des personnes dotées de cette force tranquille.
Au Bac, déjà, elle fait partie des 10 premiers lauréats du Maroc
Au départ, la chance n’a pas été de son côté. Elle est née en 1945 dans le Maroc profond, dans un petit village du nom de Bhatra Chamalya, à 30 kilomètres de Safi. Elle a la chance d’aller d’abord à l’école à Madrassat Al Haskouri, une institution de référence, certes, mais qui n’enseigne que l’arabe. C’est à un parent et à des relations qu’elle doit d’être ensuite inscrite à l’école de filles Biada de Safi. Aujourd’hui, le professeur Habiba Haj Khalifa se souvient avec émotion de cette époque où les élèves du primaire de la région devaient se déplacer jusqu’à Marrakech pour passer les épreuves du CEP (Certificat d’études primaires).
En 1957, la jeune fille est interne à Rabat au lycée Lalla Nezha et elle ne se sentira pas déracinée puisque, à l’internat, elle se retrouvera en compagnie d’autres élèves de sa promotion qu’elle côtoie tous les jours.
Là, se rappelle-t-elle, elle commence, par on ne sait quel hasard, à montrer des talents de sportive. Elle est particulièrement douée pour le hand-ball et le basket, et pas seulement en dilettante puisqu’elle sera sociétaire du Fath de Rabat (Fus) pendant longtemps. Brillante en chimie et physique – les mathématiques ne sont pas sa tasse de thé -, elle fera partie des 10 bacheliers les plus brillants pour l’année scolaire 1963/64. Si bien que l’ambassade de France lui offre un séjour dans l’Hexagone.
Curieusement, la jeune Habiba ne veut pas entendre parler d’études de médecine. Son père est horrifié quand il apprend qu’elle veut devenir professeur de danse. Si horrifié qu’il l’emmène quasiment manu militari pour l’inscrire à la faculté de médecine de Rabat, dont elle sortira en 1971 avec son diplôme de médecine en poche.
Après un bref passage dans le public, elle reprend un cabinet de médecine générale à Safi. Pendant deux années, elle s’implique dans sa région natale et s’intéresse déjà à la politique. Mais elle veut aller plus loin dans ses études et projette de se spécialiser en gastro-entérologie. Heureusement, se réjouit-elle, que deux de ses professeurs lui déconseillent une spécialité pouvant présenter des difficultés pour une femme. Elle se décide alors pour la pédiatrie, et c’est en 1977 qu’elle obtient son diplôme de la faculté René Descartes de Paris. Plus tard, ce sera l’agrégation et l’orientation en neuro-pédiatrie. «Tout cela ne s’est pas fait de manière linéaire, explique-t-elle, et heureusement, car, en capitalisant sur le savoir-faire acquis, sur l’expérience et les recyclages, les choses se passent naturellement avec un plus grand bénéfice pour la carrière, la recherche, et les malades, bien sûr». Une chose est sûre, Habiba Haj Khalifa ne se laisse pas démonter par les difficultés, d’où son parcours un peu chahuté mais jamais interrompu.
Elle raconte que quand elle est partie pour la France, la première fois, pour y faire sa spécialité, une mauvaise surprise l’y attendait : en effet, il n’y avait pas d’équivalence entre les diplômes marocain et français. Elle revient alors au pays et ameute les responsables de la faculté et les confrères. Résultat : l’anomalie est rapidement corrigée.
Si, professionnellement, le professeur Habiba Haj Khalifa est une femme heureuse et épanouie, son expérience politique ne lui a pas apporté le bonheur qu’elle escomptait. «Aujourd’hui, précise-t-elle, même si je n’ai pas lâché prise dans la politique, je me recentre sur la pédiatrie, le social et l’associatif».
La candidate malheureuse à la députation depuis les années 1975, devenue aujourd’hui chef du service de pédiatrie à l’hôpital d’enfants au CHU Ibnou Rochd de Casablanca, s’est beaucoup impliquée dans la Société marocaine de pédiatrie, dans la Société francophone de gastro-entérologie, la Ligue contre l’épilepsie, le Comité régional en faveur des enfants hémophiles… Son parcours témoigne d’un dynamisme et d’une détermination remarquables. Et si son engagement politique n’est pas encore couronné de succès, elle ne baisse pas les bras. Elle assure ne pas chercher «une quelconque gloire pour avoir des responsabilités politiques». Son choix est celui d’«une personne qui veut apporter sa contribution dans l’action contre la souffrance, l’exclusion et la pauvreté». Le parcours du professeur Haj Khalifa raconte aussi l’histoire de la percée de la femme marocaine dans la vie professionnelle, économique et sociale. Elle représente ces femmes qui ont conquis un statut de haute lutte et ont ouvert la voie à leurs consœurs. Elle aime à dire que «le succès est la plus petite partie apparente du travail, il le récompense sans jamais en donner une véritable illustration».
