Au Royaume
Elle dirige l’école de journalisme où elle avait étudié 25 ans plus tôt
Elle doit son inscription à l’école publique à une mère analphabète qui a su convaincre un père réticent.
Elle quitte les mathématiques et la physique et se jette délibérément dans le monde du journalisme.
Elle a contribué à rendre à l’ISIC son aura d’antan.

Latifa Akherbach, directrice de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC), dégage à la fois une impression d’ingénuité et de mystère. Un peu à l’image de ce pan d’Andalousie où elle est née en 1960, la ville de Chaouen. Pourtant, très vite, les obligations professionnelles du papa militaire vont contraindre la famille à s’installer à Marrakech. Mais l’influence de sa ville d’origine va marquer toute la vie de la jeune Latifa et de ses huit frères et sœurs, à travers les parents qui, dans un environnement différent, celui de la ville ocre où ils atterrissent, resteront attachés aux us et coutumes de leur ville d’origine.
Latifa Akherbach raconte comment, très jeune, elle a développé une grande capacité d’adaptation, qui sera l’un de ses atouts. D’une certaine façon, vivre dans une ville du sud pendant deux décennies a donné à cette famille, venue du côté opposé, une forme de métissage qui a certainement profité à sa progéniture.
Pourtant, il s’en est fallu de peu pour que son destin change du tout au tout, son père ayant hésité à l’envoyer à l’école. Latifa doit, en effet, une fière chandelle à sa maman. Car c’est elle, pourtant analphabète, qui, voulant se réaliser à travers sa fille aînée, arriva à convaincre le père réticent à l’inscrire dans l’enseignement public. Elle y arriva, tant et si bien que la jeune Latifa sera inscrite à l’école dès cinq ans, à une époque où les enfants n’étaient éligibles à l’enseignement public qu’à partir de sept ans. C’est dire combien la maman était perspicace, déterminée et débordante de sollicitude pour l’instruction de ses enfants.
Au départ, elle ne jurait que par les matières scientifiques
La suite va couler de source, car la jeune Latifa va mettre toute son énergie dans ses études. «Dans de telles conditions, raconte-t-elle, j’ai très tôt intégré deux choses : d’abord qu’il fallait être la première et, progressivement, à travers l’influence des parents et de l’entourage, que je devais m’orienter vers des matières scientifiques». Le deuxième choix sera une erreur car, dès qu’elle obtient son Bac, un Bac sciences maths, en 1978, elle s’inscrit à la fac des sciences, section maths-physique. Elle se rend compte de son erreur avant la fin de l’année universitaire. Et dès l’année suivante, elle s’inscrit à ce qui était alors l’ISJ (Institut supérieur de journalisme) où elle obtiendra son diplôme quatre années plus tard. Elle est brillante dans ses études, tant et si bien qu’elle obtient des bourses d’excellence pour différents stages à Paris. Elle se souvient encore de cette semaine passée à Antenne 2 ou encore d’une conférence de rédaction à laquelle elle a assisté et où siégeait Patrick Poivre d’Arvor (PPDA) qui lui fit forte impression à l’époque.
Il était clair que le domaine du journalisme dans ces différentes formes l’attirait comme un aimant. Mais voulait-elle être sur le terrain ou plutôt dans l’encadrement et la formation ? Après un DEA et un doctorat d’université à Paris, les dés étaient jetés et le choix d’enseigner là où elle fut étudiante quelques années plus tôt s’imposa de lui-même.
Latifa Akherbach prend à cœur son métier d’enseignante et de chercheur et se pose des questions sur la nature de la formation à prodiguer, sur le projet pédagogique qu’il faut affiner dans cette filière et prône une ouverture de l’institut sur son environnement professionnel et culturel. Elle montre une telle implication dans son travail qu’on lui propose plus d’une fois la direction de l’institut où elle enseigne. Mais ce n’est qu’en 2003 qu’elle accepte. Voilà ce qu’elle dit des premiers mois qui ont suivi sa prise de fonction : «Mon premier réflexe a été non seulement de reconstituer le capital symbolique de l’institut, mais la volonté d’en faire une école de référence. Et ce n’est pas par hasard que j’ai fait appel à des conférenciers de notoriété internationale. Il fallait aussi mieux définir “l’ingénierie” et le concept pédagogique de l’enseignement, de manière à ce qu’il colle à la réalité et aux besoins de la presse en mouvement dans le pays».
Tentée par l’écriture, elle a déjà cosigné deux livres
Il paraissait évident pour Latifa Akherbach que le cursus de base devait assurer une sorte de «Smig intellectuel», nourri de l’ouverture sur l’environnement et d’une vision plus globale. Même le concours a été réaménagé de manière à ce que l’institut n’accepte que les candidats s’inscrivant dans une logique d’excellence. Pour Latifa Akherbach, «l’enseignement du journalisme tout comme la pratique de ce métier ne peut pas être uniquement démocratique, il y a des conditions à remplir. Il faut du talent mais aussi une bonne formation de base pour accéder à ce genre d’institut. Tout comme pour le reste d’ailleurs !».
En fait, ce qui frappe chez Latifa Akherbach, c’est sûrement cette synthèse entre la théoricienne (qui s’est essayée à l’écriture puisqu’elle a cosigné deux ouvrages : Femmes et médias et Femmes et politique) et la femme de terrain, celle qui agit sur la réalité de tous les jours. Aujourd’hui, justement, la directrice de ce qui s’appelle désormais ISIC veut passer à la vitesse supérieure et rêve de former des managers spécialisés en gestion d’entreprises de presse.
En attendant, Latifa Akherbach garde les pieds sur terre et parle, pour bientôt, de former des journalistes spécialisés en sport, culture… Pour elle, aujourd’hui, il faut préciser l’adaptation au marché et elle se félicite que les lauréats de son institut ne chôment pas. Mieux, ils sont souvent recrutés avant même la fin de leur cursus.
