Au Royaume
A 38 ans, il laisse tomber la diplomatie et réussit une percée dans le textile
Tour à tour enseignant, attaché culturel et conseiller économique,
il se lance à l’aventure à l’approche
de la quarantaine.
En 20 ans, le chiffre d’affaires de son entreprise est passé de
1,2 MDH à plus de 200 millions.
Ses atouts : le goût du risque, l’anticipation et l’indépendance.

Fonctionnaires ou salariés dans une entreprise, beaucoup caressent le rêve de devenir entrepreneur un jour. Et ceux qui franchissent le pas nous laissent toujours rêveurs. Mohammed Tamer est l’exemple type de ceux qui écartent d’une pichenette la sécurité de l’emploi pour mettre à l’œuvre l’esprit d’entreprise qui sommeillait en eux. Cela ne s’est pas fait en un tournemain. Il a fallu attendre que le déclic se produise.
Né à Derb Soltane en 1947, l’entrepreneur qui brasse aujourd’hui plusieurs centaines de millions de DH a connu un destin surprenant, justement parce qu’il n’a jamais accepté que son destin puisse se jouer en dehors de lui. Tout commence normalement et le jeune Mohammed, aîné de trois frères et une sœur, fait son cycle primaire et la première partie du secondaire à Casablanca. C’est ensuite à Rabat qu’il poursuit son cycle secondaire. Rien à signaler, sauf le fait que, suite à une série d’erreurs d’orientation, il se contentera d’un Bac lettres modernes en 1965. Après une licence en anglais et un passage par l’ENS (Ecole normale supérieure), il est enseignant d’anglais à Kénitra puis à Rabat, dès 1971. Mais le jeune homme est ambitieux et ne se voit pas ronronner éternellement sur une estrade. C’est ainsi qu’après avoir été promu conseiller pédagogique, il obtient, en 1975, une bourse pour préparer un master en linguistique aux Etats-Unis.
De retour au pays, il enseigne à la faculté des lettres de Rabat et à l’Insea (Institut national des statistiques et d’économie appliquée) et découvre (ou redécouvre) l’économie. Mais, avant cela, des circonstances favorables lui ouvriront les portes du ministère des affaires étrangères. Il se retrouve alors conseiller culturel à Londres et deviendra premier conseiller de l’ambassade en 1981. Une période dont il se souvient avec enthousiasme puisque, durant ces années, il fallait regagner du terrain sur l’Algérie en matière de lobbying auprès des pays africains anglophones représentés en Grande-Bretagne.
Au départ, le soutien de l’administration lui fait défaut
En 1982, il participe à un concours destiné à sélectionner des conseillers économiques appelés à servir dans les ambassades du Maroc à l’étranger. Mohammed Tamer fait partie des 19 personnes retenues. Il est alors affecté à Copenhague. Découvrant des opportunités d’affaires dans les pays nordiques, il travaille à ouvrir de nouvelles brèches pour les produits du Maroc qui, jusque-là, n’y plaçait que ses phosphates et ses agrumes et primeurs. Les produits qu’il encouragea furent le vêtement et la rose coupée. Mais M. Tamer se rend compte que l’offre marocaine est insuffisante et irrégulière. C’est alors qu’il décide de quitter les Affaires étrangères et de revenir à Casablanca pour lancer un projet dans l’industrie textile. C’était en 1985, et le secteur avait le vent en poupe.
Mohammed Tamer se souvient de cette période avec un peu d’amertume car, dit-il, «une fois qu’on change de casquette, outre les doutes qui peuvent vous assaillir alors que vous êtes débutant, l’administration a du mal à accompagner ces premiers pas décisifs et qui, faute de soutien, peuvent être mortels».
La mise initiale était de 500 000 DH, dont 400 000 empruntés
Il se rappelle qu’il s’est adossé à des actionnaires qui avaient le savoir-faire. Ils investirent ensemble 500 000 DH, dont 400 000 empruntés, dans une entreprise de confection dénommée Bogart et dotée de 30 machines. «Oui, nous avons commencé modestement et, personnellement, j’y ai mis mes économies de fonctionnaire». Quelques années plus tard, le besoin d’extension se fait sentir. A la recherche de locaux, l’industriel finit par racheter une entreprise sur le déclin. Plus récemment, au début de l’année 2006, il prend une participation importante dans une entreprise de délavage.
Aujourd’hui, Bogart, l’entreprise principale de Mohammed Tamer, partie d’un effectif de 50 personnes, en compte 1 500 et réalise un chiffre d’affaires de 200 MDH, contre 1,2 MDH au démarrage.
Quel est le secret de son succès ? Mohammed Tamer le résume en une formule lapidaire : «La démarche industrielle a horreur de la culture de l’oral et du fatalisme». Mais il a une conception personnelle de la conduite des affaires : «Je suis toujours le premier à aller au charbon et je me fais un point d’honneur à ne pas compter sur les autres. Par exemple, j’ai des secrétaires, mais je refuse d’avoir une assistante».
Mohammed Tamer insiste sur la nécessité de s’adapter aux situations, au risque d’en payer le prix. Il explique : «Au départ, je voulais produire pour les pays scandinaves, mais j’ai dû rectifier le tir en fonction des difficultés et de la demande. Aujourd’hui j’exporte sur la France. Il faut juste fabriquer le produit qui sera demandé et le placer au meilleur prix».
Quand on l’interroge sur ce qui l’a décidé, en 1985, à abandonner un poste de diplomate prometteur, il reste un moment songeur : «D’abord, il ne faut pas croire que j’ai couru à l’aventure, car le business et le créneau avaient de la visibilité. Pour le reste, il s’est produit un déclic et le propre des déclics, c’est qu’ils se produisent par une accumulation dont les mécanismes nous échappent. J’ajouterai que le fait que mes enfants avaient atteint un âge où ils devaient retrouver leurs racines fait partie des raisons qui m’ont décidé à rentrer au bercail».
