Consommation : Les dépenses des ménages en berne

Depuis la crise de 2008, le pouvoir d’achat a commencé à fléchir pour finalement diminuer ces trois dernières années, faisant perdre en moyenne 1.100 DH de dépenses par personne. Analyse.
Comment a évolué notre niveau de vie ? Nos dépenses ? Nos besoins ? Qu’avons-nous sacrifié, et au profit ou au détriment de quelle nécessité? Tout d’abord, il convient de préciser que le niveau de vie des Marocains, évalué selon leur dépense moyenne annuelle, a constamment augmenté ces dernières années. En effet, par habitant, cette dépense est passée de 15.900 DH en 2013 à près de 20.400 DH en 2019, soit une progression de 2,7% sur une période de six ans. Cette tendance haussière était déjà en place depuis 2007, avec une augmentation de 3,6%. Cependant, bien que le niveau de vie ait augmenté, il a connu des ralentissements. Selon Ayachi Khellaf, secrétaire général du HCP, cette décélération s’explique par le ralentissement de la croissance, en particulier après la crise économique de 2008. En effet, alors que le Maroc affichait une croissance annuelle moyenne de 5%, celle-ci n’était plus que de 3,5% au lendemain de la crise. Cette baisse de la production, des revenus et donc de la consommation a eu des conséquences sur le niveau de vie des Marocains.
La crise sanitaire est venue aggraver la situation d’une dépense déjà fragilisée, ce qui a eu un impact négatif sur le pouvoir d’achat. Entre octobre 2019 et décembre 2021, on a observé une baisse de 2,2%. Il ne s’agit plus d’une simple décélération, mais d’une véritable diminution. En termes nominaux, la dépense de consommation est passée de 20.400 à 20.040 DH, ce qui signifie qu’en moyenne le citoyen marocain a réduit son budget de 360 DH pour toutes les catégories de dépenses confondues. Cette baisse peut être considérée comme normale, étant donné que la crise sanitaire, le confinement et leurs conséquences ont limité les dépenses non essentielles et ont incité les Marocains à se concentrer sur les besoins de base, ainsi que sur l’hygiène et la santé.
Malgré les aides publiques accordées aux différents secteurs économiques afin de maintenir leur activité et les salaires de leur personnel, le Maroc a connu une hausse du chômage, ce qui a entraîné une baisse de la consommation.
Épargner au lieu d’investir
On observe actuellement un changement de paradigmes et d’habitudes de consommation, avec un retour aux produits durables. De plus, la constitution d’une épargne pour faire face aux périodes difficiles peut expliquer cette tendance. Selon les statistiques de Bank Al-Maghrib, l’encours des comptes sur carnet a augmenté de 5,3% en 2019 et de 10,7% en 2020, pour atteindre un montant de 752 milliards de dirhams en 2020. Ayachi ajoute : «Au vu de la perception négative des perspectives d’évolution de l’économie nationale, on peut considérer que les agents économiques lèvent le pas sur l’investissement, compte tenu des risques qu’ils pourraient prendre et orientent ainsi leur argent, soit vers les banques ou la consommation». Alors que le pays commençait à voir le bout du tunnel, à pas de tortue, le voilà engouffré dans les conséquences d’une autre crise, d’ordre géopolitique cette fois-ci. Malgré ses efforts pour résister, il n’a pas tardé à subir les conséquences de la hausse des prix des matières premières, qui s’est étendue à d’autres biens non échangeables, frappant les citoyens comme un coup de massue. La dépense moyenne par habitant est passée à 18.940 DH, soit une baisse de 1.100 DH en une année, arrachant ainsi cette somme à la capacité de dépense des Marocains.
Alimentation, 35% du budget
Comment a évolué la répartition des dépenses entre la période antérieure à la Covid-19 et celle qui a suivi? Selon les enquêtes menées par le HCP, une véritable inflexion a été opérée dans les dépenses consacrées aux biens autres qu’alimentaires entre ces deux périodes. L’alimentation continue de représenter plus d’un tiers des dépenses, avec une part restée stable à 36,4% du budget total. Toutefois, le montant global a diminué de 2,4% à 7.289 DH, en raison de la baisse de la dépense annuelle moyenne. En 2022, elle se situe à 6.640 DH et représente désormais 35% des dépenses totales, soit toujours environ un tiers. En réalité, il s’agit de charges incompressibles qui conservent leur niveau, quelle que soit la conjoncture.
Cependant, les Marocains ont réduit leurs dépenses en équipements et meubles pour la maison. Avant la pandémie, ils dépensaient en moyenne 637 DH, mais maintenant ils ne dépensent plus que 408 DH en moyenne, soit 2% de leur budget de dépense, en recul de 1,1 point. Les loisirs et l’habillement ont également perdu de l’importance dans leurs dépenses quotidiennes, avec une baisse de 60 points de base pour les loisirs, à 2% et de 40 points de base pour l’habillement, passant à 3,8%.
Parallèlement, les dépenses liées à l’habitation, aux soins médicaux, à l’éducation et à la communication ont pris plus d’importance dans le budget des ménages marocains pendant la période Covid. Les dépenses relatives à l’habitation représentent maintenant une part de 21,1% (+30 pbs) du budget, soit un montant de 4.233 DH.
Les dépenses des soins médicaux ont augmenté de 1,7 point pour représenter 6,7% du budget, soit un montant de 1.341DH (+11%). Les dépenses d’éducation et de communication ont légèrement augmenté de 10 pbs et 40 pbs respectivement, représentant respectivement 3,3% et 2,8% du budget total.
Si la situation économique ne s’améliore pas, il est probable que la tendance à la baisse du pouvoir d’achat des Marocains se poursuive les mois à venir. Dans ce contexte, les dépenses consacrées aux produits de base, tels que l’alimentation et l’habitation, devraient rester prédominantes.
Glissement vers la vulnérabilité
La diminution des dépenses alimentaires de 1,4 point à 6.640 DH en 2022 représente une moyenne nationale, mais son niveau varie selon le niveau de vie des ménages. Les ménages les moins aisés sont les plus touchés, avec une baisse de leurs dépenses de 13,5%, passant de 3.540 à 3.060 DH. Les plus aisés ne sont touchés qu’à hauteur de 7%, avec une diminution de leurs dépenses alimentaires de 12.640 à 11.770 DH. La crise sanitaire et l’inflation ont contribué à réduire le budget alimentaire des ménages intermédiaires de 13%, qui est actuellement de 6.140 DH au lieu de 7.050 DH. Une des conséquences les plus préoccupantes de cette situation est le glissement vers la pauvreté et la vulnérabilité de 3,2 millions de personnes. Le HCP précise que 45% de cette détérioration est due à la pandémie et 55% à l’augmentation des prix à la consommation.