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Affaires

Un entrepreneur arnaque banques

Des attestations falsifiées de droits constatés lui ouvrent les
vannes du financement auprès des banques.
La Caisse marocaine des marchés n’a pas été réglée
dans 19 contrats de leasing.

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Coup de génie ou folie suicidaire ? Personne ne peut savoir ce qui a pris un homme d’affaires, connu dans le milieu du BTP, le poussant à tenter le diable. Depuis décembre dernier, les discussions dans les salons feutrés de Casablanca commentent ce que l’on peut qualifier de «coup de l’année», parfois avec admiration, mais souvent avec indignation.
SGBR, un sigle qui restera désormais dans les annales. Et pour cause, la Société générale du bâtiment et des routes est emportée par une lame de fond judiciaire, soulevée par des sociétés lui réclamant pas moins de 200 millions de dirhams. Banques, pétroliers, fournisseurs et clients… tous réclament de l’argent à SGBR. Il est rare d’assister à une telle concentration de poursuites contre une seule entité (hors affaires du CIH & co). De quoi s’agit-il exactement ?
SGBR est une société sise à Mohammédia, spécialisée, comme son nom l’indique, dans les travaux de construction et de terrassement de routes et dans les gros œuvres. Une telle activité nécessite de gros moyens, une bonne assise financière et un grand savoir-faire. SGBR n’en manquait pas puisqu’elle a pu décrocher pas mal de marchés privés et publics. La machine, pilotée par l’administrateur gérant de la société Tayeb Belyazid, semblait ainsi bien huilée… jusqu’à décembre dernier. Le réveil, tardif certainement, de ses partenaires a levé le voile sur l’une des plus scandaleuses affaires d’escroquerie.
Dès la fin de l’année 2003, des plaintes ont commencé à atterrir sur le bureau du procureur du Roi à Casablanca. Selon les termes de ces dernières, SGBR a usé de faux pour se soustraire à ses obligations financières. Les banques qui ont enclenché la machine judiciaire, notamment la Société générale marocaine de banques (SGMB) et la Banque commerciale du Maroc (BCM), accusent SGBR d’avoir utilisé de fausses attestations de droits constatés (état d’avancement des travaux sur des marchés en cours) pour obtenir des largesses financières, notamment des avances sur marchés. La société a également présenté de fausses traites à l’encaissement. L’opération porte sur plus de 30 attestations de droits constatés, qui ont été appuyées par un montant d’avance de 19 millions de dirhams auprès de la SGMB. Ces projets concernaient des marchés publics à Chefchaouen, Taza et à Rabat. La banque ne s’est rendu compte de l’anomalie qu’après avoir réclamé le paiement auprès des donneurs d’ordre. Ceux-ci lui ont précisé que les chantiers étaient fermés et que leur fournisseur était en déconfiture.
La BCM, pour sa part, a ouvert le feu sur SGBR car
elle s’est rendue compte
qu’elle lui présentait de faux effets à encaissement. La plainte, déposée le 9 janvier dernier, énumère cinq traites d’un montant de 5,2 millions de dirhams. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. La combinaison des traites et des attestations de droits constatés a entraîné la banque dans un labyrinthe qui a englouti une vingtaine de millions de dirhams. De même, cette affaire a mis à nu le non-respect des procédures par certains collaborateurs de la BCM. La brigade économique de la police judiciaire de Casablanca souligne d’ailleurs que six collaborateurs de la banque ont été interrogés. Pourquoi ? D’abord parce que ces derniers n’ont pas respecté l’usage bancaire. En effet, SGBR a retiré de son agence à Aïn Sebaâ des effets qu’elle avait déposés pour encaissement à échéance. Ce retrait intervenait toujours à la veille de l’échéance. Ensuite, le banquier, pourtant méfiant par nature, se contentait de la parole du client pour stopper la procédure normale en espérant le règlement direct de la traite. Parmi les sociétés citées par la plainte, figurent de gros calibres comme Lafarge et GTR. La cimenterie a en effet fait appel à SGBR pour la réalisation du tronçon routier qui devait relier la ville de Tétouan à l’unité de production de la cimenterie. Non seulement les travaux n’ont pas été réalisés, mais SGBR a falsifié les effets de Lafarge et les a présentés à encaissement.
L’ampleur des montants n’apparaît pas clairement au niveau pénal. Il faut rouvrir le volet civil pour appréhender la gravité du préjudice mais, selon les recoupements effectués par La Vie éco auprès des sociétés et banques concernées, il avoisinerait les 200 MDH. En fait, la stratégie des avocats qui ont la charge de ce dossier se décline en deux actions. Une action pénale a été entamée là où la récupération des sommes engagées et réclamées par les plaignants serait difficile à réaliser. La société étant fermée et le matériel faisant l’objet de saisie au profit de certains créanciers, la voix pénale était donc la mieux indiquée pour empêcher SGBR de sévir à nouveau. L’autre action est commerciale (civile). Elle porte surtout sur le recouvrement de créances et donc la saisie de biens pour récupérer une partie de l’argent engagé.
Rien que pour le volet civil, et concernant la Caisse marocaine des marchés (CMM), le tribunal de commerce réclame, tenez-vous bien, près de 80 millions de dirhams. Ce n’est pas surprenant puisque la SGBR était cliente de la CMM. Pas moins de 19 contrats les liaient, portant sur de grosses machines de chantier, camions,… Le 2 mars dernier, la CMM a obtenu un jugement lui permettant de récupérer le matériel objet du leasing. Et ce n’est pas facile, car son avocat doit faire face à toute demande de saisie de la part des autres créanciers. Et il en existe : une autre banque de la place réclame plus de 25 millions de dirhams et Shell Maroc, plus d’une dizaine de millions…
Une affaire à suivre, en tous les cas. Le gérant, Tayeb Belyazid, est en fuite à l’étranger. Et la police a adressé une convocation à son frère Abdelouahed Belyazid, par ailleurs administrateur de la société. Aux dernières nouvelles ce dernier ne s’est toujours pas présenté pour donner les explications nécessaires