Affaires
Matériaux de construction : les stocks s’accumulent et les prix s’effondrent
En l’espace de quatre mois, -40% pour le bois, -60% pour l’acier, -35% pour le rond à béton.
Les opérateurs sont dans l’impasse : ils ont des stocks qu’ils avaient acquis à prix fort.
Les cimentiers résistent pour l’instant à la pression.
Les promoteurs immobiliers et ceux qui veulent se lancer dans l’auto-construction doivent pousser un petit ouf ! de soulagement. Depuis quelques semaines, les prix sont en net recul sur le marché, notamment celui du bois et du fer. David Tolédano, président de la Fédération nationale des matériaux de construction (FNMC), explique que «cette baisse est due à la crise économique mondiale et à la baisse des mises en chantier sur le marché interne». Pour M. Tolédano, la récession touche tous les professionnels de ce secteur, que ce soit les producteurs, les importateurs ou encore les revendeurs. La baisse est bien entendu la bienvenue pour les promoteurs et pour les entrepreneurs. Les entreprises engagées sur des marchés privés ou publics peuvent aujourd’hui acheter de l’acier à 7,50 DH le kg alors qu’ils avaient tablé sur un budget de 20 DH/kg au moment de la soumission.
Même s’ils avancent des motifs différents, tous les opérateurs interrogés par La Vie éco sur ce sujet abondent dans le même sens. «Le marché est en berne et les opérateurs se retrouvent coincés. Ils avaient acquis au prix fort une marchandise qui n’est pas très demandée en ce moment», confie le responsable d’une société spécialisée dans le commerce du bois. Et d’ajouter, «le problème, ce n’est pas tant la baisse des cours mondiaux que la gestion du stock». Cette source explique que la plupart des sociétés ont signé des contrats sur 1 an ou 6 mois et ont donc acheté à un prix élevé jusqu’au 10 novembre dernier. Compte tenu de la chute des prix, elles sont opposées à un choix difficile : vendre à perte ou stocker en attendant une amélioration des prix du marché.
Pour illustrer ses propos, ce responsable donne l’exemple des prix des deux variétés de bois les plus utilisées dans la construction : le blanc et celui destiné au coffrage. «Le premier, qui avait atteint les 48 DH le mètre, il y a quelques semaines, coûte aujourd’hui 27 DH. La baisse est plus significative pour le second dont le m3 se vend à 2 600 DH au lieu de 4 300 DH», affirme-t-il.
Les spéculateurs pris de court
Même son de cloche du côté de Mohamed Dadoukh, directeur commercial de la Compagnie générale des bois et matériaux. «La baisse concerne aussi bien la demande intérieure que les cours internationaux», lâche-t-il. Selon lui, cette régression réduit conséquemment la marge bénéficiaire des opérateurs. Pire : «Certains importateurs, pris à la gorge, explique-t-il, sont obligés de vendre, parfois à perte, pour rembourser le crédit documentaire qui leur a permis de payer les marchandises importées».
Le bois n’est pas le seul matériau concerné. Les prix de l’acier et du rond à béton sont également laminés depuis quelques semaines. Chez Interfer, une société spécialisée dans les matériaux de construction, dont l’acier, l’heure n’est pas à l’optimisme. «La demande pour ce matériau s’est effondrée ces derniers jours. Nous avons accusé une baisse de plus de 25% de notre activité durant le mois de novembre», indique un haut responsable d’Interfer. Cela alors que la société a sur les bras des stocks importants. Il explique cette mobilisation d’actifs par la hausse «vertigineuse» des cours internationaux de l’acier. « Pour anticiper d’autres augmentations, certains importateurs ont alourdi leurs stocks, espérant réaliser une bonne affaire», explique-t-il. Mais, à partir du début août, lorsque la crise immobilière a atteint l’Espagne et la France, les cours ont amorcé une véritable dégringolade. Résultat: «Les stockeurs se sont retrouvés avec de la marchandise qui coûte beaucoup plus cher que le prix du marché», ajoute la même personne. Pour étayer ses propos, notre interlocuteur cite l’exemple de l’acier dont le prix culminait à 15 DH le kg au début de l’année et qui se retrouve actuellement à 8 voire 6 DH le kg. «Avec les frais financiers et les intérêts bancaires induits, et vu que les prix de l’acier n’atteindront certainement plus leur niveau du début de l’année, il serait préjudiciable de stocker des matériaux que l’on ne pourra même pas revendre au prix coûtant», prévient-il.
Les producteurs locaux d’acier redoutent l’avalanche de produits étrangers moins chers
Dominé par les «big three», à savoir Sonasid, Univers Acier et Morroco Iron steel, le marché de l’acier est tout simplement tétanisé par la chute des prix. «L’activité accuse une sérieuse baisse ces dernières semaines. L’absence de nouveaux chantiers en constitue la principale raison, mais la crise du secteur immobilier dans plusieurs pays exportateurs de matériaux de construction accentue la frilosité, car les producteurs nationaux craignent une avalanche de matériaux importés, maintenant qu’ils coûtent moins cher», confie-t-on auprès d’un producteur d’acier. Le rond à béton, également utilisé pour les chantiers, ne déroge pas à la règle. Son prix est passé de 13 000 DH la tonne début juillet à 8 500 DH la tonne actuellement.
Le ciment semble être le seul matériau insensible à cette décrue des prix et de la demande. M.Tolédano l’explique par le prix de l’énergie qui continue de plomber le coût de production. Signalons que les derniers chiffres de l’Association professionnelle des cimentiers (APC) font état d’une augmentation de 2,19% de la consommation de ciment en novembre dernier par rapport à la même période de 2007.
Abdeljalili El Hassani, vice-président du directoire d’Holcim Maroc, souligne pour sa part qu’en dépit de «ces bons résultats, il y a un mouvement de fond tendant à la baisse et qui résulte d’un début d’attentisme lié à la conjoncture aussi bien nationale qu’internationale». M. El Hassani évoque également les paramètres saisonniers (l’Aïd) et climatiques (les intempéries qui ont frappé le Maroc ces dernières semaines). Pour autant, il continue de penser que «la croissance globale restera bonne pour cette année, même si elle est en deçà de son niveau moyen de ces 4 dernières années».
Pour ce qui est de 2009, les professionnels espèrent que les grands projets d’infrastructures de l’Etat et la relance qu’on dit imminente du programme de logement social apporteront une bouffée d’oxygène. Mais ils appréhendent en même temps 2009, qui sera certainement encore plus difficile. Les trois derniers mois de 2008 en ont été le prologue !