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Maroc – TVA : comment l’Etat étouffe ses entreprises publiques
8.5 milliards de crédit de TVA pour 5 entreprises publiques. Avec des programmes d’investissement colossaux et répétitifs, ONCF, ADM, ONE, ONDA ou encore
Marsa Maroc se retrouvent avec plus de TVA à collecter qu’à payer.
Qualifiée de «bâtarde» par bon nombre d’experts fiscalistes, la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est en passe de devenir le pire cauchemar de bon nombre d’établissements publics.
Un cauchemar qui n’épargne même pas l’Etat actionnaire acculé à délier sa bourse pour en atténuer les méfaits sur les comptes de ces derniers. En effet, la lecture des résultats 2011 de plusieurs offices et sociétés étatiques fait ressortir un amoncellement inédit des crédits de TVA qui commence sérieusement à étouffer leur trésorerie de ces derniers.
Mais comment cela est-il possible alors que le fondement même de la TVA est sa neutralité, puisque c’est le client final qui devrait seul en supporter le coût ? Il faut dire qu’en règle générale la TVA collectée par une entreprise (TVA sur les ventes) est supérieure à la TVA déductible (celle grevant les achats), l’entreprise se contentant de verser à l’Etat le différentiel entre TVA perçue (collectée) et TVA déboursée (payée). Mais il arrive que ce ne soit pas le cas principalement pour deux raisons. La première est d’ordre structurel et coïncide avec l’existence d’une différence entre le taux de la TVA facturée et celui de la TVA déductible.
Ce cas de figure qu’on appelle, dans le jargon, «butoir TVA», avait longtemps pénalisé, par exemple, tout le secteur de crédit-bail avant que l’administration fiscale n’aligne les deux taux en 2006 et surtout daigne rembourser le crédit TVA accumulé jusqu’alors par les opérateurs concernés. La deuxième raison est conjoncturelle et voit le jour quand une société est en phase d’investissement prononcé.
Une situation où les montants de TVA déductible peuvent atteindre des pics (TVA sur biens d’équipements et autres prestations faisant partie des programmes d’investissement). Ce qui requiert un certain délai avant que l’accroissement du chiffre d’affaires et, corrélativement, de la TVA collectée, ne résorbe la créance créée sur l’Etat. Mais il arrive que cette situation provisoire perdure notamment quand les strates d’investissement se superposent pendant une longue période. Auquel cas, l’entreprise doit avoir les reins suffisamment solides pour supporter une telle immobilisation improductive de sa trésorerie ou sinon se tourner vers le fisc pour demander le remboursement de son Crédit TVA.
Un droit prévu par le Code général des impôts mais qui a été tellement encadré et limité par la loi, sans parler de l’impossibilité pour l’administration de payer pour raisons budgétaires, que les entreprises qui ont le courage et la patience de le solliciter ont parfois l’impression de ramer dans le vide.
ONCF : 2 milliards de DH de crédit de TVA, soit 56% de son chiffre d’affaires !
Et ce ne sont pas cinq parmi les plus gros dans le portefeuille des établissements publics, au regard de leurs programmes d’investissements titanesques, qui contrediront une telle assertion.
Ainsi, à fin 2011, ADM (Autoroutes du Maroc), ONE (Office national de l’électricité), ONDA (Office national des aéroports), ONCF (Office national des chemins de fer) et ANP (Agence nationale des ports), cumulent-ils dans leurs bilans respectifs près de 8,5 milliards de DH de crédit TVA, soit près du double de leur capacité d’autofinancement (CAF) moyenne. En d’autres termes, le potentiel de ces entreprises à dégager, par leur propre activité, des ressources internes à même de financer leur croissance, rembourser leurs dettes ou rémunérer leur actionnaire, est totalement et purement balayé par la non-récupération de leur dû auprès du fisc. Chez certains d’entre eux la situation est même insoutenable voire kafkaïenne.
Par exemple, chez l’ONCF dont le programme de mise à niveau de l’état de la voie ferrée et des gares ferroviaires auquel vient de se greffer celui de la LGV (Ligne à grande vitesse) met déjà à mal les équilibres bilantiels à court terme, l’ampleur du Crédit TVA (2 milliards de DH, soit 56% du chiffre d’affaires) a poussé les Commissaires aux comptes à tirer la sonnette d’alarme dans leur rapport sur les états de synthèse 2011 sur la recouvrabilité de cette créance sur l’Etat.
Quant à ce dernier, et face à l’intransigeance de son administration fiscale à lâcher du lest, il a été amené au cours des deux derniers exercices à injecter en capital, soit en sollicitant le Trésor public, un montant quasi-équivalent, soit 2,3 milliards de DH. Renâcler à rembourser d’une poche pour se voir obliger de payer à partir d’une autre, comme si une telle pirouette pouvait changer quelque chose à l’état actuel des finances publiques ! L’autre établissement dont le crédit de TVA pèse lourdement sur la trésorerie est ADM dont le stock en la matière constitue le double carrément du chiffre d’affaires. L’ONDA n’est également pas en reste, lui qui a entamé les démarches de remboursement de TVA depuis 2008 au moins, mais en vain.
Au demeurant, cette situation des crédits de TVA dont pâtissent des établissements publics confrontés à un effort de surinvestissement interpelle l’Etat sur le grand bazar fiscal qu’incarnent le cadre et l’environnement fiscaux au Maroc, ou encore illustrent bien le piège dans lequel il s’enferme avec des programmes d’investissement colossaux mais dont on ne mesure pas souvent l’effet indirect à court terme sur le budget.