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Les vrais chiffres de l’industrie marocaine
La valeur ajoutée industrielle toujours entre 14 et 15% du PIB. L’industrie emploie quelque 620000 personnes, soit environ 6% de la population active occupée. De 2015 à juin 2017, la création nette d’emplois industriels a atteint à peine 15 000 postes.
Une délégation de haut niveau de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) a fait le déplacement au Maroc en début de semaine. Le DG en personne, Li Yong, était là pour constater de visu l’évolution de l’industrie marocaine. Sa visite était l’occasion pour l’ONUDI de sceller des accords avec le gouvernement marocain pour venir en renfort de la politique d’accélération industrielle lancée en 2013. L’ONUDI aura certainement fort à faire, car en matière d’industrie, et malgré la succession de stratégies volontaristes depuis 2004, toutes les politiques sectorielles, les contrats-programmes et autres dispositifs mis en marche, le Maroc est encore loin de pouvoir accéder au rang d’économie industrielle émergente. Certes, depuis 2004, année pendant laquelle avait été mise en place pour la première fois la stratégie Emergence qui donna lieu par la suite, en 2009, au pacte national pour l’Emergence industrielle (du temps du ministre Ahmed Chami) puis en 2013 au Plan d’accélération industrielle (PAI) du ministre Moulay Hafid Elalamy, le visage de l’industrie nationale a changé. De nouveaux secteurs sont montés en flèche. En l’espace de trois ans, l’automobile a doublé le textile et les phosphates pour devenir le premier secteur exportateur et pourvoyeur de devises. Dans l’aéronautique comme dans l’automobile, de grandes signatures mondiales se sont implantées au Maroc au regard des atouts et incitations offertes. Des leaders et géants mondiaux comme Boeing, Renault, Peugeot et Bombardier n’ont pas décidé fortuitement de faire du Maroc des plateformes de production stratégiques pour leur business plan des années à venir. Mais cela reste visiblement encore très insuffisant comme en attestent les chiffres têtus. En 2013, le plan d’accélération industrielle se fixait deux objectifs majeurs à atteindre à l’horizon 2020 : faire passer la part de l’industrie dans le PIB de 14% à 23% et créer 500 000 emplois. Quatre ans plus tard, tous les indicateurs chiffrés officiels indiquent qu’on en est encore loin.
Le plus gros gisement d’emplois industriels est encore dans le textile
Les statistiques du Haut Commissariat au Plan (HCP) au sujet des comptes nationaux au 2e trimestre 2017 nous disent que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée globale est d’à peine 14%, soit au même niveau qu’en 2013. Quant au volume d’emplois créés par l’industrie, le ministère de tutelle annonce officiellement le chiffre de 173 000 emplois créés ou en cours de création dans le cadre de projets industriels contractualisés entre 2014 et 2016. Mais ce chiffre ne renseigne que partiellement sur la vraie évolution de l’emploi industriel. Car, au moment où des milliers d’emplois sont créés des milliers d’autres sont détruits. Ce qui renvoie finalement vers le concept de la création nette d’emplois que les chiffres du HCP décrivent avec précision. Ainsi, en 2015, la création nette d’emplois dans l’industrie (avec l’artisanat en plus) a atteint 15 000 postes à peine. En 2016, ils n’étaient qu’au nombre de 4000. Au deuxième trimestre 2017, la situation est pire, puisque l’industrie a perdu en nette 4 000 emplois. Au total, l’industrie aura donc créé en net, et en l’espace de deux ans et demi, quelque 15000 emplois à comparer aux 500000 ciblés.
Les chiffres tout aussi officiels du ministère de l’industrie confirment l’état des lieux. L’industrie marocaine, toutes branches confondues, emploie aujourd’hui quelque 620 000 personnes, soit 6% à peine du volume global de l’emploi estimé à quelque 10 millions de postes disponibles et occupés. Le plus gros gisement d’emplois industriels est encore dans l’industrie textile avec 165 000 postes, loin devant l’automobile qui emploie actuellement quelque 92 500 personnes. En deuxième et troisième position, on retrouve respectivement les industries électriques et électroniques avec près de 70000 emplois et les industries métalliques et métallurgiques avec 67 000.
Et si le volume de l’emploi est structurellement faible, c’est que tout simplement le nombre d’entreprises industrielles n’est pas si élevé qu’on peut le croire, y compris dans les secteurs qui sont aujourd’hui des locomotives. Elles sont à peine 1 500 dans le textile et le cuir, 600 dans l’industrie électrique et électronique, entre 150 et 200 dans l’automobile et 120 dans l’aéronautique. Des chiffres qui prennent tout leur sens quand on les compare, à titre d’exemple, avec le tissu industriel d’un pays comme la Turquie où le secteur automobile compte près de 1 100 sous-traitants. La Turquie a produit près de 1,5 million de voitures en 2016. Son secteur textile compte quelque 35 000 entreprises (contre 1 200 au Maroc) et exporte près de 12 milliards de dollars par an contre 3,5 milliards de dollars pour le textile marocain.
1 000 hectares de foncier industriel à remplir…
Cela ne fait pas de doute, en matière industrielle, le Maroc est encore loin d’entrer dans la catégorie des industries émergentes, comme l’attestent d’ailleurs les indicateurs même de l’ONUDI. Ce dernier classe dans la catégorie des «Economies industrielles émergentes» des pays comme la Turquie, le Mexique, la Pologne ou encore la Roumanie. Dans ces quatre pays, la valeur ajoutée des industries manufacturières au titre de l’année 2016 a oscillé entre 40 milliards de dollars pour le plus faible (Roumanie) et 205 milliards de dollars pour le plus élevé, à savoir le Mexique. Au Maroc, la valeur ajoutée industrielle en 2016 a atteint 17 milliards de dollars.
Du coup, on se retrouve encore loin de l’un des principaux objectifs assignés à la stratégie d’accélération industrielle et qui consistait à porter la part de l’industrie dans le PIB de 14 à 23% à l’horizon 2020. Aujourd’hui, on en est encore et toujours à moins de 15%. C’est dire qu’à mi-chemin de la durée fixée au Plan d’accélération industrielle, le plus gros reste encore à faire. A commencer par les 1 000 hectares de foncier réservés aux activités industrielles dans les zones dédiées. Le ministère de l’industrie indique que la totalité de cette assiette foncière est aujourd’hui bel et bien identifiée, mobilisée, sécurisée. Il faudra à présent la remplir…