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Coût de la vie: les quatre vérités de la cherté des légumes…

Depuis plus d’un mois, la flambée des prix des produits alimentaires est devenue le sujet déclencheur de tous les débats, impliquant sur son passage politiciens, analystes spécialisés, associations et, bien entendu, les inévitables médias.

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On voit bien que des ménages croulent sous les pressions inflationnistes. Il ne s’agit nullement d’une approche genre psycho-socio-politico-micro-économique. Les statistiques des organismes publics comme le HCP, à propos de l’indice des prix à la consommation, sont communiqués régulièrement. C’est un pur constat de terrain au niveau de Casablanca, entre le marché de gros et quelques autres quartiers. On laisse donc ce côté des produits alimentaires en général pour se focaliser sur les fruits et légumes, particulièrement ces derniers, car les fruits sont considérés comme un luxe peu accessible à tous. La fameuse Gamila (marmite), elle, ne peut pas se passer des légumes, dits de base (tomates, oignons et pommes de terre). Pourquoi donc ces denrées deviennent subitement si chères, provoquant l’ire générale ? Jusqu’à quel point est-il vrai que c’est juste une question d’intermédiaires qui manipulent les prix ?

1- Marché en roue libre
Parmi les paradoxes que l’on peut constater dans ce sens, c’est qu’au moment où tout le monde crie à la vindicte morale face à la flambée des prix, dans la ville de Casablanca notamment, on remarque une floraison de triporteurs et autres charrettes qui sillonnent les rues de quasiment tous les quartiers peuplés. Que ce soit à Derb Soltane, Hay Mohammadi, Bernoussi, Sbata ou Ain Sebaâ, c’est à peu près les mêmes scènes. Un marchand ambulant armé d’une balance électrique et d’un haut-parleur qui n’arrête pas d’aboyer des cris pour rameuter de potentiels acheteurs qui répondent à ces appels aux prix défiant toute concurrence. Que ferait le consommateur lambda quand il rencontre des légumes aux prix inférieurs de 30 à 40% par rapport aux vendeurs attitrés? Autre paradoxe, expliqué par un revendeur au Marché de gros de Casablanca: «Comment se fait-il que face à cette hausse soi-disant exorbitante, il ne reste plus rien dans le marché au début de l’après-midi, à part quelques rares caisses par-ci ou par-là ?» , se demande M’hammed Khalloq, la cinquantaine bien entamée. Ce samedi 4 mars, aux environs de 11h, le va-et-vient est ralenti et on peut parfaitement voir quelques espaces occupés en matinée par des caisses de différents légumes déjà vides. Mais les gens ne vont pas se priver de manger, même s’ils sont révoltés contre la hausse. «Je ne parle pas uniquement des légumes de base, ceux de grande consommation, mais bel et bien des légumes (appelés bijoux) comme les courgettes, les haricots verts, certaines variétés de choux ou de poivrons, etc. Ils disparaissent, et le lendemain rebelote!», renchérit le revendeur. Plus encore, on parle souvent de tomates, pommes de terre, carottes, etc. Mais il existe plusieurs espèces et formes de ces légumes qui sont de provenances différentes. La tomate de Souss-Massa n’est pas la même que celle produite à Doukkala ou au nord, la pomme de terre de Larache n’est pas la même que celle produite à Taroudant et ainsi de suite… Et donc on ne peut pas parler de la tomate ou de la pomme de terre de manière globale, chaque espèce a ses propres spécificités.

2- Demande non équilibrée
La vente, l’écoulement ou la liquidation des légumes ne se font pas au même rythme dans tous les marchés du Royaume. Les marchés de gros dans des villes comme Casablanca, Tanger, Rabat ou Inzegane n’ont pas la même cadence d’activité que ceux de Larache, Azemmour, Essaouira, Khénifra, à titre d’exemple. Idem pour la vente au détail dans les quartiers et les souks locaux. Même s’il sait que tel produit coûte tant dans telle ville, le vendeur dans le marché de la petite bourgade ne peut s’aligner sur le même prix. Tout simplement parce qu’il risque de ne pas liquider toute sa marchandise qui périrait rapidement et serait détruite. Et s’il décide d’aller vers les marchés où cela coûte plus, il sait pertinemment que les charges vont être lourdes, à commencer par le transport. N’oublions pas qu’il s’agit de produits périssables et que chaque jour qui passe rajoute des frais supplémentaires (location, gardiennage, chargement et déchargement…). Trop risqué. C’est le même scénario pour les quartiers d’une même ville. A Casablanca, les prix observés dans les grandes surfaces ou dans les marchés structurés sont très différents des prix enregistrés dans l’univers informel. La tomate au Marché central n’a pas le même prix que celle vendue Route El Wahda à Ain Sebaâ ou au début du Bd Hassan Alaoui, souk Hay Souaret. La pomme de terre du marché Benjdia n’a pas le même prix que celle vendue Bd Nil à Sidi Othmane ou à Hay Hassani, etc.

3- Inter et médiaire
Souvent, et depuis longtemps, les hausses de prix sont imputés aux intermédiaires plus connus sous l’appellation «Chennaqa» et dont le vrai titre aux marchés de gros est : revendeurs. D’abord le revendeur sur place, celui qui vient le plus tôt pour glaner quelques caisses bien avant l’aube et réussir à les revendre avant l’après-midi. Ce dernier, même s’il le voudrait, il ne pourrait pas hausser le prix de sa cargaison vis-à-vis des prix de ses concurrents, au risque de ne rien vendre ou de le faire à perte. Il lui faut liquider son produit avec une petite marge de gain et revenir le lendemain pour une nouvelle opération et ainsi de suite. Donc, à moins de disposer miraculeusement d’une denrée unique, cet intermédiaire ne peut pas avoir un impact quelconque sur les prix. L’autre «chennaq» est celui qui va s’approvisionner chez l’agriculteur sur place, soi-disant à un prix faible. Mais il devrait disposer d’un capital assez conséquent pour pouvoir faire face à la situation. «Outre l’argent payé à l’agriculteur ou au producteur, il doit se doter de moyens de transport, recruter des ouvriers sur les lieux, sans oublier le besoin incessant de caisses vides (Lkhawi) constamment disponibles… Tout cela engendre des frais. Et le type cherche avant tout à faire un petit bénéfice. Je ne le vois pas courir le risque d’une hausse insensée, car s’il ne “liquide“ pas sa marchandise – périssable – dans les plus brefs délais, et au prix du marché, il va vers une perte sûre», détaille M. Khalloq.

4- L’intervention limitée
Pour ceux qui en veulent au contrôle défaillant des services concernés, il faut savoir qu’en ce qui concerne les fruits et légumes, c’est pratiquement impossible de rationner quoi que ce soit. Tout simplement parce que personne ne peut garantir la durée d’un prix quelconque. On ne peut pas non plus intervenir sur le circuit des exportations, les producteurs et l’État seraient les gros perdants. D’autant plus que l’on ne peut pas intervenir lorsque les prix sont frappés d’une baisse qui conduirait automatiquement à la ruine du producteur, du commerçant et même de l’intermédiaire. «J’ai assisté à des agriculteurs qui ont tout perdu en une seule saison. Le coup de poker dans ce secteur c’est que l’on mise sur un produit ayant enregistré une hausse et on investit beaucoup d’argent pour en gagner au moins autant… Mais le moment venu, pour une raison ou une autre, une chute des prix est très probable et c’est la ruine pour le producteur du produit concerné. Et là on ne peut pas demander aux autorités d’intervenir pour forcer le consommateur à doper un peu le prix pour sauver les agriculteurs…», témoigne le revendeur.
Conclusion, si la rumeur est trompeuse, la réalité dans cet univers pourrait l’être davantage.

Com’ese

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