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«L’Administration doit montrer l’exemple en matière de développement durable»
Les outils nécessaires à l’intégration du Maroc dans le marché carbone sont en cours de mise en place. La transition vers une administration exemplaire sera amorcée courant 2019 avec le lancement de projets d’efficacité énergétique, de valorisation des déchets et d’économie d’eau. Le cas Médiouna est symptomatique de l’insuffisance des capacités des collectivités locales en matière de gestion des déchets.
Mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), coordination de la diplomatie climatique du Royaume, collaboration avec les collectivités territoriales et l’Intérieur dans le cadre du Programme national des déchets ménagers (PNDM), intégration au marché carbone…Engagée dans plusieurs chantiers au Maroc et à l’international, Nezha El Ouafi, secrétaire d’Etat au développement durable, a du pain sur la planche. Dans cet entretien accordé à La Vie éco, l’ex-MRE d’Italie revient sur les enjeux de la participation du Maroc à la COP24, l’état d’avancement du projet d’intégration du Maroc au marché carbone, et les projets que vont programmer les administrations dans le sillage du principe de l’exemplarité, mais pas seulement. Pour elle, le cas de la décharge de Médiouna est le reflet de l’insuffisance des capacités techniques et financières des collectivités locales.
Quelles sont les enjeux de la participation du Maroc à la COP24 ? Est-il en phase avec ses engagements pris lors des précédentes éditions ?
Le Maroc accorde beaucoup d’intérêt au Programme de travail de l’Accord de Paris qui devrait disposer d’un package complet et équilibré des modalités, procédures et lignes directrices pour la mise en œuvre et l’application de l’Accord de Paris conformément aux objectifs, principes et dispositions de la Convention onusienne.
Les lignes directrices de la mise en œuvre de l’Accord de Paris portent notamment sur les questions liées aux contributions déterminées au niveau national en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, aux types d’informations à communiquer sur l’adaptation aux changements climatiques, à la finance climat et au cadre de transparence pour l’action et l’appui.
La COP24 sera aussi l’occasion pour le déroulement de la phase politique du dialogue de facilitation connu également par «le dialogue de Talanoa» qui s’inscrit dans la continuation du Partenariat de Marrakech pour une action mondiale pour le climat.
La participation du Maroc aura comme objectif de maintenir l’engagement des acteurs marocains clés et la dynamique créée autour des différentes thématiques du changement climatique durant ces dernières années, de mobiliser le soutien technique et financier aux programmes nationaux, de consolider le leadership du Maroc et son rôle remarquable dans le cadre de la coopération Sud-Sud, et de continuer à promouvoir les initiatives lancées à la COP22.
S’agissant des engagements pris en matière de climat au niveau international, la contribution déterminée au niveau national (NDC Maroc) qui vise à réduire de 42% les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, a été considérée en phase avec la trajectoire de réduction du réchauffement climatique de la planète de 1,5°C. D’autre part, le Maroc a lancé la préparation de son plan national d’adaptation au changement climatique, dont l’un des objectifs majeurs est l’alignement des priorités nationales aux engagements internationaux sur le climat.Par ailleurs, le Maroc est considéré parmi les meilleurs pays en matière de reporting dans le cadre de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique. A ce jour, il a déjà livré trois communications nationales et son premier rapport biannuel actualisé sur les efforts d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre dont la communication est en cours de préparation.
Où en est le chantier d’intégration du marché carbone ?
Le Maroc s’y prépare toujours depuis 2015 dans le sillage du Programme de partenariat pour la préparation au marché carbone, exécuté par la Banque Mondiale. Ce projet concerne des secteurs de production pilotes dont les phosphates, l’électricité et le ciment. Il permettra d’identifier les outils de marché carbone les mieux adaptés à son modèle économique et à ses ambitions de réduction de gaz à effet de serre inscrites dans sa contribution déterminée au niveau national.
Outre ces outils, le Maroc va avoir dans un futur proche son système de mesure, de reporting et de vérification pour les secteurs pilotes étudiés, ce qui va rehausser la transparence du contrôle et du reporting des quantités de CO2 évitées, pouvant faire l’objet d’échange dans les marchés carbone ultérieurement. Le Maroc avance donc sur des bases solides pour être prêt aux futurs marchés de carbone qui verront le jour, au fur et à mesure que les négociations avancent dans le cadre multilatéral sur le climat.
Quand démarreront les premiers projets prévus dans le cadre du principe de l’exemplarité de l’administration, prévue par la SNDD ?
Je tiens à rappeler que la Stratégie nationale de développement durable (SNDD) a été conçue pour accélérer la transition du Maroc vers une économie verte et inclusive d’ici 2030. Pour concrétiser cette vision, la SNDD a été déclinée en 7 enjeux, 31 axes stratégiques et 137 objectifs.
Le premier enjeu de cette stratégie vise à consolider la gouvernance du développement durable à travers quatre axes stratégiques dont le premier interpelle l’administration publique à être exemplaire en matière de mise en œuvre du développement durable.
En effet, l’Administration publique doit appliquer dans ses propres services la démarche qu’elle appelle de ses vœux et qu’elle recommande à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux. La démarche de l’exemplarité de l’Administration en matière de développement durable est une démarche basée sur six objectifs qui portent sur les achats publics durables, sur l’éco-responsabilité et sur la responsabilité sociétale en visant à généraliser les démarches environnementales au sein des bâtiments publics, inscrire les établissements publics dans la logique de valorisation des déchets, de l’économie d’eau et de l’énergie, renforcer les initiatives d’un État employeur responsable, intégrer une approche participative et améliorer la transparence, promouvoir une commande publique durable et responsable et développer l’exemplarité des acteurs publics en matière de mobilité.
Lors de la dernière réunion du Comité de pilotage de la SNDD qui a été tenue le 9 novembre 2018, une feuille de route a été arrêtée pour accélérer la transition vers une administration exemplaire en matière de développement durable. Tous les départements ministériels sont engagés à élaborer leurs plans ministériels de l’Administration exemplaire (PMAE) pour la période 2019-2021. Ces PMAE seront regroupés par la suite pour avoir un Plan national de l’Administration exemplaire (PNAE). Un guide méthodologique avec des fiches d’orientation a été mis à la disposition de l’ensemble des parties prenantes en les invitant à réaliser les audits environnementaux au niveau de leurs bâtiments centraux dans un premier temps à partir de janvier 2019, à même de déterminer l’état de référence.
Compte tenu de ce qui précède, les premiers projets prévus dans le cadre du principe de l’exemplarité de l’administration de la SNDD seront concrétisés à partir de 2019 et concerneront notamment l’efficacité énergétique, la production de l’électricité à partir des énergies renouvelables, la rationalisation de l’utilisation de l’eau, l’amélioration de la gestion des déchets (tri à la source et recyclage), la mobilité durable, etc.
L’état de la décharge de Médiouna représente un danger pour la collectivité. D’après plusieurs ONG et observateurs, cela décrédibilise les avancées du Maroc dans le secteur des déchets…
Depuis quelques décennies, le Maroc connaît une forte croissance de la population urbaine et une prolifération des quartiers périphériques avec une augmentation conséquente des besoins d’accès aux services de base. Cette situation a rendu plus ardues la collecte, l’évacuation et l’élimination des déchets ménagers et assimilés, dont la production en milieu urbain est estimée à plus de 6 millions t/an, soit un ratio de 0,78kg/hab/j.
Sur le plan économique, l’intégration du Maroc au marché mondial de libre échange impose le respect des exigences des normes environnementales, de la traçabilité des produits et de la qualité des services. C’est dans ce contexte que le Programme national des déchets ménagers (PNDM) a été lancé en 2007 conjointement par le Département de l’environnement et le ministère de l’intérieur avec l’appui de la Banque Mondiale.
Il vise essentiellement à assurer la collecte professionnalisée et le nettoiement des déchets ménagers, réaliser les centres d’enfouissement et de valorisation des déchets ménagers et assimilés, réhabiliter ou fermer toutes les décharges existantes et à généraliser les plans directeurs de gestion des déchets ménagers et assimilés pour toutes les préfectures et provinces de Royaume. Il vise aussi à développer la filière de «tri-recyclage-valorisation», avec des actions pilotes de tri.
Les résultats atteints ont permis d’avoir une augmentation du taux de collecte professionnalisée à 85,2 % contre 44% avant 2008, une augmentation du taux de mise en centre d’enfouissement et de valorisation (CEV) qui a atteint 62,44% des déchets ménagers produits, contre 10% avant 2008. Ce programme a permis la réalisation de 25 centres d’enfouissement et de valorisation (CEV) et la réhabilitation de 49 décharges non contrôlées.
Néanmoins, des contraintes entravent sa bonne exécution. Il s’agit du choix des sites pour les CEV, avec des problèmes récurrents comme l’accès difficile au foncier, l’opposition des riverains aux projets et l’insuffisance des capacités financières et techniques des collectivités territoriales dans la gestion des déchets. Concernant la question sur la décharge de Médiouna, il est important de noter que le projet initial de mise en place d’une décharge contrôlée au niveau du site de 35 ha acquis par la Commune de Casablanca a été soumis à une étude d’impact sur l’environnement. L’attestation d’acceptabilité environnementale du lot «décharge contrôlée + centre de tri» a été remise à la commune en juin 2016.
Avec la nouvelle vision nationale qui préconise la valorisation et le recyclage et les contraintes du site en matière de superficie, il a été convenu de mettre en place non pas une simple décharge contrôlée mais plutôt un centre d’enfouissement et de valorisation des déchets ménagers et assimilés.
Dans ce sens, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par le Conseil de la ville de Casablanca en juin 2018. Il consiste en la présélection d’opérateurs pour la conception, la réalisation et la gestion déléguée d’un centre de traitement, de valorisation et d’enfouissement des déchets ménagers et assimilés de la ville de Casablanca pour une durée de 25 ans. Une fois le procédé de traitement et valorisation adopté, le projet dans sa globalité sera soumis à une étude d’impact sur l’environnement.