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La filature marocaine a perdu de son lustre
Plusieurs unités ont fermé au cours des cinq dernières années. La concurrence asiatique, notamment sur les produits basiques, a fait un grand mal aux industriels locaux. Les entreprises qui résistent se tournent vers le fil technique et les produits à haute valeur ajoutée.
Depuis 2010, plusieurs entreprises de filature ont cessé leur activité au Maroc. Une poignée seulement continue de résister. Parmi les dernières à avoir fermé figure Sogetiss. Basée à Casablanca, cette unité a cessé son activité en 2016. Filroc, une filature lainière de Rabat, a mis la clé sous la porte en 2015. Caulliez Maroc a préféré, elle, garder son unité de filature cotonnière d’une capacité de 4 tonnes/jour installée à Settat et fermer celle de Fès qui produisait 5 fois plus. Parmi les rares filatures qui résistent figure celle de Soft Groupe, spécialisée dans la teinture et la filature lainière. Cette unité industrielle d’une capacité de 50t/jour approvisionne les marchés local et international. Utex Bel, spécialisée dans le fil technique, produit pour sa part 1,5 t/jour. Elle a été reprise en juin 2016 par des investisseurs belges. Cette liste n’est pas exhaustive et ne prend pas en compte les filatures intégrées.
En tout cas, l’âge d’or de la filature cotonnière marocaine est bien révolu. La faute à la baisse des droits de douane sur les importations de fils. «Les filatures cotonnières ont démarré grâce à des investissements publics dans les années 1960, à l’époque où le coton était encore cultivé dans la région de Tadla et permettait d’avoir des fils de très bonne qualité comparables à ceux de la région de Gizeh en Egypte. Cette période faste s’est poursuivie jusqu’à ce que les droits de douane sur l’importation des fils de coton passent de 17,5% à 5% en 1995, suite à la signature des accords de l’OMC à Marrakech. En 2008, ils ont dégringolé à 2,5%», explique Khalid Oustad, directeur général de Moroccan Textile Market, entreprise de négoce, conseil et expertise spécialisée en filature. Aujourd’hui, le coût de fabrication d’un kilo de fils de coton est de 44 DH, alors qu’on importe la même quantité de l’Inde à 40 DH. La concurrence asiatique est la cause principale de cette quasi-disparition des filatures cotonnières, d’autant plus que dans ces pays-là, la matière première est abondante et la main-d’œuvre très bon marché. «Autre raison, l’investissement dans la filature est très capitalistique. Il faut au minimum 60 MDH. Les factures d’électricité sont, elles, faramineuses. Pour produire 5 tonnes de fils par jour, il faut compter 800 000 dirhams/mois de facture d’électricité», s’alarme M. Oustad.
Le fonds de promotion des investissements à la rescousse
Très concurrencées sur les produits basiques par les unités industrielles d’Asie du Sud Est, les rares filatures marocaines résistent aujourd’hui grâce aux produits à haute valeur ajoutée. Leur survie dépend de leur capacité à innover pour s’éloigner du produit basique où la concurrence asiatique est très forte. «Dans notre cas, nous mettons sur le marché 450 références de fils différents et au minimum 80 nouvelles références chaque année. L’épaisseur des fils, les fantaisies, les aspects techniques et les matières sont différenciés des produits basiques, nous permettant ainsi de nous imposer face aux compétiteurs», confie Abdellatif Kabbaj, président de Soft Groupe.
Le marché local est jugé très porteur. Le groupe y réalise un chiffre d’affaires qui progresse à deux chiffres depuis les trois dernières années. La filature représente 80% de son chiffre d’affaires total estimé à 400 MDH HT en 2016. «Les fils dont la matière est composée d’acrylique à 100% sont utilisés dans les tissus d’ameublement, les produits traditionnels, notamment les tapis et les couvertures confectionnées par les artisans et la grosse maille dédiée au marché local», dit non sans fierté le PDG de Soft Group. Sur les marchés étrangers, l’entreprise expédie ses bobines de fils au Portugal et en France. Elle approvisionne également les sous-traitants marocains des marques espagnoles, allemandes et américaines. Pour son développement, Soft Groupe lorgne les produits de textile d’hygiène, de médecine, d’agriculture, de géotextile en maintenant l’activité de filature.
D’après les professionnels, la filature marocaine, du moins ce qu’il en reste, résistera grâce à un virage vers le fil technique non feu et isolant thermique ou encore les fils à grande valeur ajoutée. «Le coton cachemire ou le coton soie constituent une autre perspective de développement des filatures marocaines», remarque Khalid Oustad. Ces produits ne sont pas encore l’apanage des asiatiques car très chers. Encore faut-il que l’Etat investisse dans le secteur. En effet, un pas salutaire est en train d’être franchi. Le fonds de promotion des investissements a prévu, dans le cadre du Plan d’accélération industrielle, de prendre en charge partiellement les dépenses liées à l’acquisition du foncier dans la limite de 20% du coût du terrain, à l’infrastructure externe dans la limite de 10% lorsqu’il s’agit d’un investissement dans le secteur de la filature, du tissage ou de l’ennoblissement.