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La classe moyenne au Maroc : C’est quoi au juste ? (Part. 2)

La classe moyenne au Maroc telle que définie par le Haut-commissariat au plan et d’autres institutions nationales et internationales, reflète une diversité des concepts et notions. Car la taille de la classe moyenne au Maroc diffère grandement en fonction des bornes retenues ou de l’approche d’identification adoptée (revenus, niveau de vie ou patrimoine). Cependant, compte tenu du rôle majeur qu’elle peut jouer dans la stabilité socio-politique, le progrès social et le développement économique, la classe moyenne, selon les approches subjectives, devrait être une couche à l’abri des besoins basics. Comparativement aux normes internationales des pays avancés, la classe moyenne au Maroc devrait répondre aux exigences d’une classe sociale porteuse des valeurs notables de modernité, de l’égalité et de l’efficacité. Le revenu ou le mode de consommation, à lui seul, ne permet pas de définir ou de déterminer les véritables caractéristiques d’une classe sociale moyenne avec des normes attendues, d’autant que le revenu médian est trop bas au Maroc. Définir une classe moyenne nécessite une analyse locale approfondie, multidimensionnelle et dynamique qui touche tous les segments sociaux de la société, accompagnée par des études comparatives d’un panel des pays avancés et/ou émergents. La définition extensive retenue par le HCP révèle qu’en 2014 la classe moyenne marocaine comptait 19,7 millions d’habitants, soit 58,7% de la population (contre 31,2% pour la catégorie sociale modeste et 10,1% pour la classe aisée), dont 13,3 millions en milieu urbain, soit 66,1% de la population urbaine et 6,4 millions en milieu rural, soit 47,6% de la population rurale. En effet, le dernier recensement du HCP, en 2014, a enregistré un véritable élargissement de la classe moyenne. Sa proportion dans la population totale du pays est passée de 56% en 2001 à 58,1% en 2007 et 58,7% en 2014.
Attributions académiques à l’étude de la classe moyenne
Dans l’attente du prochain recensement de la population, qui sortira en 2024, le pourcentage de la population de la classe moyenne au Maroc reste un chiffre clé et un indice fondamental qui reflète l’évolution de progrès social du pays et son développement économique. Sachant que toutes les réflexions qui s’intéressent à l’étude de l’économie de développement confirment que la croissance et le développement économique sont évalués d’une façon proportionnelle avec l’évolution pyramidale de la classe moyenne. L’étude de la classe moyenne au Maroc a connu des attributions académiques importantes, remettant ainsi en cause l’approche à dominante statistique du HCP. Dans une tentative de proposition d’une nouvelle définition de la classe moyenne au Maroc, Ksikes et al. (2009) segmentent cette classe sociale en quatre catégories, avec des bornes identifiées sur la base d’indicateurs de comportement, de revenu et de consommation, et ce, en ventilant les dépenses «en fonction des scenarios démographiques et sociétaux assez représentatifs». Cat A : 11 100 à 14450DH ; Cat B : plus de 14450 à 16 650 DH ; Cat C : plus de 16650 à 20 000 DH ; CatD : plus de 20000 à 25 000 DH. Les auteurs révèlent que les seuils déterminés demeurent approximatifs et indicatifs faute de manque de données. Dans un deuxième travail académique, Arbouch et Dadush (2019) utilisent la possession d’une voiture comme critère d’appartenance à la classe moyenne car, selon eux, l’acquisition d’un tel bien signale une capacité et une volonté à acheter d’autres biens non essentiels. Sur cette base, les auteurs trouvent que la taille de la classe moyenne au Maroc, sur la base des données de 2014, était de 38%, bien loin du chiffre de 59% obtenu selon la méthode du HCP.
Economiste et sociologue, chacun exprime selon ses penchants scientifiques et académiques, dans son numéro 112-25 publié le 15 mars 2019, la revue «Conjoncture» a monté un focus sur la classe moyenne en essayant d’illustrer une image et une interprétation bien déterminées de cette class au Maroc. Selon le sociologue Ahmed Motamassik, la classe moyenne au Maroc est constituée par les cadres élites et les moyens cadres de la société, comme les médecins, les professeurs universitaires, les avocats, les juges, les ingénieurs et bien d’autres. Mais l’échantillon n’est pas comparable à celui par exemple qu’on peut trouver en Tunisie qui regroupe une part très importante de la population. Cette catégorie de la population au Maroc ne participe pas à la prise de décision dans le pays.
Strate sociale pas homogène
Car au Maroc 8% de la richesse est détenue par ceux qui ont le pouvoir économique et exercent le pouvoir politique. Ils sont les mêmes personnes qui détiennent les leviers des décisions au niveau économique, politique, culturel, etc. La classe moyenne existe donc, mais elle est marginalisée, poursuit Ahmed Motamassik. Dans son entretien avec «Conjoncture», un aperçu historique sur l’évolution de la classe moyenne au Maroc a été présenté par l’économiste Nourddine El Aoufi. Depuis les années 1970, l’Etat marocain a mené des tentatives pour promouvoir la classe moyenne, via la création d’une classe d’entrepreneurs, d’une part et la formation des cadres administratifs, d’autre part. Cependant, la décennie 1983-1993 a été marquée par l’application du fameux Plan d’ajustement structurel qui avait frappé de plein fouet le pouvoir d’achat de la classe moyenne. Par ailleurs, les politiques de privatisation entamées au cours des années 1990 ont écrasé les budgets de la classe moyenne, surtout dans l’éducation et la santé. La montée du chômage, notamment celui des jeunes diplômés a aussi impacté directement les comptes des ménages moyens. Pour Nourddine El Aoufi, la classe moyenne ne s’identifie pas seulement sur le plan économique mais elle peut se définir également par des éléments socioculturels et politico-idéologique. Généralement, la classe moyenne au Maroc se constitue par une tranche de population instruite et possédant des diplômes supérieurs. Sur le plan politico-idéologique c’est une population qui a une forte conscience de classe, avec une volonté de changement, souligne Nourddine El Aoufi. Aujourd’hui, la classe moyenne au Maroc assume des inégalités au sein de sa strate sociale qui n’est pas homogène. Face aux mutations macroéconomiques caractérisées par la persistance d’une inflation galopante, on peut confirmer que les segments sociaux du Maroc peuvent voir de plus en plus des fractions différentes provoquées éventuellement par des politiques publiques qui ne sont pas en leur faveur. Afin d’adhérer au club des pays émergents, le rapport consacré pour le nouveau modèle de développement a classé en tête de liste les actions et les politiques nécessaires pour diminuer l’écart entre les classes sociales du pays et octroyer plus de chance à une tranche de population qui demeure moyenne pour améliorer son confort social. Est-ce qu’on est vraiment proche d’atteindre cet objectif ?
