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Affaires

H. Thiebaut : la LLD au Maroc dominée par la course au client et le bradage des prix

Pour le patron d’Arval (filiale de BNP Paribas), le marché est encore peu structuré
Certains opérateurs continuent de confondre la location courte durée avec la LLD
Prix de revente surestimés, absence de provisions pour charges et entretien…, les astuces utilisées pour brader les prix.

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Hugues thiebaut
DG d’Arval

Quand on loue un véhicule en LLD sans franchise d’assurance, cela revient à dire au client qu’il peut faire ce qu’il veut avec le véhicule, sans aucune responsabilité. Ce qui est dangereux.

Le marché de la location longue durée (LLD) au Maroc regroupe aujourd’hui 8 opérateurs qui se partagent un parc estimé entre 15 000 et 18 000 véhicules et, surtout, se livrent une guerre féroce sur les prix. Explication du DG d’Arval, Hugues Thiebaut.

La Vie éco : Beaucoup de professionnels de la LLD continuent de dire que le marché est encore peu structuré. Partagez-vous ce sentiment ?

Hugues Thiebaut : Absolument. Même si les opérateurs commencent globalement à prendre conscience et à s’organiser, le marché reste encore peu structuré car certains opérateurs continuent de faire de la LLD avec des méthodes empruntées à la location de courte durée.

Aujourd’hui certains opérateurs de la LLD, dans la course aux parts de marché, font de grosses concessions sur les conditions, notamment les prix. D’autres qualifient ces pratiques de déloyales. Mais ce sont les clients qui dictent leurs conditions…
Exact. Mais les opérateurs créent le marché, les clients ne font que profiter des offres présentes sur le marché, que ce soient les prix ou les conditions (sans franchise d’assurance, kilométrage illimité…). Et justement, il ne faut pas tomber dans le piège des clients. Contrairement à la courte durée, dans la LLD, pour un même véhicule, le prix ne peut pas être le même pour un petit client peu solvable ou pour un gros client présentant des garanties importantes, ou en fonction des conditions d’utilisation ou du secteur d’activité.

Mais, parfois, le loueur y est presque contraint, quand il a en face de lui un gros client qui va passer une commande importante…
Je pense que c’est suicidaire que de se plier aux exigences du client, surtout quand celui-ci demande par exemple des véhicules sans franchise d’assurance ou avec kilométrage illimité. Quand on loue un véhicule en longue durée à un client sans franchise d’assurance, cela revient à lui dire qu’il peut faire avec tout ce qu’il veut, qu’il peut l’utiliser comme il veut et sans aucune responsabilité. Ce qui est dangereux. De plus, le loueur a de très fortes chances d’avoir en fin de parcours un véhicule en très mauvais état. Même financièrement, ce n’est pas rentable, et c’est très risqué. A mon avis, certains continuent de financer la longue durée grâce aux recettes de la courte durée qui, elle, est très rentable au Maroc car les prix sont élevés et les véhicules pas toujours en bon état.

Vous voulez dire que la LLD est moins rentable ?
Ce ne sont pas les mêmes prix ni les mêmes bases de calcul.

Pourtant, l’idée est très répandue que les opérateurs de LLD gagnent beaucoup d’argent, entre autres grâce au produit de revente des véhicules…
On peut croire effectivement qu’en revendant un véhicule qui est totalement amorti, et qui vaut comptablement 0 DH, nous engrangeons d’importantes plus-values. Du point de vue comptable, ce n’est pas forcément faux. Mais ce n’est pas non plus tout à fait vrai. Car, de l’autre côté, nous supportons des risques en cours de contrat, des charges d’entretien, de réparation… Chez Arval, nous avons ce qu’on appelle des comptes de gestion. Le principe en est simple : nous étalons les produits et les coûts de manière uniforme sur toute la durée du contrat, contrairement à d’autres opérateurs qui supportent les charges au moment où elles surviennent, et, dans notre métier, les charges arrivent en fin de contrat, quand les véhicules ont roulé. Ne pas les prendre de façon étalée revient à prendre des profits immédiatement, et à repousser dans le futur des charges qui seront pourtant bien réelles.

Comment expliquer que certains opérateurs arrivent parfois à proposer des prix anormalement bas ?
Généralement, ils jouent sur la valeur de revente estimée du véhicule au terme du contrat. Certains, en surestimant ce prix, peuvent faire des concessions sur le prix de location actuel. Parfois, c’est artificiel car ils tablent sur des prix qu’ils savent pertinemment irréalisables. Mais c’est repousser en fin de contrat des risques très importants.

Ne débattez-vous pas de ce genre de questions entre opérateurs, sachant qu’il y a aujourd’hui deux associations professionnelles dans le secteur ?
Au sein de notre association Analog, nous discutons de principes, de méthodes, mais jamais de nos clients respectifs, et surtout pas des prix. Ce serait une sorte d’entente, ce qui est illégal. Nous nous mettons d’accord sur certains principes comme celui, par exemple, de bannir l’exonération de la franchise d’assurance qui va à l’encontre des efforts que fait le pays pour lutter contre les accidents de la route. C’est inscrit dans la charte déontologique d’Analog.

Récemment, il s’est avéré que la commune de Casablanca avait exigé des véhicules sans franchise d’assurance et à kilométrage illimité avant de rectifier le tir…
Oui. Nous avons été surpris par cette affaire révélée dans les pages de votre journal. D’abord, par le fait que la commune demande de telles conditions, que nous considérons comme pas très judicieuses, et qui avaient poussé Arval, à l’époque, à ne pas répondre à l’appel d’offres et à envoyer une lettre de réserves. Ensuite, par le fait que la commune ait décidé, après avoir sélectionné les prestataires, de revenir sur ses choix (inscrits dans un CPS d’appel d’offres public!), en optant pour la franchise d’assurance et le kilométrage limité. Outre l’aspect légal de l’appel d’offres lui-même, cela représente un coût en plus pour la commune, donc pour le contribuable. Nous avons adressé une requête en éclaircissements dans ce sens au conseil de la ville, restée sans réponse à ce jour.

A propos de revente de véhicules, arrivez-vous à écouler les vôtres facilement sur un marché de l’occasion qui est complètement informel ?
Effectivement, le marché de l’occasion est informel mais, et cela, peu de gens le savent, très bien structuré. Pour revendre nos véhicules, nous procédons généralement par voie de consultations directes et restreintes.

Vos véhicules neufs, vous les achetez moins chers que les prix publics ?
Evidemment, parce que nous achetons du volume. Les remises que nous accordent les marques peuvent atteindre jusqu’à 15% sur le prix public dans les cas de gros volumes et pour des marchés spécifiques. Mais tout dépend du segment, de la marque… Il y a des marques qui ne nous accordent aucune remise.

Arrivez-vous à vous faire livrer à temps par les concessionnaires ?
Pour ce qui est des utilitaires montés localement, et particulièrement depuis le début 2007, nous avons de plus en plus de mal à nous faire livrer à cause de l’engorgement des chaînes de montage.

Quel est le délai moyen de livraison ?
Depuis quelques mois, entre un mois et un mois et demi pour les véhicules montés localement, qui étaient livrables dans la semaine l’année dernière. Le respect des délais est très variable d’une marque à l’autre. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes avec nos clients.