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Affaires

Exclusif : le moral des patrons

Un sondage de La Vie éco- DS Marketing.
Les patrons sont très critiques à l’égard du gouvernement et de l’environnement économique.
Les chefs d’entreprises se font plus confiance à eux-mêmes qu’au gouvernement.
65 % des patrons sont pessimistes au sujet de l’environnement économique général.

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On savait que 2005 allait être difficile. Mais personne ne s’attendait à la tournure actuelle. En effet, la sécheresse est venue aggraver les contraintes budgétaires, tandis que la concurrence des produits asiatiques devient presque insoutenable dans un contexte de baisse de la demande domestique et de flambée du coût des matières premières. Des secteurs comme le textile habillement et la céramique sont même au bord de l’asphyxie. A entendre les commentaires de nombre d’observateurs plus ou moins avisés, on peut facilement en déduire que l’on n’est pas loin du pire. La Vie éco a voulu en savoir davantage en commanditant une enquête sur le moral des patrons à un bureau spécialisé, DS Marketing. Les résultats sont plutôt surprenants. Les 200 chefs d’entreprises sondés n’ont certes pas du baume au cœur, mais ils sont, de manière générale, loin de perdre espoir. Mieux, ils sont confiants dans leur capacité à développer leurs affaires quelles que soient les difficultés conjoncturelles ou structurelles.
Mais de quoi se plaignent-ils au juste ? D’abord de l’environnementéconomique national actuel. Ils sont près de 53 % à le qualifier de très ou plutôt défavorable contre 37% qui le trouvent plutôt ou très favorable. Cette situation prévaut dans tout le pays, aussi bien sur l’axe Casablanca-Rabat qu’en province.
Mais c’est d’abord parmi les petites entreprises que l’on dénombre les plus pessimistes. Le taux grimpe à 58 % chez celles qui emploient moins de 50 salariés alors qu’il n’est que de l’ordre de 48 % chez les plus de 200 salariés. Preuve de cette morosité, seulement 39% des patrons interviewés affirment que la situation financière de leur entreprise s’est améliorée au cours de ce premier semestre 2005 avec une prédominance chez les entreprises moyennes (entre 50 et 200 salariés) avec un taux de 49 %. En revanche, 41 % affirment qu’elle est restée stable et 19 % déplorent une détérioration. Dans cette dernière catégorie, on trouve surtout l’industrie, avec 24%, le commerce, 21 %, et également les grandes entreprises, 22 %.
Ces difficultés financières sont certainement liées à l’accès au crédit. Pour l’essentiel, les banques se montrent toujours prudentes. Plus de la moitié des sondés estime que les crédits d’investissement sont en baisse ou en stagnation. Ils sont même un peu plus (près de 70 % des concernés) à avoir les mêmes avis sur le crédit de trésorerie. A l’évidence, le financement du cycle d’exploitation reste une équation impossible à résoudre, comme nous l’avons souligné en d’autres temps.

La grande entreprise affiche plus de sérénité
Les données deviennent plus intéressantes quand on aborde les causes de cette situation et ce que les patrons considèrent comme freins au développement économique du pays. Bien évidemment, les sensibilités diffèrent par rapport aux facteurs exogènes selon le secteur et la taille de l’entreprise. Les industriels sont, par exemple, naturellement plus sensibles à la question des coûts des matières premières. Les petites et moyennes entreprises, quant à elles, le sont plus par rapport aux charges sociales lourdes.
En tête de liste des freins au développement viennent le coût des matières premières et la concurrence des produits asiatiques, qui recueillent notamment 74 % et 71 % des suffrages. Suivent d’autres facteurs comme l’absence de visibilité politique (68 %), le climat social (68 %), le niveau des taux d’intérêt bancaires (67%) ou encore le niveau élevé des charges sociales (61 %). Le niveau de la demande est évoqué par 60 % de l’échantillon.
Les patrons sont cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, moins critiques à l’égard du Code du travail. Ils sont un peu plus de 30 % à penser que cette loi constitue une entrave au développement de leurs affaires. Ce taux doit être toutefois analysé de plus près. Il monte à près de 47 % en province, contre 18% sur l’axe Casablanca- Rabat. Ce décalage peut être interprété comme le résultat d’un déficit de vulgarisation en dehors du poumon économique du pays.
Dans tous les cas, le gouvernement en a pris pour son grade : 68 % des patrons interviewés considèrent que son manque de réactivité fait lui aussi partie des freins au développement économique du pays.
Pire encore, quand on les interroge sur l’évaluation qu’ils font des actions du gouvernement en direction du monde des affaires, le taux de mécontentement reste élevé : ces actions ne sont plutôt pas efficaces pour 19 % des interviewés, pas efficaces du tout pour 20 % tandis que 21 % des patrons considèrent carrément qu’il n’y a pas lieu d’évaluer car il n’y a pas d’action du tout. Au total, cela fait 60 % d’opinions défavorables contre seulement 25 % d’opinions favorables.
On notera par ailleurs qu’indépendamment des sensibilités des uns et des autres, une tendance semble se dessiner : les plus critiques sont surtout le secteur industriel et la petite et moyenne entreprise. Alors que, du côté de la grande entreprise, les patrons semblent relativement sereins et donc plus enclins à la situation à l’exception de deux points où ils ont été particulièrement plus critiques : la réactivité du gouvernement et le manque de visibilité politique sont pour eux les premiers freins au développement économique du pays.

Les accords de libre-échange sont considérés comme une opportunité
D’ailleurs, quand il s’agit des perspectives, les patrons ne font pas davantage confiance aux capacités du gouvernement de les tirer d’affaire. Comme déjà souligné, il est heureux de constater qu’ils refusent de céder au catastrophisme, et sont même optimistes quant à leurs propres capacités à s’en sortir.
Exemple : les divers accords de libre-échange signés par le Maroc. Il semble que l’heure n’est plus à la paranoïa entretenue par une frange des milieux d’affaires qui redoutait de perdre une situation de rente jalousement protégée. Plus de 50% des patrons sondés pensent que ces accords constituent une bonne opportunité. Parmi les fervents défenseurs de cette position, on retrouve une fois de plus la grande entreprise et également les entreprises situées sur l’axe Casablanca-Rabat. A l’opposé, presque 23% des patrons pensent que l’impact des accords de libre-échange sera plutôt négatif, avec une prédominance de pessimisme dans le secteur du commerce (31%) et également parmi les entreprises en province (26 %). Il est clair que l’enclavement, source de coûts supplémentaires, ne joue pas en leur faveur.
Quoi qu’il en soit, on relèvera un regain de confiance chez les patrons dont une majorité, soit 57,6 %, pensent pouvoir améliorer la situation financière de leur entreprise au second semestre, en plus de 31 % d’entre eux qui espèrent au moins pouvoir la stabiliser. Mieux, les deux-tiers des répondants envisagent de développer leur activité et 29 % au moins la maintenir à son niveau actuel. Seule une minorité, 3,9 %, envisagent une diminution, et encore moins un arrêt (1 %). Reste que ni l’augmentation des salaires ni l’embauche ne figurent sur la liste des priorités. Seulement 22 % des sondés promettent une amélioration de la rémunération, tandis que 47 % sont décidés à créer des emplois au courant du second semestre. Bref, l’heure est à la consolidation des acquis, c’est-à-dire à la réduction ou à la stabilisation des charges

Quelques inquiétudes pour l’avenir économique du pays
Un paradoxe est cependant à relever : les patrons ne perdent pas espoir pour leurs propres affaires, mais sont dubitatifs sur la situation économique du pays. Seuls 34 % des personnes interrogées pensent qu’elle s’améliorera contre 40 % qui prévoient une stagnation, et 25 % qui envisagent carrément une détérioration. A cela, ils avancent plusieurs facteurs explicatifs, notamment la concurrence étrangère (16,5%), l’état de la conjoncture actuelle et le niveau alarmant de certains indicateurs économiques (24%), mais également l’action gouvernementale (21%). Il faut noter, sur ce volet, que la valeur du dirham (0,6 %), qui suscite un débat intense, la baisse des exportations (0,6%), un autre problème épineux et les difficultés du textile (3%) sont inscrits en bas de liste.
Autre paradoxe, malgré toutes ces critiques : la confiance qu’ils avaient dans l’équipe gouvernementale ne s’est pas étiolée. A ce niveau, le premier ministre Driss Jettou peut donc dormir tranquille. Ils sont plus de 55 % à affirmer qu’ils font totalement ou plutôt confiance à son équipe, contre 31 % qui ne la lui accordent pas. Les supporters du gouvernement, on les trouvera surtout parmi les grandes entreprises (66 %).
Il reste à savoir maintenant combien durera cette confiance. Les patrons, à travers leurs réponses, ont donné un signal très clair : «Nous avons les capacités de remonter la pente, nous remplirons notre part du contrat, mais le gouvernement doit en faire de même»

203 chefs d’entreprises interrogés

Le sondage a été effectué par téléphone, entre le 13 et le 17 mai, auprès de 203 chefs d’entreprises. L’échantillonnage est basé sur trois critères que sont le secteur d’activité, la taille et la région. Parmi les patrons interviewés, 104 exercent dans l’industrie, 70 dans les services et 29 dans le commerce. En ce qui concerne la taille, 98 des entreprises qu’ils dirigent emploient moins de 50 personnes, 47 ont un effectif compris entre 50 et 199, et 58 affichent plus de 200 salariés. Eu égard à l’importance de l’activité économique, l’axe Casablanca-Rabat abrite 120 des entreprises touchées, alors que 83 sont localisées dans les autres villes.

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